Au demeurant, s'il faut
permettre que la liberté d'association des gens puisse être
ainsi brimée de façon à protéger le mouvement syndical, il
n'y a certes pas lieu pour le mouvement syndical de
s'appuyer sur la liberté d'association pour condamner
quelque décision d'entreprise que ce soit. Le syndicalisme
tel qu'on le connaît repose en effet sur la violation de la
liberté d'association avant de reposer sur son respect.
Être forcé de faire affaires? |
L'autre conclusion à tirer des propos du professeur Grant est
qu'en vertu de la liberté d'association permettant à des
salariés de former une unité de négociation, une entreprise
ne devrait pas avoir la liberté de fermer ses portes quand
bon lui semble ou, autrement dit, devrait être forcée de
poursuivre ses opérations contre son gré en certaines circonstances.
Il y a lieu de se
demander dans quel espèce de système économique nous serions
si,
pour démarrer une entreprise, un entrepreneur devait
composer avec cette épée de Damoclès voulant qu'il puisse
être forcé de maintenir ses portes ouvertes advenant telle
ou telle situation et ce, malgré qu'il juge que pour
protéger ses
intérêts, il soit préférable de fermer boutique.
Dans la même veine que M.
Grant, un professeur de la Faculté de droit de l'Université
Laval, Pierre Verge, publiait, dans l'édition du 15 mars
2005 du Journal du Barreau, un article au sujet de la
fermeture d'entreprises pour des motifs antisyndicaux(2).
Passant rapidement en
revue la jurisprudence parsemée ayant déjà traité de près ou
de loin de la question, et repoussant pour divers motifs la
logique des décisions non-favorables à sa position, il en
arrive à indiquer ce qui suit:
Toutefois, le système juridique n'accepte pas que cette
liberté – dont peut autrement se réclamer un employeur
pour fermer, totalement ou partiellement, l'entreprise
dont il est propriétaire – puisse contrevenir à l'ordre
public. |
Et il ajoute plus loin:
Fermer une entreprise en raison de l'exercice de la
liberté syndicale, selon ces lois, nous fait ainsi
entrer dans la sphère de l'illégalité. |
Associer ainsi les notions de liberté et de
syndicalisme tient presque d'une forme d'humour noir. La
« liberté syndicale », c'est la loi de la majorité(3)
et la coercition pour les autres, regroupées sous le
sobriquet accrocheur de « solidarité ». Il y a en fait bien
peu de termes qui soient plus incompatibles avec le mot
« liberté » que le mot « syndical » dans
le contexte de la Formule Rand.
Ceci étant dit, il faudrait
comprendre des propos du professeur Verge que l'ordre public, et rien de moins, exige d'un
employeur qu'il soit forcé de poursuivre ses opérations même s'il le
juge inapproprié ou préjudiciable, si sa décision de cesser
ses activités repose sur le fait qu'il ne souhaite pas gérer
son entreprise en présence d'un syndicat.
Autrement dit, protéger l'existence d'une entité syndicale
qui s'est
implantée dans une entreprise constituerait un fondement de
notre société, alors que l'entreprise créatrice d'emplois
n'en serait, elle, qu'un accessoire, forcée de s'y adapter, sans
quoi l'ordre de la société dans laquelle nous vivons serait
menacé. De plus, l'exercice de la
« liberté syndicale » l'emporterait sur la liberté de
contracter. Ainsi, refuser de se soumettre à la première
en exerçant la seconde impliquerait de commettre une
illégalité.
Il est difficile
d'interpréter les propos du professeur Verge sans y lire que
l'existence du syndicalisme doit avoir préséance sur celle
de l'entreprise. L'entreprise se voit donc au service de la syndicalisation. Elle ne
peut poursuivre ses autres objectifs qu'une fois son but
principal rempli, soit celui d'assurer l'exercice de la
« liberté syndicale », ceci étant une exigence d'ordre public.
Ultimement, l'importance qu'il faudrait accorder à la
syndicalisation des emplois l'emporterait sur celle qu'il
faudrait accorder à leur existence même.
De telles affirmations
sont consternantes, mais sachant
que le corps professoral universitaire est syndiqué, faut-il
se surprendre des propos de MM. Grant et Verge?
Il n'y a pas si longtemps, on entendait des groupes
socialistes ou des syndicalistes prétendre que les magasins Wal-Mart
appauvrissent les régions. L'on aurait donc pu s'attendre à
un soulagement, voire même de la joie, suite à la fermeture
du magasin, mais fort étrangement, une telle réaction ne
s'est pas exprimée.
Par l'effet du jeu de
l'offre et de la demande, les produits et services vendus
par le magasin seront dorénavant vendus par d'autres. Ceci
pourra encourager la création de nouveaux
emplois chez les compétiteurs du magasin Wal-Mart, et ainsi
permettre à une partie des ex-employés du magasin de se
dénicher un emploi similaire.
Les conditions offertes
par ces nouveaux emplois ne seront pas supérieures, et
probablement pas égales, à celles offertes par Wal-Mart, et
le consommateur saguenéen n'en sortira certainement pas
gagnant au change.
À la fin, on se demandera
toujours dans quel but cette démarche syndicale a été
lancée.
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