Montréal, 15 avril 2005 • No 153

 

ÉDITORIAL

 

Martin Masse est directeur du Québécois Libre.

 
 

LE SCANDALE DES COMMANDITES ILLUSTRE LA FAILLITE MORALE DE L'ÉTATISME

 

par Martin Masse

 

          Les scandales de corruption politique se suivent mais ne se ressemblent pas nécessairement. Celui des commandites, qui pourrait très bien provoquer la chute du gouvernement libéral à Ottawa et un réalignement politique majeur, atteint des proportions et provoque des réactions que l'on n'a pas vues depuis des décennies.

 

          Et pourtant, à la base, le phénomène est exactement le même que lors du scandale du Canadien Pacifique dans les années 1870, ou d'autres affaires de corruption qui ont parsemé l'histoire de ce pays et de n'importe quel autre. Des hommes d'affaires graissent la patte à des politiciens et à des hauts fonctionnaires pour obtenir des contrats juteux du gouvernement. Ces firmes engagent des militants du parti. Des fonds alloués à des contrats fictifs reviennent dans les caisses du parti.

          On se demande pourquoi tant de gens se disent bouleversés et scandalisés d'apprendre que ces choses se produisent. Tout le monde est probablement conscient que ces combines existent, exactement comme on connaît tous quelqu'un qui travaille au noir ou qui fraude le gouvernement. Mais la plupart des gens gardent un espoir naïf que fondamentalement, l'État est une institution bénigne qui fonctionne de façon honnête et équitable.

          Il n'y a toutefois aucunement lieu d'être surpris quand on sait qu'il est au contraire fondé sur la coercition (personne, même les individus pacifiques qui veulent simplement qu'on leur laisse la paix, ne peut échapper aux diktats même les plus inutiles et farfelus des politiciens), le vol légalisé (l'impôt est une façon légale de soutirer de force un tribut à la population) et la corruption (les gouvernements ne cessent d'acheter des clientèles avec l'argent volé de façon à consolider leur pouvoir) et donc sur l'immoralité.
 

Sauver le pays

          Les actes illicites rapportés par la Commission Gomery ont été commis dans le cadre d'un programme bien précis qui visait à « sauver le pays » suite aux résultats serrés du référendum de 1995. Une noble cause, pourrait-on croire, qui aurait dû susciter les engagements les plus désintéressés. Mais sauver le pays, cela signifie simplement, si on enlève tout le tralala patriotique pré-fabriqué et qu'on regarde les choses plus froidement, assurer la survie de l'État fédéral canadien en tant qu'institution parasitaire qui impose son contrôle sur la moitié du continent nord-américain. L'État – tout État – étant fondé sur la corruption et l'immoralité, pourquoi devrait-on s'attendre à ce que des attitudes différentes s'expriment lorsque c'est sa survie même qui est en jeu? Au contraire, l'appât du gain, et la peur de perdre cet extraordinaire filon, ont dû être décuplés dans les milieux fédéraux dans le contexte de fébrilité post-référendaire.

          Ce n'est bien sûr pas un hasard si le plus gros scandale de corruption à avoir lieu au Canada depuis des décennies se passe au Québec. C'est ici que se trouve le terrain d'affrontement le plus intense entre deux États voraces qui veulent plus de pouvoir, plus de contrôle, plus de fonds à redistribuer, au point où l'un veut complètement tasser l'autre. Lorsque deux parasites s'affrontent dans une lutte à finir pour obtenir le contrôle de l'« hôte » à parasiter, c'est-à-dire la population, on n'a pas à se surprendre encore une fois si les règles du jeu ne sont pas celles d'une joute entre gentlemen.

          Le Québec n'est bien sûr pas le seul endroit où ces crimes sont commis. Keith B. McKerracher, un ancien président de l'Institute of Canadian Advertising, déclarait la semaine dernière dans le National Post:
 

          No one should think that a cosy relationship between advertising agencies and government advertising was invented in Quebec. For decades the largest advertising agencies in Canada, all based in Toronto, have been giving free services to political parties during elections. If they were lucky enough to support the party that formed the government, they were rewarded with the advertising contracts for large government accounts, such as (at the time) Air Canada, Canada Post, the annual saving bond sales season, Via Rail, and so on. Not long after I became the president and CEO of the Institute of Canadian Advertising, in 1978, I spoke out publicly against this practice. I was immediately told that if I continued to criticize the system, I would be dismissed. All that the Quebec agencies have done, in my opinion, is to refine the system.

          La corruption est partout, ce qui n'est pas une grosse révélation, puisque l'État est partout également. Ces pratiques se retrouvent dans le milieu de la publicité ailleurs au Canada, comme le dit M. McKerracher. Et des tas d'autres scandales nous ont montré que le milieu de la construction, le milieu syndical, le milieu juridique, et tous les autres milieux qui sont directement liés ou fortement réglementés par l'État subissent le même type de corruption.
 

