Nous
quittons le stand et allons vers le petit dépanneur qui se
trouve en face. Julie aimerait bien boire un jus de fruits et Katia a
faim et veut un sandwich. Nous avons encore une quinzaine de
minutes à attendre.
En arrivant au dépanneur,
deux adolescents, sans grande surprise, viennent à
notre rencontre. L'un d'entre eux nous demande si l'on ne
pourrait pas acheter pour eux quelques canettes de Coca-Cola. Le
« marché noir de la liqueur » est florissant depuis que le
ministère de la Santé, et plus particulièrement depuis que
l'Observatoire national du poids santé du Québec
(l'ONPCQ) a déterminé que la meilleure façon pour les jeunes
de rester en forme est de ne pas porter de « surplus de
poids » en grande partie causés par les boissons gazeuses.
Les grandes entreprises
comme Pepsi-Cola et Coca-Cola n'ont pas pu faire grand-chose
pour arrêter le rouleau compresseur de l'État et la loi fut
adoptée en deux temps, trois mouvements. Les politiciens du
PPP ont joué la carte de l'avenir de la nation pour faire
passer leur message. « Pour que notre belle province puisse
faire face aux défis de l'avenir, il faut bien que sa
jeunesse – les leaders de demain – soit en forme »,
disaient-ils. De plus, les coûts qu'entraînaient l'obésité
et l'embonpoint pour le régime national et « gratuit » de
santé étaient énormes. Pour que les coûts cessent
d'augmenter aussi rapidement, il a fallu rendre illégaux, ou
illégitimes, certains produits ou comportements.
Alors, cette loi stipule
qu'il est impossible aux propriétaires de dépanneurs,
d'épiceries ou de toutes autres sortes d'établissements de
vendre aux jeunes de moins de 16 ans des produits de type « boisson gazeuse » à haute ou basse teneur en sucre. En ce
qui concerne les distributrices, pour les utiliser il faut
d'abord se présenter devant un comptoir de la Société
québécoise des cartes, permis et demandes d'utilisateurs
restreints (SQCPDUR) et réclamer un numéro de code
temporaire, renouvelable aux deux ans, pour l'utilisation de
machines distributrices de boissons gazeuses.
Bien sûr, il faut montrer
patte blanche devant les représentants de la Santé et de la
Sécurité publique. S'ils soupçonnent qu'un individu est à
risque, ou qu'il pourrait éventuellement revendre à des
mineurs, sa carte lui est refusée. Évidemment, dès la
première fois qu'une personne se fait prendre à acheter des
boissons gazeuses qui, en bout de ligne, pourraient être
consommées par des jeunes, elle se voit refuser toute
demande pour obtenir une carte ou avoir une nouvelle carte
d'utilisateur de machine distributrice.
Les conséquences de cette
loi sont nombreuses: elle force les parents, contre leur
gré, à adopter des comportements différents avec leurs
enfants; les voisins qui voient des parents offrir du
Coca-Cola à leurs enfants ont intérêt à les dénoncer pour ne
pas se retrouver sur la liste des suspects possibles; le
PPP encourage même les citoyens à dénoncer les adultes
qui achèteraient du Coca-Cola à des jeunes. Un énorme marché
noir a pris naissance et, du jour au lendemain, des gens qui
vivaient une petite vie normale sont soudainement devenus
des criminels.
Voilà pourquoi ces jeunes
nous demandent d'acheter des boissons gazeuses pour eux au
dépanneur. Ils ne peuvent plus le faire en raison de leur
jeune âge. Nous sommes réticents par contre à leur dire oui
même si nous trouvons ces règlements complètement stupides.
La première raison étant que si, par malchance, nous sommes
pris la main dans le sac, les conséquences seraient trop
importantes. Puis, il ne faudrait pas faire devant Julie des
choses qu'elle ne saurait interpréter de la bonne façon en
raison de son jeune âge. Il faut dire aussi que ses parents
sont des membres actifs du PPP et ils n'hésiteraient pas
une seconde à me dénoncer – ne serait-ce que pour être
félicités par le député du coin. J'ai eu assez de démêlés
avec la justice et je préfère me tenir éloigné des emmerdes
judiciaires.
Une fois à l'intérieur du
dépanneur, nous achetons des petits trucs à grignoter en
attendant le taxi. Ça fait longtemps que je ne me suis pas
offert un bon sac de chips. Je m'en achète donc un avec une
canette de liqueur. Nous achetons un jus de fruits pour la
petite et Katia prend un sandwich et une bière. Au comptoir,
j'achète aussi le journal. Derrière le dépanneur a été
aménagé un petit terrain avec des tables pour pique-niquer.
Nous nous installons confortablement et pendant que Katia
discute avec Julie, je lis le journal.
Arrivé à la page
Opinions, je commence à lire le texte d'un intellectuel
bien connu, Gilles Cadieux, intitulé « Pour un projet commun unifiant ». Tous les clichés des
étatistes sont compris dans ce magnifique
texte. D'abord, l'éloge de certains « grands politiciens »
du passé qui auraient, eux, contrairement à ceux
d'aujourd'hui, une stature d'homme d'État, et non pas
seulement de petit politicien de campagne. Le PPP ne
serait pas encore assez engagé dans les réformes profondes
qui assureraient au Québec plus de « liberté et
justice sociale ». Ensuite, l'auteur utilise quelques
grandes phrases chocs, comme: « un autre monde est possible »,
« ne pas laisser le profit et les corporations piller
notre territoire » et « le Québec n'est pas un centre
commercial ». Bref, il faudrait lutter contre la
surconsommation et l'absence de règles claires pour
combattre l'exclusion sociale. Mon sac de chips passe de
travers quand je lis des textes comme ça. Suis-je le seul à
voir que tout est hyper réglementé et qu'on est loin de la
société ultra-libérale tant décriée?...
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