Je lis dans votre journal l'article de Thibaut André du 15
février 2005 qui, dites-vous, « s'intéresse aux éléments de
l'histoire qui démontrent les bienfaits de l'exercice des
libertés individuelles, ceci afin de promouvoir les idées
libérales ».
Je
suis médiéviste, docteur es-lettres (Université
ParisI-Sorbonne). Comme chargée de cours, j'ai enseigné
pendant 15 ans l'histoire médiévale dans cette même
université. Ma spécialité est le culte à saint Jacques (ma
thèse a porté sur les « cultes à saint Jacques en France au
Moyen Âge ») et il se trouve que je viens de sortir un petit
livre de 128 pages intitulé Le Moyen Âge, chez
Gisserot à Paris.
Je suis surprise de lire sous la plume de Thibaut André le
mot « moyenâgeux » au lieu de « médiéval ». J'aimerais
savoir sur quels textes il s'appuie pour parler de « maintes
dérogations accordées à qui un pèlerin en route vers
Compostelle, qui un vassal serviable »? À ma connaissance,
jamais un pèlerin n'a été dispensé d'impôts et la noblesse
n'a jamais été assujettie à l'impôt. Or un vassal est un
noble, et sa fonction exige qu'il soit « serviable »,
c'est-à-dire au service du seigneur.
Comme aujourd'hui, l'impôt était levé en fonction des
besoins, mais pas n'importe comment. Il l'était par le
seigneur exerçant le droit de ban, lequel exercice a été
éminemment variable au cours des siècles, du roi au prince,
du prince au petit seigneur, du petit seigneur au roi quand
ce dernier a été en mesure de reprendre en main tout le
pouvoir politique dans son royaume.
Je
trouve tout bonnement stupéfiant qu'un grand diplômé se
permette aujourd'hui de parler de « l'obscurantisme et la
rudesse des méthodes du Moyen Âge ». Pour lui, le Moyen Âge
est daté par: « il y a 7 siècles », ce qui nous ramène au
XIVe siècle, pourquoi ce siècle et pas l'un des 10 autres de
la période? Quant à comparer les procédés financiers aux
méthodes « d'une république bananière », là on éclate de rire,
avant de pleurer.
Les expressions « joug anglais », « joug français »
signifient quoi? Nous vivons aujourd'hui sous quel « joug »? Je
suis étonnée aussi d'apprendre que les « sols
pétrolifères » de la Gironde aux 13e-14e siècle aient pu
intéresser la Bourgogne, Paris, Reims, Marseille, Gênes et
même le Vatican. Quels sont les textes qui en font foi?
J'arrête là, tout est de la même veine. À chacun son métier. Le secteur
financier n'implique aucune formation aux métiers de
l'histoire.
Avec mes meilleures salutations,
Denise Péricard-Méa
chargée de la recherche, Fondation David Parou Saint-Jacques
Éditmestre du site
www.saint-jacques.info
Réponse de Thibaut André: |
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Madame,
En réponse à votre courrier suite à mon article du 15
février dernier, je tiens à vous faire part des réflexions
suivantes.
Si vous avez éventuellement pris la peine de lire l’article
jusqu’au bout, vous n’avez visiblement pas jeté un œil aux
références bibliographiques en bas de page. J’ai rédigé ce
papier d’après le livre Quand les Anglais vendangeaient
l’Aquitaine du Girondin Jean-Marc Soyez. Ce dernier
renseigne d’ailleurs une abondante bibliographie à la fin de
l’ouvrage. On y retrouve entre autres le Livre des
Privilèges et le Livre des Coutumes conservés dans les
archives municipales de la Ville de Bordeaux.
Pour ce qui est de l’impôt, vous prétendez qu’il « était, comme
aujourd’hui, levé en fonction des besoins, mais pas
n’importe comment ». Ici, votre subjectivité, votre
méconnaissance de l’économie et votre conception servile de
la vie sociale vous induisent en erreur. Lorsque qu’un
seigneur levait un impôt, à l’instar d’un gouvernement de
nos jours, en fonction de quels besoins le faisait-il?
Avait-il une quelconque vision humaniste à réaliser? Non,
bien sûr, l’impôt était et demeure une mesure coercitive. Il
reste un instrument d’oppression et n’est qu’un transfert de
propriété par le vol sous couvert d‘autorité. Je ne fais
aucune différence entre la coercition exercée de nos jours
et celle exercée au 14e siècle en France ou ailleurs dans la
levée de l’impôt. Si l’impôt était levé en fonction des
besoins, il l’était en fonction des besoins et surtout des
appétits d’une minorité représentant le pouvoir central qui
n’avait que le souci d’asseoir son autorité par la force.
Comprenez-vous que le thème central du Québécois Libre
est la liberté sous-tendant les rapports entre les
individus? J’ai un doute à ce sujet.
La période à laquelle je fais référence s’étend de 1302 à 1337.
Je ne trouve aucune mention dans mon article restreignant le
Moyen Âge à cette période. Même si je ne suis pas diplômé de
la Sorbonne, je suis bien au courant que le Moyen Âge
s’étend sur un horizon temporel beaucoup plus large, ce qui
me serait difficile de concilier dans un bref article.
D’ailleurs, l’intention n’y était pas. Votre accusation est
donc non fondée.
Ma comparaison entre les méthodes de perception de l’impôt
et de la gestion des finances au 14e siècle et celles des
républiques bananières n’engage que moi. Toutefois, je tiens
à insister sur la forte corrélation entre les faits
suivants: levée d’impôts, climat de méfiance, financement de
la guerre, guerres perturbant (stoppant) le commerce,
pauvreté accrue, mortalité élevée et chaos. N’a-t-on pas
retrouvé ce même schéma dans des républiques bananières
entre autres?
Vous dites que vous ne comprenez pas la signification de « joug anglais » et « joug français ». Entre 1302 et 1337, l’Aquitaine
était sous l’autorité du roi Edouard II (joug anglais).
Ensuite, elle tombe sous la tutelle du roi Philippe VI (joug
français). Quant au joug actuel sous lequel nous vivons,
c’est, à mon sens, celui de la dictature soft que
de Tocqueville nous avait prédit.
En ce
qui concerne le pétrole, pour votre gouverne, apprenez que
le processus de formation de l’or noir a commencé il y a
plusieurs millions d’années par la décomposition
d’organismes marins et, dans une moindre mesure,
d’organismes terrestres. Le pétrole extrait par Total en
Aquitaine (autrefois, Elf Aquitaine) était déjà bien là dans
le sous-sol il y a sept siècles. L’utilisation du pétrole de
manière industrielle n’a commencé qu’à la fin du 19e siècle.
Le seul usage au Moyen Âge que j’ai pu trouvé consistait à
immerger des projectiles dans le pétrole et puis à y mettre
le feu. Mon article fait référence de manière purement
factuelle à la consistance des sols aquitains. Je n’y trouve
aucune référence, comme vous le prétendez, à un intérêt de
la part de la Bourgogne, Paris, Reims, Gênes et le Vatican.
Enfin, vous me taxez avec raillerie de « grand diplômé »
alors que le tiers de votre courrier est alloué à la
présentation de votre curriculum. Vous concluez par un
éloquent « À chacun son métier ». Vous attaquez sur des
détails sans avoir perçu le sens même du message délivré par
l’article (moins d‘intervention étatique = prospérité
générale accrue). Votre discours a tout de l’intelligentsia
hautaine et suffisante qui croit, à tort, que la
connaissance et l’analyse sont concentrées entre les mains
des hauts universitaires.
Thibaut André
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