L'analyse d'huile est elle aussi utilisée de plus en plus
dans l'industrie. Elle consiste à analyser l'huile de
lubrification afin de connaître la concentration et la
grosseur des particules d'usure provenant de la machine.
À titre d'exemple,
l'entreprise de transport en commun de ma ville (le Réseau
de transport de la Capitale) a
fait appel voici trois ans à un consortium privé
franco-québécois pour gérer l'entretien de sa flotte
d'autobus. À l'aide de cette méthode, ils ont réussi à faire
économiser environ 15 millions de dollars à la société de
transport, notamment en réduisant de 88 000 à 12 000 le
nombre d'heures supplémentaires, et à réduire la taille de
la flotte, les autobus étant moins souvent au garage.
(Malheureusement, l'un des enjeux de l'actuelle négociation
des employés de garage sera de sortir cette compagnie privée
du réseau public, afin de récupérer notamment les heures
supplémentaires, très payantes, et d'obliger le RTC à
embaucher un directeur interne de l'entretien, plus
facilement manipulable par le syndicat et ses membres qu'une
entreprise externe.)
Ces méthodes, très
rentables, s'implantent de plus en plus dans l'entreprise
privée et il semble que certains ministères soient
marginalement intéressés par les méthodes développées en
industrie, comme ce contrat obtenu par le département de
génie industriel de l'Université Laval du ministère de la
Santé du Québec (et qui intéresse grandement la France) et
auquel j'ai pu apporter ma modeste contribution. Il
s'agissait de trouver moyen de réduire la facture
d'entretien des aides à la mobilité (chaises roulantes) et
les étudiants de deuxième et troisième cycle y sont
parvenus. D'une facture récurrente de 20 millions de
dollars, on est passé à une facture de 16 millions, une
réduction de 20%. L'argument voulant que le privé n'ait rien
à apporter au public – notamment au niveau des connaissances
et de méthodes de travail différentes – semble tenir de la
plus grande suffisance.
Catastrophes en ingénierie |
L'ingénierie fournit matière à la nouvelle lorsqu'il se
produit des accidents spectaculaires et/ou mortels. Le cas
de la crise du verglas au Québec, en 1998, est patent.
Suite à une chute de pluie verglaçante dépassant tout ce que
les concepteurs du réseau électrique d'Hydro-Québec avaient
prévue, une partie du réseau s'est effondré, entraînant pour
bon nombre de gens la perte de tout service électrique pour
des semaines et la mort d'une trentaine de personnes au
total. Une des questions qui a été posée avait trait à la
fiabilité de ce réseau: pourquoi n'a-t-on pas construit un
réseau plus solide (et plus coûteux) pour empêcher cela
d'arriver?
Encore là, la réponse est
la même: outre qu'il soit impossible de garantir la
population contre les accidents, il y a toujours un facteur
coût duquel il faut tenir en compte. Ainsi, dans le cas
d'Hydro-Québec, quel est le niveau de dépenses qui optimise
les ressources disponibles? Sachant que la société d'État a
dépensé plus de 2,1 milliards $ dans l'année qui a suivi le
verglas pour renforcer (915 millions) et améliorer le réseau
(1,2 milliard)(1), alors que les citoyens et entreprises
n'ont finalement évalué leurs pertes qu'à environ 316
millions de dollars selon les poursuites enregistrées dans
les trois ans suivant le verglas(2) –, un surplus de dépenses
sur les coûts réels de 1 800 millions $ –, il y a matière à
douter que le gouvernement ait eu le sens de la mesure,
surtout si l'on tient compte du fait que l'on peut évaluer le risque d'un tel
accident à 1 tous les 30 ou 40 ans.
