Montréal, 15 mars 2005 • No 152

 

LES AVENTURES DE LUC CYR

 

Jasmin Guénette détient une maîtrise en science politique à l'Université du Québec à Montréal.

 
 
 

EN ATTENDANT LE TAXI

 

par Jasmin Guénette

 

Suite du dernier épisode
 

4 octobre 2020

          Nous revenons donc de notre marche quelque peu abasourdis de l'expérience que nous venons de vivre. Empêcher notre petite Julie de visiter le village indien en raison des symboles traditionnels associés à l'usage du tabac est une vraie farce. Mais cette situation ne me surprend pas, les membres du PPP (Parti patriotique populaire). et les bureaucrates qui les appuient veulent notre bien… et ils vont l'avoir.

          Nous arrivons à la voiture et prenons le chemin du retour. Ma Cougar XR 7 V8 ne roule pas très bien aujourd'hui et je ne comprends pas pourquoi. Pourtant, s'il y a une chose à laquelle je tiens particulièrement, c'est mon vieux char. J'y fais très attention et je vais régulièrement voir mon mécanicien pour des mises au point. Sauf qu'aujourd'hui, ça ne marche pas et ça m'embête beaucoup.

 

          Finalement, ce qui devait arriver arriva: ma voiture tombe en panne. Petit point encourageant: d'où nous tombons en panne, il nous est possible de marcher jusqu'à l'intersection des rues Principale et Grand-Mont, là où se trouvent deux garages et un stand de taxis. Nous arrivons au garage et j'explique brièvement au mécanicien sur place ce qui se passe avec mon « bazou ». Il envoi immédiatement une remorqueuse pour la ramener au garage. Il me dit que si le problème n'est pas trop important, je pourrais ravoir ma voiture dès demain. Excellent, je n'ai pas à retourner à Montréal avant quelques jours. Une adjointe de Katia prend le relais au salon de coiffure pour les quelques jours de congé que nous prenons.
 

          Après ces quelques minutes passées au garage, nous marchons tous les trois vers le stand de taxis où deux voitures sont stationnées et attendent, me semble-t-il, des clients. Nous allons vers la première voiture et demandons au chauffeur s'il peut nous ramener la maison. Il nous dit que malheureusement, il vient tout juste de recevoir un appel et qu'il doit quitter mais qu'il pourra nous prendre à son retour dans une vingtaine de minutes. Je lui réponds que je ne croirais pas être encore ici puisque je vais prendre le taxi derrière. À ce moment, le chauffeur prend la route et quitte en riant.

          Nous allons donc voir le taxi juste derrière sans trop savoir pourquoi l'autre est parti comme ça...


Luc:
Bonjour mon cher ami! Pouvez-vous nous ramener au 1245 Chemin-du-Rivage, s'il vous plaît?

Chauffeur: J'aimerais bien, mais j'ai malheureusement terminé. Pour l'instant, je prends mon café et je lis le journal. Vous devrez attendre le retour de Pierre, le type à qui vous avez demandé juste avant moi. Et puis, de toute manière, même si je voulais vous prendre je ne pourrais pas. Les lois ne me le permettent pas.

Luc: Les lois ne vous le permettent pas. Comment ça?

Chauffeur:
Depuis deux ans, les règlements sont clairs: pour protéger le travail des chauffeurs et leur assurer une source de revenu stable, il ne peut y avoir plus de deux taxis par stand qui dessert une zone de mille habitants. Notre syndicat, le Regroupement national des chauffeurs de taxi du Québec, a fait du bon travail.

Avant, il pouvait y avoir en même temps 3 ou 4 taxis en service ici. Les chauffeurs se plaignaient tout le temps de ne pas faire d'argent. Aujourd'hui, c'est la paix totale. Tous les chauffeurs du coin reçoivent l'horaire en début de semaine et tout le monde fait son argent, pas plus pas moins.

Luc: Merde! C'est pas un peu ridicule?

Chauffeur: Il y a des limites quand même. Que puis-je faire si je ne fais pas d'argent avec mon taxi?

