La première vision permet
la diversité des expériences, elle est source
d'innovation et de progrès; la seconde tend à figer
les situations, à empêcher la recherche des
meilleures solutions, à renforcer les décisions
bureaucratiques et politiques. En fait, lorsque
l'intégration politique avance, c'est l'intégration
économique par la concurrence qui recule. Or, la
Constitution européenne, en étendant la liste des
domaines de compétence partagée, en renforçant les
pouvoirs centraux des institutions communautaires,
en légitimant toutes sortes de « droits sociaux »,
donnait une impulsion à l'approche centralisatrice
et interventionniste.
Il était vital que soit
donné un coup d'arrêt à cette dérive communautaire.
On pouvait craindre en effet que, dans un processus
de centralisation des décisions, la mécanique même
des négociations conduise à un renforcement
continuel de l'interventionnisme européen, alors
que, dans une Europe décentralisée, les pays qui le
désirent peuvent mettre en oeuvre des solutions plus
libérales comme le font maintenant avec succès un
grand nombre de pays anciennement communistes – de
telle sorte que l'on peut espérer la mise en oeuvre
d'un processus de contagion des bonnes idées par
l'exemple.
Telle est d'ailleurs
toute l'ironie du référendum qui vient de se
terminer: enfermés dans leur environnement purement
national, certains des principaux défenseurs du non
se sont imaginé sans doute qu'ils pourraient obtenir
une renégociation du traité constitutionnel,
renforçant encore l'interventionnisme européen en
faveur d'une généralisation du fameux modèle social
français. C'est là une pure illusion car un grand
nombre de nos partenaires de l'Union européenne
considèrent ce modèle avec pitié ou même mépris. La
Constitution européenne rejetée était donc pour les
admirateurs du modèle social français un texte
inespéré, une occasion qui ne peut pas revenir.
Que peut-il alors se
passer maintenant? Rejetons tout d'abord l'idée
émise par certains, en particulier l'ancien
président Giscard d'Estaing, de demander aux Français
de voter de nouveau. Il y a là un mépris des
électeurs tout à fait stupéfiant: les hommes de
l'État considèrent que, leurs désirs étant tellement
plus dignes d'intérêt que ceux des citoyens si ces
derniers leur disent oui, on en reste là, mais s'ils
leur disent non, on leur demande de voter jusqu'à ce
qu'ils se décident à dire oui!
Considérons donc que la
Constitution européenne est morte, même si certaines
de ses dispositions sont ultérieurement adoptées. On
peut très bien accepter le statu quo et le processus
d'intégration économique européenne ne s'en
poursuivra pas moins et même mieux! Il permettra,
mieux que n'aurait pu le faire la Constitution, la
diversité des expériences et un certain
épanouissement des libertés individuelles.
Mais si l'on tient
absolument à doter l'Europe d'une Constitution, il
convient de revenir à sa justification profonde: non
pas seulement organiser les pouvoirs, mais définir
les moyens de défendre les libertés individuelles
devant les emprises excessives des États. Une
Constitution courte, sobre, mais fidèle à la grande
tradition européenne telle d'ailleurs que la
Constitution américaine l'avait adoptée est possible
à imaginer.
Un projet en ce sens
existe d'ailleurs, celui qui a été élaboré par
l'« European Constitutional Group » (voir « Des
professeurs s'engagent pour le non », Le Figaro,
24 mai 2005) et le site
www.fnst.org. Pourquoi des pays qui ont été si
tragiquement séparés par l'histoire violente du XXe
siècle ne pourraient-ils pas se retrouver unis ainsi
par une même aspiration à défendre la liberté?
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