On objectera que ce n'est
pas trop pour sauver trente vies. Je rétorque au contraire
que c'est énorme: 60 millions de dollars par personne, alors
que nos services publics de santé n'investiraient pas un
demi million de dollar par citoyen pour les sauver! On peut
voir cela d'une autre manière: ce 1,8 milliard $ coûte, à
7,5% d'intérêt sur 20 ans, environ 175 millions de dollars
de remboursement par an. Compte tenu que le réseau de la
santé est le principal bénéficiaire des dividendes d'Hydro,
et si je présume qu'il en coûte 50 000 $ pour sauver la vie
d'un citoyen, c'est donc 3500 citoyens que l'on sacrifie
anonymement chaque année pour éviter 30 morts visibles une
fois tous les 30 ans. (Et même si je réduis ce nombre d'un
facteur 10 pour tenir compte des « retombées élastiques » et
du poil sur la main du ministre des Finances, cela demeure
exagéré).
Les gouvernements, sous
la pression populaire, sont toujours enclins à augmenter les
dépenses ou à réglementer l'industrie pour les forcer à
augmenter sensiblement leurs normes de sécurité, sans tenir
compte du rapport coût-bénéfice pour la population. De plus,
les représentants autoproclamés de la société civile –
syndicaleux et environnementalistes en tête – exigent de longues commissions d'enquêtes sur tout projet
d'investissement, quitte à ce que celui-ci perde toute
pertinence. Bien sûr, la conséquence doit être un maximum de
restrictions pour les entreprises – afin de s'assurer que
leurs produits ne se vendent pas je suppose – et qu'on en
vienne à une société rêvée où l'on vivra d'amour et d'eau
claire…
D'autant que ces
commissions ne sont pas des assemblées de devins. Comment,
même après plusieurs années de commission, aurait-on pu
prévoir l'explosion de Toulouse du 21 septembre 2001 par
exemple? Selon ce que j'ai compris entre les jérémiades de
tout un chacun, un arc électrique de forte intensité aurait
parcouru
800 mètres (!) entre 2 usines pour venir passer dans un tas
de nitrate d'ammonium (un engrais) et le faire exploser?
Les enquêtes après
accidents sont aussi assez trompeuses. Même si l'on arrive à
bien cerner la chaîne des événements qui se sont produits et
des erreurs qui ont été commises, il est souvent facile de
juger après coup. Les entreprises génèrent d'énormes
quantités d'informations, généralement trop élevées pour être
examinées par une seule personne et en tirer un tout
cohérent, même si bon nombres d'indices pointaient vers la
catastrophe à venir. Aussi, il faut tenir compte du fait que
les informations sont filtrées et interprétées par la
personne qui les reçoit, ce qui peut mener à des accidents.
Gestion de l'humain dans les
systèmes |
Selon différentes sources consultées, les catastrophes et
accidents se produisent entre 65 et 80% à cause d'erreurs
humaines, loin devant les défaillances mécaniques ou
électriques par exemple. Si certaines mesures de sécurité
peuvent être mises de l'avant pour réduire les risques liés
à certaines erreurs courantes, il n'en demeure pas moins que
bon nombre d'accidents dépassent l'entendement et que le
respect des normes de sécurité reste souvent problématique
et que l'idiotie de certains n'a pas de limites – ce qui
peut coûter très cher en poursuites et en frais de toute
sorte. Par exemple, le
Michigan
Lawsuit Abuse Watch organise un concours des meilleurs
(pires?) avertissements sur des produits de consommation
courants. En 2004, le gagnant fut une brosse à toilette sur
laquelle était écrit: « Do not use for personal hygiene ».
Une autre, sur un thermomètre (ma préférée, je l'avoue):
« Once used rectally, the thermometer should not be used
orally. »
Bref, j'aurais tendance à
vous suggérer ceci: comme les manuels d'instructions venant
avec les produits sont le reflet des hypothèses
d'utilisation faites lors de la conception, tenez-vous en à
ce qui est prescrit dans le manuel, à moins de vraiment bien
connaître votre affaire.
