Les pages du Québécois Libre contiennent de nombreux articles
dénonçant cet état des choses, notamment ceux rédigés par Gilles
Guénette; ici, j'essaierai plutôt de comprendre les causes de ce
phénomène apparemment mondial et d'expliquer brièvement pourquoi le
libéralisme économique, contrairement à la croyance populaire, est un
jardin d'Éden pour la créativité artistique.
Le grand schisme entre l'art et le
libéralisme |
En réponse au « pourquoi? » du préjugé anticapitaliste, l'élite
intellectuelle répondra intuitivement que les gens de « la masse »
n'ont pas les capacités mentales nécessaires pour saisir d'emblée
l'évidence du rêve socialiste et qu'ils se font manipuler par la
publicité émanant des corporations privées. Au contraire, Hayek
remarque: « plus on cultive l'intelligence, plus on développe
l'instruction, plus les opinions et les goûts des individus se
différencient, et plus difficilement ils s'entendent sur une certaine
hiérarchie des valeurs. Comme corollaire de cette thèse, nous pouvons
affirmer que plus nous recherchons l'uniformité, le parallélisme
parfait des vues personnelles, plus il nous faut descendre vers les
régions d'un climat moral et intellectuel primitif, où les instincts
et les goûts "ordinaires" dominent. »(1) Ainsi, puisque la supposée intelligence
supérieure de l'élite ne peut expliquer ses allégeances politiques,
que reste-t-il?
Dans son pamphlet The
Anti-Capitalistic Mentality(2), Mises énonce sa théorie selon
laquelle la plupart des arguments contre le capitalisme ne sont pas de
nature économique, mais sociologique. En effet, une caractéristique
notoire du libéralisme économique est de favoriser avant tout les
entrepreneurs (c'est-à-dire ceux dont le but est de répondre aux
besoins des autres dans une perspective de profit). Auparavant, sous
le régime féodal, les artistes jouissaient d'une confortable
indépendance monétaire tant que leurs oeuvres plaisaient à un noble et
riche mécène. Le passage à une économie industrielle transforma cette
exigence en celle de plaire à une panoplie de consommateurs, ce qui
fut difficile pour certains artistes moins productifs ou aux idées
plus obscures et hermétiques. En simplifiant les choses, la rancoeur de ces
artistes face au capitalisme découlerait de la jalousie qu'ils
ressentent en constatant la place privilégiée des entrepreneurs et en
la comparant à leur position sociale moins enviable, malgré leur
conviction profonde d'être moralement supérieurs.
D'autre part, si les
objections au capitalisme sont rarement fondées sur des principes
économiques, ces derniers peuvent toutefois nous aider à comprendre
les motivations derrière le soutien indéfectible des artistes à
l'autorité étatique. Adoptons une perspective semblable à la théorie
du Public Choice(3), en substituant
seulement les artistes aux politiciens et bureaucrates. Nous pouvons
considérer que les artistes, à l'image des gens « ordinaires », restent des êtres rationnels agissant
dans leur propre intérêt. Cet intérêt particulier étant de recevoir
une rémunération afin de produire et diffuser leurs oeuvres, deux
choix s'offrent à eux: commercialiser des oeuvres plaisant à un public
assez large pour rentabiliser leur investissement, ou tenter de
court-circuiter le marché libre en quémandant des subventions à
l'État. Une fois la structure gouvernementale mise en place, il serait
stupide (bien qu'admirable) de renoncer à ce privilège en réclamant
son abolition. Au contraire, il devient avantageux d'encourager un
accroissement toujours plus marqué de la taille de l'État afin de
protéger ses acquis (en agitant l'épouvantail du déclin de la
culture).
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