Le pari de l'innovation ne concerne pas uniquement
les secteurs très pointus de la haute technologie ou
le domaine privilégié de l'information. Il s'inscrit
dans la nature même de toute activité économique.
Une activité économique est une activité de création
de richesses, donc une activité de création.
L'innovation, parce qu'elle crée des nouvelles
connaissances qui s'additionnent aux connaissances
existantes, est par essence une activité économique
comme l'activité de création de richesses est
par essence une activité d'innovation. La
technologie est le vecteur de l'innovation et
intervient comme un outil de mise en oeuvre du
changement; elle ne peut être ni la finalité, ni le
ressort lui-même de l'innovation. Dans une économie
ouverte à la compétition, dans laquelle la
consommation de « quantité » basée sur l'équipement
des ménages a laissé la place à une consommation de
« qualité » basée sur le renouvellement périodique
de leurs standards de consommation, l'innovation est
donc au coeur des préoccupations et des stratégies
des entreprises.
Cette prise de conscience est concomitante d'un
retour en force des théories de l'innovation et des
analyses des stratégies technologiques dans la
science économique(1). Cette évolution dans les
théories reflète une évolution dans les pratiques
des entreprises. Mais pour les industriels,
l'innovation est moins un enjeu académique qu'une
nécessité pour survivre sur des marchés évolutifs et
ouverts. Pour le Groupement des Fédérations
industrielles, innover, c'est « transformer une idée
en produit qui trouve une demande sur le marché »(2). C'est dire si l'innovation est au carrefour de
multiples univers: l'univers de la science et des
technique qui fabrique les idées et nourrit le champ
des connaissances; l'univers de l'entreprise qui
permet l'exploitation des connaissances à des fins
productives; l'univers des institutions publiques
qui assure la formation, l'éducation et le respect
de la propriété intellectuelle.
Le décloisonnement de chacun de ces univers est
alors devenu un défi majeur de notre temps dans un
contexte d'innovations permanentes où les phénomènes
de réseaux viennent mettre en cause les
constructions trop pyramidales. La compétition
technologique invite à multiplier les interactions
entre universités et entreprises, à favoriser
l'émergence de passerelles entre le monde de la
science et le monde des affaires. La compétition se
vit aussi paradoxalement dans la coopération.
L'entreprise est sans cesse remise en cause dans son
fonctionnement car la tentation du cloisonnement y
est forte à l'intérieur même de ses propres
structures. La compétition technologique invite ici
aussi à multiplier les interactions au sein même de
son organisation, entre le département technique et
le service commercial, ou entre le service financier
et les laboratoires de recherche internes.
L'entreprise ne doit pas perdre de vue que le
véritable pouvoir économique n'est détenu in fine
ni par les actionnaires, ni par les managers
mais par le consommateur. Le consommateur détient un
pouvoir que l'on appelle le « pouvoir d'achat ».
Dans une économie concurrentielle, c'est toujours le
consommateur qui a le pouvoir de décider d'acheter
ou non tel produit. C'est lui qui sanctionnera la
valeur économique de tel ou tel produit, quel que
soit son coût intrinsèque de production. C'est donc
bien lui qu'il s'agit de convaincre, et des
actionnaires judicieusement informés suivront: « Le
roi du chocolat – ou de l'acier, ou de l'auto, ou de
quelque autre industrie d'aujourd'hui – dépend de
l'industrie où il travaille et de la clientèle qu'il
fournit. Ce "roi" doit rester en faveur auprès de
ses sujets, les consommateurs; il perd sa "royauté"
dès qu'il n'est plus en mesure d'assurer à ses
clients de meilleurs services, et de les fournir à
moindre coût que les autres industriels avec
lesquels il est en concurrence »(3).
L'ouvrage analyse les liens profonds qui unissent le
marché, la dynamique de croissance économique et les
innovations. Dans une première partie, nous
porterons l'accent sur la relation entre compétition
et stratégies d'innovation.
Cette partie montre l'importance des structures
économiques dans la dynamique du changement.
L'existence de rythmes nous invite à considérer la
nature fluctuante du changement technologique et son
rôle dans le développement économique. Dans la
seconde partie, il sera question d'explorer la
dimension humaine de l'innovation. La tentation est
grande en effet d'une part, de réduire l'innovation
à une question de pure technique; d'autre part,
d'assimiler l'évolution technologique à un trend
mécanique sans prendre en compte les décisions des
acteurs qui font ou ne font pas le succès de
l'innovation et de sa diffusion.
Le rôle des organisations et des modèles
organisationnels, ainsi que la place des individus
dans ces collectifs organisés, sont des aspects
essentiels du processus d'innovation. Cette analyse
nous conduira, enfin, à réfléchir sur le fameux « paradoxe français » qui n'est qu'une autre façon de
caractériser notre exception culturelle dans le
domaine de la production des innovations.
En effet, notre pays s'est longtemps distingué par
la qualité de sa production scientifique tout en
souffrant de décalages technologiques et industriels
chroniques. Ce diagnostic nous aidera à exposer les
modalités de gestion des innovations qui permettent
de tirer parti, sur le plan économique et social,
des potentialités de développement et de création de
richesses que contient l'innovation.
|