Un des corollaires les
plus importants de la prise en charge de différents secteurs
de l'économie par l'État est que celui-ci doit alors
restreindre la liberté individuelle de chacun de manière à
ce que les coûts payés par le contribuable demeurent le plus
bas possible. Ainsi, ce n'est pas par grandeur d'âme que
l'État pousse les fumeurs à arrêter. C'est bien plus parce
que les coûts payés par l'ensemble de la société pour
maintenir en vie des fumeurs malades sont à proprement
parler faramineux et s'ajoutent à des dépenses de santé déjà
colossales. Aussi, en limitant la vitesse et en imposant de
nombreux règlements sur les autoroutes, l'État se protège du
mieux qu'il peut contre les accidents qui font de nombreux
blessés graves.
Car disons-le tout net,
ce ne sont pas les morts qui sont une catastrophe dans ce
cas-ci, mais les survivants, que l'État devra remettre plus
ou moins sur pied, ou entretenir à grands frais pendant des
années parce qu'ils n'auront pas eu la « décence » de mourir
rapidement des suites de leurs choix irresponsables. Bref,
si vous désirez vous comporter en imbécile, tout en
continuant d'user et d'abuser des garde-fous de l'État,
assumez le fait de devoir voir votre liberté sérieusement
compromise par toutes sortes de lois et par la pression
sociale. Si cette perspective ne vous plaît pas, renoncez à
la protection de l'État et demandez une alternative privée. Tout
autre option (i.e., vivre de façon irresponsable et faire payer la
société) doit être exclue, parce qu'elle entraîne trop de
conséquences néfastes pour tout le monde.
L'alimentation a été mise sous les projecteurs ces dernières
années, notamment à cause des cas de vache folle et surtout
des décès qu'elle a entraînés. Mais au-delà de ces
événements,
l'agroalimentaire est l'un des points de convergences de toutes
sortes d'idéologies. Le nationalisme vante les achats
régionaux et les produits du terroir, l'altermondialisme
vante les produits équitables, pourfend McDonald's, exige
l'autosuffisance pour les pays du sud,
alors que l'écologisme pourfend les pesticides, défend le végétarisme,
etc.
L'aspect gestion des
risques est ici aussi important, mais pas de la manière
qu'on le croit généralement. On estime qu'environ 1% des
intoxications sont dus à une mauvaise manipulation au niveau
de la chaîne d'approvisionnement – entre la ferme et le
détaillant alimentaire – et le 99% restant est dû au
consommateur lui-même qui n'a pas su respecter les normes
d'hygiène des produits qu'il a achetés.
Pourtant, une énorme
pression est mise sur les entreprises pour qu'elles
améliorent leurs pratiques, même si cela ne réduit que
marginalement les risques. Ainsi, chaque usine est visitée
de fond en comble plusieurs fois par semaines par les
inspecteurs au Canada et des sommes énormes sont englouties
pour réduire les risques, sans que l'on se soucie de savoir
si c'est rentable ou non pour le consommateur, obnubilé.
Pour rassurer les
consommateurs, le concept de traçabilité a été mis de
l'avant. Il consiste à savoir de quelle bête individuelle
provient tel ou tel produit, de manière à toujours pouvoir
remonter jusqu'à la ferme d'élevage. Cela réduit peut-être
certains risques, mais pas tous, car les supermarchés
renouvellent leur stock au complet à tous les 15 jours, ce
qui est très court. Ainsi, selon la durée d'incubation de la
maladie, le gros du mal peut avoir été fait parce que les
gens auront mangé les produits avant que quiconque se soit
rendu compte du problème… Cette traçabilité relève plus du
marketing que de la sécurité.
On peut voir qu'il est
très difficile de minimiser les risques, et l'action
gouvernementale n'aide pas vraiment à les réduire, mais
beaucoup à en augmenter les coûts pour chacun de nous. Il
est évident que nous désirons tous un certain niveau
de sécurité, mais nous ne semblons pas toujours prêts à en
assumer les coûts, voire les risques cachés. Le retrait des
gouvernements de la gestion des risques et sa prise en
charge par des gestionnaires privés plus responsables (parce
que leurs emplois en dépendent) permettrait sûrement
à chacun de se faire une idée plus claire de ce qu'il est
prêt – ou non – à accepter comme risques.
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