Luc: Trouver des solutions à votre problème! Ça ne demande pas que le gouvernement vote une loi dictée par des intérêts corporatistes.

Chauffeur: Ah! mon cher monsieur, vous n'avez rien compris. Le problème des taxis est un problème de société. Si nous ne faisons pas plus d'argent, ce sont tous les emplois directs et indirects qui seront touchés. Plein de gens seront affectés. Le PPP a bien compris cela et il a remis à chaque chauffeur une somme forfaitaire pour les sommes d'argent perdues par le passé en raison de la concurrence.

Luc: Donc, si je comprends bien, le PPP n'aurait qu'à remettre une grosse somme d'argent à tout le monde pour faire rouler l'économie adéquatement? C'est simple, non? Rien ne sert de travailler, ni de se lancer en affaires pour offrir des produits utiles! Rien ne sert d'épargner ou de prêter de l'argent à d'autres personnes! À la limite, le gouvernement n'aurait qu'à donner un million de dollars à tout le monde et tous les problèmes pourraient se régler d'un coup! Incroyable.

Chauffeur: Écoutez mon cher ami, c'est bien mieux aujourd'hui. Nos conditions sont excellentes. Limiter le nombre de taxis nous assure un emploi et des profits. C'est la seule manière d'assurer pour tous les secteurs un avenir solide.

Luc: Limiter la concurrence n'est pas la solution. Comment expliquez-vous dans ce cas qu'il peut y avoir quatre cafés sur un même coin de rue et qu'ils peuvent tous rester ouverts et faire de l'argent?

Chauffeur: L'industrie du taxi n'est pas comme celle des cafés. C'est tout à fait différent. Les problèmes ne sont pas les mêmes… Écoutez, vous êtes bien gentil mais je dois partir. J'ai autre chose à faire que d'entendre des gens qui, comme vous, ne comprennent pas notre réalité.
 

« Les coûts qu'entraînaient l'obésité et l'embonpoint pour le régime national et "gratuit" de santé étaient énormes. Pour que les coûts cessent d'augmenter aussi rapidement, il a fallu rendre illégaux, ou illégitimes, certains produits ou comportements. »


          Nous quittons le stand et allons vers le petit dépanneur qui se trouve en face. Julie aimerait bien boire un jus de fruits et Katia a faim et veut un sandwich. Nous avons encore une quinzaine de minutes à attendre.

          En arrivant au dépanneur, deux adolescents, sans grande surprise, viennent à notre rencontre. L'un d'entre eux nous demande si l'on ne pourrait pas acheter pour eux quelques canettes de Coca-Cola. Le « marché noir de la liqueur » est florissant depuis que le ministère de la Santé, et plus particulièrement depuis que l'Observatoire national du poids santé du Québec (l'ONPCQ) a déterminé que la meilleure façon pour les jeunes de rester en forme est de ne pas porter de « surplus de poids » en grande partie causés par les boissons gazeuses.

          Les grandes entreprises comme Pepsi-Cola et Coca-Cola n'ont pas pu faire grand-chose pour arrêter le rouleau compresseur de l'État et la loi fut adoptée en deux temps, trois mouvements. Les politiciens du PPP ont joué la carte de l'avenir de la nation pour faire passer leur message. « Pour que notre belle province puisse faire face aux défis de l'avenir, il faut bien que sa jeunesse – les leaders de demain – soit en forme », disaient-ils. De plus, les coûts qu'entraînaient l'obésité et l'embonpoint pour le régime national et « gratuit » de santé étaient énormes. Pour que les coûts cessent d'augmenter aussi rapidement, il a fallu rendre illégaux, ou illégitimes, certains produits ou comportements.

          Alors, cette loi stipule qu'il est impossible aux propriétaires de dépanneurs, d'épiceries ou de toutes autres sortes d'établissements de vendre aux jeunes de moins de 16 ans des produits de type « boisson gazeuse » à haute ou basse teneur en sucre. En ce qui concerne les distributrices, pour les utiliser il faut d'abord se présenter devant un comptoir de la Société québécoise des cartes, permis et demandes d'utilisateurs restreints (SQCPDUR) et réclamer un numéro de code temporaire, renouvelable aux deux ans, pour l'utilisation de machines distributrices de boissons gazeuses.

