Dans le chapitre P-40.1
de la Loi sur la protection du consommateur, on peut
lire, entre autres, que:
Pour déterminer si un message publicitaire est ou non
destiné à des personnes de moins de treize ans, on doit
tenir compte du contexte de sa présentation et
notamment: a) de la nature et de la destination du bien
annoncé; b) de la manière de présenter ce message
publicitaire; c) du moment ou de l'endroit où il
apparaît.
Le fait qu'un tel message
publicitaire soit contenu dans un imprimé destiné à des
personnes de treize ans et plus ou destiné à la fois à
des personnes de moins de treize ans et à des personnes
de treize ans et plus ou qu'il soit diffusé lors d'une
période d'écoute destinée à des personnes de treize ans
et plus ou destinée à la fois à des personnes de moins
de treize ans et à des personnes de treize ans et plus
ne fait pas présumer qu'il n'est pas destiné à des
personnes de moins de treize ans. [Pffiou! rien
compris.] |
On le voit, ces règles sont tellement vagues qu'elles
peuvent vouloir dire une chose et son contraire (quand elles
veulent dire quelque chose). Elles sont
tellement floues qu'elles peuvent s'appliquer à n'importe
quelle publicité présentement diffusée. Ce qui est clair par
contre, c'est qu'elles gardent bien du monde occupé –
beaucoup de
ronds-de-cuir syndiqués et bien rémunérés. Ce n'est donc pas
demain la veille qu'on les verra disparaître. Pourtant,
selon Karen Sternheimer, auteure du livre It's Not the Media –
The Truth About Pop Culture's Influence on Children
(Westview Press, 2003), nos enfants ne s'en porteraient pas
plus mal.
Pour la professeure de sociologie californienne,
les enfants ne sont pas si vulnérables qu'on le croit devant le flot de
publicités qu'ils voient à la télé. Et tout faire pour
éviter qu'ils n'entrent en contact avec le monde
publicitaire ne leur ferait aucun bien:
Dans le débat sur les enfants, la publicité, et la
consommation, les aptitudes des enfants sont souvent
ignorées au détriment d'images d'innocence corrompue par
le médium.
Des appels sont lancés aux parents pour qu'ils
« protègent » leurs enfants de la publicité et qu'ils
limitent le plus possible leur « diète média ». Mais
selon une étude publiée en 1998, plus un adolescent
regarde la télé, plus il a tendance à être sceptique et
à connaître les rouages du milieu. […] Il est souvent
plus facile de voir les enfants comme des victimes
impuissantes plutôt que des décideurs critiques – comme
les adultes. |
Un
enfant qui grandirait devant le petit écran serait moins
vulnérable à la publicité que celui qu'on
tenterait de couver. Il en viendrait rapidement à
connaître toutes les astuces utilisées par les
publicitaires et deviendrait ainsi un citoyen averti. Lui
refuser cet « apprentissage » ne ferait que lui nuire à long
terme. Et de toute façon, contre quoi protège-t-on les
enfants? Les annonces de céréales mettant en vedette des héros de bande
dessinée? Celles de jeux électroniques avec effets spéciaux
et musique attrayante? Vous avez regardé la télé récemment?
Elles existent malgré la loi. Personne n'a développé de cancer...