« Ce n'est bien sûr pas un hasard si le plus gros scandale de corruption à avoir lieu au Canada depuis des décennies se passe au Québec. C'est ici que se trouve le terrain d'affrontement le plus intense entre deux États voraces qui veulent plus de pouvoir, plus de contrôle, plus de fonds à redistribuer, au point où l'un veut complètement tasser l'autre. »


          On ne peut toutefois s'empêcher de constater que c'est dans la province où les moeurs électorales sont censées avoir été nettoyées il y a longtemps que ces révélations sont faites. Certaines touchent d'ailleurs les partis provinciaux. Les mêmes agences de publicité auraient fait des « dons » importants tant au Parti québécois qu'au Parti libéral du Québec dans le but d'obtenir des contrats de sociétés publiques, et cela en contournant la loi qui ne permet que des donations individuelles d'au plus 3000 $. Mais il suffit de trouver plusieurs donateurs (des employés de la firme en question par exemple) qui feront tous des dons maximum, et le tour est joué.

          Le chef péquiste Bernard Landry a prétendu ne pas savoir que des compagnies se livraient à de telles pratiques. Que des politiciens soient menteurs et hypocrites dans un système qui encourage l'hypocrisie n'est bien sûr pas plus surprenant que le reste. Comme l'écrivait un chroniqueur du Devoir, il doit bien être la dernière personne au Québec à ne pas le savoir. Il y a déjà dix ans, un ami qui militait au Parti québécois m'expliquait que ces pratiques pour contourner la loi électorale étaient courantes. Tout le monde qui a milité dans un parti provincial sait que lorsqu'un donateur veut offrir un montant qui dépasse la limite, on ne lui dit pas que c'est impossible, on trouve des supporters qui prêteront leur nom pour une donation qui ne vient pas d'eux.
 

Une autre réforme électorale?

          Que faire pour éviter que cette corruption se produise? Les naïfs croient qu'il suffirait d'une loi encore plus sévère et hop!, le tour est joué, tout le monde devient blanc comme neige. Mais si c'était le cas, il n'y aurait plus de trafic de drogue depuis longtemps, la loi étant très sévère à cet égard. Les gains potentiels étant très élevés, des milliers de trafiquants continuent pourtant à courir le risque de se faire prendre.

          De la même façon, les gains potentiels du trafic d'influence sont énormes. Nos gouvernements dépensent des dizaines de milliards de dollars par année pour divers biens et services qui peuvent faire la fortune d'un fournisseur. En économie, les incitations comptent. Aussi longtemps que de fortes incitations existent, certains seront prêts à contourner la loi pour y répondre.

          Bernard Landry, en bon politicien étatiste, ne peut imaginer d'autre solution que celle d'un contrôle accru de l'État. Il admet qu'il serait difficile de mettre en place des contrôles absolus sur la provenance des contributions aux partis politiques. « À moins d'être dans un État policier, il serait difficile pour un parti d'être à l'abri de ça. » (La Presse) Ah!, ce serait si commode un État policier. Il opte néanmoins pour une contrôle plus « soft », soit un financement totalement public des partis politiques, qui correspondrait probablement au nombre de votes obtenus. On le comprend rapidement même si Landry ne l'explicite pas, ce système aurait aussi l'avantage d'éliminer toute nouvelle compétition aux partis en place dans l'arène politique. En effet, un nouveau parti ne pourrait obtenir de financement qu'à la condition d'avoir préalablement obtenu un appui électoral significatif; mais il pourrait difficilement obtenir cet appui s'il n'a aucun fonds pour mener une campagne décente.

          La seule solution efficace ne lui est sûrement pas passée par la tête: réduire la taille de l'État. Il n'y aurait plus de trafic d'influence pour obtenir des contrats de la Société des alcools du Québec si on privatisait cette société d'État. Ses décisions seraient alors des décisions d'affaires, dans un marché compétitif. La logique est la même pour tous les secteurs d'activité de l'État. Deux États minuscules, à Québec et à Ottawa (ou même un seul, ou pourquoi pas aucun!), qui ne se feraient plus une lutte constante pour s'arroger les pouvoirs l'un de l'autre, n'auraient sans doute plus les problèmes de légitimité qu'ils ont, et n'auraient donc plus besoin de dépenser des centaines de millions de dollars en publicité pour susciter la loyauté de leurs commettants.

          Le scandale des commandites illustre à merveille l'immoralité de l'étatisme. Un tel scandale ne pourrait tout simplement pas survenir dans une société libertarienne. Dans une société libertarienne, l'État, s'il existe encore, serait une sorte d'entreprise privée offrant des biens et services sur un territoire donné à des clients libres de faire affaire ou non avec lui et de le remplacer par un autre. Il devrait se soumettre à des règles d'éthique aussi sévères que celles qui ont cours dans le marché privé. Dans un tel contexte, un État corrompu comme ceux qui sévissent aujourd'hui s'effondrerait complètement, aussi rapidement qu'Enron s'est effondré.

          Il reste à espérer que ces événements ouvriront les yeux à ceux qui croient encore naïvement dans les vertus de ce système et nous rapprocheront un peu plus de l'effondrement des États canadien et québécois.
 

 

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