          Bien sûr, il faut montrer patte blanche devant les représentants de la Santé et de la Sécurité publique. S'ils soupçonnent qu'un individu est à risque, ou qu'il pourrait éventuellement revendre à des mineurs, sa carte lui est refusée. Évidemment, dès la première fois qu'une personne se fait prendre à acheter des boissons gazeuses qui, en bout de ligne, pourraient être consommées par des jeunes, elle se voit refuser toute demande pour obtenir une carte ou avoir une nouvelle carte d'utilisateur de machine distributrice.

          Les conséquences de cette loi sont nombreuses: elle force les parents, contre leur gré, à adopter des comportements différents avec leurs enfants; les voisins qui voient des parents offrir du Coca-Cola à leurs enfants ont intérêt à les dénoncer pour ne pas se retrouver sur la liste des suspects possibles; le PPP encourage même les citoyens à dénoncer les adultes qui achèteraient du Coca-Cola à des jeunes. Un énorme marché noir a pris naissance et, du jour au lendemain, des gens qui vivaient une petite vie normale sont soudainement devenus des criminels.

          Voilà pourquoi ces jeunes nous demandent d'acheter des boissons gazeuses pour eux au dépanneur. Ils ne peuvent plus le faire en raison de leur jeune âge. Nous sommes réticents par contre à leur dire oui même si nous trouvons ces règlements complètement stupides. La première raison étant que si, par malchance, nous sommes pris la main dans le sac, les conséquences seraient trop importantes. Puis, il ne faudrait pas faire devant Julie des choses qu'elle ne saurait interpréter de la bonne façon en raison de son jeune âge. Il faut dire aussi que ses parents sont des membres actifs du PPP et ils n'hésiteraient pas une seconde à me dénoncer – ne serait-ce que pour être félicités par le député du coin. J'ai eu assez de démêlés avec la justice et je préfère me tenir éloigné des emmerdes judiciaires.

          Une fois à l'intérieur du dépanneur, nous achetons des petits trucs à grignoter en attendant le taxi. Ça fait longtemps que je ne me suis pas offert un bon sac de chips. Je m'en achète donc un avec une canette de liqueur. Nous achetons un jus de fruits pour la petite et Katia prend un sandwich et une bière. Au comptoir, j'achète aussi le journal. Derrière le dépanneur a été aménagé un petit terrain avec des tables pour pique-niquer. Nous nous installons confortablement et pendant que Katia discute avec Julie, je lis le journal.

          Arrivé à la page Opinions, je commence à lire le texte d'un intellectuel bien connu, Gilles Cadieux, intitulé « Pour un projet commun unifiant ». Tous les clichés des étatistes sont compris dans ce magnifique texte. D'abord, l'éloge de certains « grands politiciens » du passé qui auraient, eux, contrairement à ceux d'aujourd'hui, une stature d'homme d'État, et non pas seulement de petit politicien de campagne. Le PPP ne serait pas encore assez engagé dans les réformes profondes qui assureraient au Québec plus de « liberté et justice sociale ». Ensuite, l'auteur utilise quelques grandes phrases chocs, comme: « un autre monde est possible », « ne pas laisser le profit et les corporations piller notre territoire » et « le Québec n'est pas un centre commercial ». Bref, il faudrait lutter contre la surconsommation et l'absence de règles claires pour combattre l'exclusion sociale. Mon sac de chips passe de travers quand je lis des textes comme ça. Suis-je le seul à voir que tout est hyper réglementé et qu'on est loin de la société ultra-libérale tant décriée?...
 

 

SOMMAIRE NO 152QU'EST-CE QUE LE LIBERTARIANISME?ARCHIVESRECHERCHEAUTRES ARTICLES DE J. GUÉNETTE

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