Pourtant, l'idée selon laquelle il existerait un « partage des fruits de
la croissance » est tout simplement dénuée de sens. Comment fonctionne
en effet – ou devrait fonctionner – une économie libre? Ses fondements
sont d'ordre microéconomique et contractuel. Les variables
macroéconomiques – revenu national, masse des salaires ou des profits –
sont le résultat de millions de décisions individuelles et de contrats
et ne constituent que des constructions statistiques a posteriori.
Mais, si l'on souhaite bien comprendre la formation des revenus, il est
impératif de revenir au niveau des décisions concrètes des individus.
Ainsi, les propriétaires
d'entreprises promettent par contrat un salaire à leurs employés, de
même qu'ils promettent un intérêt à ceux qui leur prêtent de l'argent.
Les salaires et les intérêts sont des rémunérations certaines puisque
leur montant périodique est déterminé contractuellement entre les
parties, et leur existence résulte donc des engagements pris par les
entrepreneurs. Quant à ces derniers, ils reçoivent un revenu qu'on
appelle le profit et qui est fondamentalement incertain: sa nature est
en effet résiduelle, c'est-à-dire que le profit est constitué par ce qui
reste disponible dans l'entreprise une fois tous les engagements
contractuels honorés (vis-à-vis des salariés, des prêteurs, mais aussi
des fournisseurs et des clients).
La formation des revenus
résulte donc d'un nombre immense de décisions individuelles qui
rétroagissent les unes sur les autres. Ainsi, s'il existe un progrès
technique important dans certaines activités, ceux qui les développent
seront incités – parce qu'ils en ont la possibilité – à accroître les
salaires offerts pour attirer les salariés dont ils ont besoin. Sur un
marché libre où la concurrence existe, cela entraîne l'augmentation de
tous les salaires, chaque producteur devant répondre aux signaux du
marché et faire le nécessaire pour conserver ou attirer la main-d'oeuvre
dont il a besoin. Il faut d'ailleurs rappeler que la seule cause durable
d'augmentation des salaires ne peut provenir que des innovations, ce qui
inclut d'ailleurs aussi bien les innovations institutionnelles que les
innovations d'ordre purement technologique. Tout le reste, et en
particulier les prétendus efforts en vue d'effectuer une répartition
«juste» des revenus, n'est qu'illusion et démagogie.
Dans une économie en
changement, comme l'est l'économie française, l'incertitude est
nécessairement présente. Les entrepreneurs existent heureusement, et ils
sont les seuls à remplir une fonction sociale indispensable: prendre le
risque en charge. Ils sont rémunérés pour cela par le profit. Celui-ci
dépend, d'une part, de la qualité de leur gestion – et c'est précisément
parce que leur rémunération est risquée qu'ils sont incités à
constamment améliorer leur gestion – et, d'autre part, de l'évolution de
l'environnement qu'ils ne peuvent évidemment pas maîtriser.
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