Bonjour,
Sans être « Européen » de
naissance, je le suis depuis 1946. Par un
beau dimanche (j'ai le souvenir d'un
agréable soleil) d'élections,
j'accompagnais mon père allant « faire son
devoir » lorsqu'il s'est tourné vers moi
pour me dire: « nous ne sommes pas
Français, nous sommes Européens ». Il
avait payé le prix fort de sa Francitude
puisque, refusant en qualité de
sous-officier (rappelé par erreur et
maintenu pas omission) de travailler pour
l'ennemi, il avait subi toutes les
oppressions possibles de la part de la
Wehrmacht: sous alimentation au-delà du
supportable, travaux forcés à casser des
cailloux, etc. Lorsqu'il est revenu, après
un passage par divers hôpitaux, il pesait
une quarantaine de kg pour 1,85 m.
Cependant, il pensait à sa mère d'origine
autrichienne (petite fille de l'architecte
autrichien Jean-Charles Krafft venu
s'installer à Paris à la fin du 18ème
siècle où il est mort en 1830 après avoir
publié de nombreux ouvrages en français
dont Les plus beaux jardins de Paris et
Les plus belles façades de Paris vendus
à prix d'or chez les marchands de livres
anciens), à un oncle par alliance
polonais. Mon père était né en Amérique du
Sud après que son propre père, dégoûté par
la fatuité des Français avant la guerre de
1870 et leur lamentable débandade face aux
Allemands, ait quitté la France pour
l'Équateur.
Du côté de ma mère d'origine méridionale,
quoique née à Paris, on trouvait aussi une
tante polonaise du nom de Wlaxiborska (si
je ne déforme pas trop ce nom).
La tradition continue puisque ma
belle-soeur est hongroise et que mon
gendre est chinois.
En janvier 2003, la « grand-messe »
franco-allemande à Versailles m'a fait
verser des larmes de bonheur: voir des
ministres allemands venir siéger à Paris
et des ministres français participer aux
délibérations de Berlin, assister à la
création d'ambassades communes, lire
l'annonce du rapprochement des
dispositions de nos Codes civils
respectifs, etc. Depuis, rien. Tout est
oublié. Ce n'était qu'une bulle de savon
de plus.
Comme la création de la France a nécessité
la perte de souveraineté des ducs et
comtes de Bourgogne, d'Anjou, d'Artois,
d'Aquitaine et d'ailleurs, la création de
l'Europe sonne le glas des « nations »
actuelles, prolongement des anciens
duchés. À défaut, leur « Union Européenne »
n'est rien d'autre qu'une resucée en plus
large de « l'Association Européenne de
libre-échange » – qui fonctionna sous
l'autorité du Royaume-Uni.
Ça, c'est NON.
Leur « traité constitutionnel » est
présenté comme un rempart contre
l'immigration. Il vise donc à renforcer
les champs de mine (plus exactement, le
carrousel de satellites observés par
Francfort) qui enferme la « citadelle Europe ». Ce qui
n'empêche pas, simultanément de déplorer
la faible envie de reproduction des femmes
d'Europe et d'annoncer le déclin de cette
zone et d'abord la faillite des caisses de
retraite faute de cotisants. Contre cette
absurdité toute droite héritée du
stalinisme, c'est NON.
Parce que je suis viscéralement attaché à
l'Europe, ce sera NON, NON et NON.
Claude Garrier
Docteur en Droit
Réponse de
Jean-Christophe Delmas: |
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Monsieur,
Votre réponse m'a touchée.
Tout d'abord parce qu'elle me change des
insultes que j'essuie depuis la
publication de mon petit pamphlet (mais je
l'ai sans doute cherché). Ensuite, parce
que je me reconnais un peu dans votre
parcours: mon grand père, polonais
d'origine, aurait été soviétique s'il
n'était pas parti, lui et les siens, puis
ukrainien, après 1991 (et allemand pendant
une courte et funeste période). Le père de
ma compagne, à moitié ukrainien lui aussi,
combattait dans les rangs de la Wehrmacht
sur le front de l'Est. Par la suite, il
servit comme de nombreux soldats allemands
démobilisés dans la Légion étrangère, ce
qui lui valu la « chance » de rester
prisonnier quelques mois à Dien Bien Phu,
puis d'enchaîner directement sur
l'Algérie, où il rencontra mon italienne
de belle-mère. J'en passe sur la partie
espagnole de notre famille, bref: comment
voudrait-on que je ne me sente pas
européen. Sans compter mon parcours
culturel et personnel, qui m'ont attaché à
l'Angleterre, la Belgique, mais aussi, les
États-Unis que je ne hais point et la
Chine, où je rêve de retourner. Citoyen du
monde me siérait parfaitement, si je
devais me définir. Disons que le monde, ce
sont mes voisins, mais que l'Europe est ma
famille. C'est pourquoi, malgré nos
similitudes, je milite pour le oui, pour
plus d'Europe, pour faire simple.
Voilà, je ne souhaitais pas polémiquer
avec vous, mais juste vous répondre parce
que vous m'avez fait l'honneur de me dire
vos raisons profondes. Je continue de
militer pour le « oui », de combattre le
« non » en somme, tout en respectant et
partageant votre idéal.
Bien à vous,
Jean-Christophe Delmas
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