Mais faites un sondage
demain et vous verrez qu'une majorité d'adultes appuient la
réglementation encadrant les publicités pour enfants. Ils
ont eux-mêmes une relation amour-haine avec la chose
(plusieurs sondages suggèrent qu'ils sont arrivés « à un
point de saturation ») et croient qu'elle est tout sauf
saine. Si la publicité a
une emprise sur eux, elle ne peut qu'en avoir une plus
grande
sur les plus jeunes qu'eux. Pourtant, ce n'est pas le cas:
Nous, adultes, avons tendance à nous voir comme des êtres
matures et en position d'invulnérabilité face à la pub – ce qu'on pourrait
appeler le phénomène « pas moi, mais
l'autre » –, nous croyons rarement être influencés par la publicité, mais sommes
convaincus que les autres le sont. Pourtant, plusieurs
études démontrent que les enfants sont plus futés que
l'on croit. Ce qui ne devrait pas nous surprendre; une
personne élevée dans un milieu médiatiquement saturé
développe la capacité de penser au-delà du simple « je
vois, je veux, j'achète ». […] les enfants, comme
les adultes, ne sont pas nécessairement dupes devant les
publicités qu'ils apprécient. Le comportement du
consommateur est plus complexe que la relation cause à
effet; la persuasion est un exercice complexe dont la
publicité n'est qu'une des nombreuses facettes. […]
Des recherches indiquent
que les enfants de moins de six ans peuvent être
critiques face aux publicités et qu'une fois passé le
cap des huit ans, presque tous sont
sceptiques face aux réclames des publicitaires. Les
enfants d'âge préscolaire, eux, sont peut-être moins critiques, mais
ils sont aussi moins susceptibles de se souvenir d'une
publicité longtemps après sa diffusion. Une étude réalisée par la spécialiste du
marketing Deborah Roedder John et portant sur vingt-cinq années de
recherche en publicité suggère que la
connaissance des tactiques de publicité et le niveau de
scepticisme des préadolescents (dix à douze ans) sont
similaires à ceux de jeunes adultes. |
Bien que l'approche rationnelle de Sternheimer nous change de
celle des alarmistes de salon qui voient partout des
victimes du secteur privé, je ne crois
pas que laisser les enfants devant le petit écran soit la
meilleure façon de les « protéger ». La télévision donne une
bien drôle de vision du monde – il suffit de cesser de la
regarder durant quelques années pour s'en rendre compte. Je
serais plutôt du genre à ne pas laisser mon fils passer des
heures devant, ou à ne pas permettre le téléviseur dans la
chambre de ma fille. Ceci dit, s'il existe une solution à tout ce
dilemme, elle est sans doute plus près de la position de
Sternheimer qu'elle ne l'est de celle du législateur.
Le règlement relatif à la
publicité destinée aux enfants est entré en vigueur alors
même que la télécommande commençait à faire son entrée
massivement dans les foyers nord-américains. Depuis, nous
avons connu une explosion de l'offre télévisuelle câblée,
l'arrivée de la télévision numérique, et internet. L'enfant
âgé de moins de 13 ans aujourd'hui jouait avec une
télécommande bien avant de jouer avec un hochet. En plus de
zapper de chaîne en chaîne (particulièrement durant les
pauses publicitaires, ne sont-elles pas faites pour cela?),
il a accès à une multitude de signaux provenant
d'en dehors de la province (là où on n'est pas tenu de
respecter le règlement). Il regarde la télé à n'importe
quelle heure du jour (là où les règles ne s'appliquent pas
aussi sévèrement). Il voit énormément de publicités qui lui
sont adressées autant qu'elles sont adressées à sa soeur
aînée ou à son père. La réglementation n'a plus aucun impact
sur sa vie. Mais on a oublié que des gens l'administrent.
Qu'elle rend la vie difficile à bien des publicitaires qui
doivent faire toutes sortes d'entourloupettes pour rejoindre
une clientèle qui somme toute est comme une autre – les
enfants ont aussi des désirs. On tirerait la plogue sur tout
ça demain et personne ne s'en rendrait compte.
En bout de
ligne, les parents demeurent encore et toujours les mieux placés pour
déterminer ce qui est bon ou non pour leurs enfants. Ils
demeurent les mieux placés pour prononcer le fameux « non »
lorsque les enfants se font trop insistants. Malgré le
manque de jugement de certains, ils valent bien mieux que
n'importe quelles normes canadiennes de la publicité,
n'importe quelle Loi sur la protection du consommateur. Laissons les publicitaires s'autoréguler et les parents encadrer
leurs rejetons. Et que les bureaucrates censeurs se trouvent
mieux à faire.
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