Le
soi-disant déséquilibre fiscal a mis du poids aux
revendications souverainistes, du moins en apparence, car le
fait qu'un gouvernement ait un surplus budgétaire n'est pas
en soi une preuve de déséquilibre par rapport aux autres
niveaux de gouvernement qui ont accès aux mêmes sources de
taxation. Il ne s'agit donc que d'une lutte pour le pouvoir
conduisant à une sorte de révolution de palais, l'un
essayant d'accaparer les pouvoirs de l'autre afin de prendre
toute l'assiette fiscale.
Imaginons trois acteurs d'un jeu où un des acteurs est
toujours le perdant, que nous appellerons P. C'est P qui
fait vivre les deux autres, qui sont G1 (Canada) et G2
(Québec). Ceux-ci se chicanent continuellement sur leurs
pouvoirs réciproques vis-à-vis P. Pour acheter le vote de P,
G1 et G2 préfèrent ne pas accroître leurs pouvoirs
directement sur P, lequel manifeste un rejet croissant des
interventions étatiques, en particulier du fardeau fiscal. P
n'a qu'un espoir lointain d'éliminer G1 et G2, ensemble ou
séparément. Quelle devrait être la stratégie de P,
considérant que G2 lui fera supporter le coût du manque de
collaboration de G1 (les coûts de transition) et que pendant
que G1 et G2 lui font la cour, P jouit peut-être d'une plus
grande liberté qu'autrement? Serait-il préférable pour P
qu'il revendique pour G2 une simple décentralisation des
pouvoirs de G1 vers G2, accompagnée d'un... amaigrissement
de ces pouvoirs?
Et pourquoi ne pas
revendiquer une décentralisation de ces pouvoirs vers
l'individu (P ci-dessus, qui sortirait alors gagnant de
l'exercice)?
C'est sur cet aspect que
les souverainistes font fausse route, en associant tous les
problèmes du Québec à un dysfonctionnement d'une structure
politique fédérale et en remettant à plus tard ce qu'ils
pourraient faire maintenant. En fait, sur un plan
strictement structurel, Trudeau le centralisateur à Ottawa
avait autant raison que Lévesque le souverainiste. S'il
suffit en effet d'éliminer les dédoublements
bureaucratiques, pourquoi ne pas éliminer G2 plutôt que G1?
Le Parti québécois lui-même a montré la faiblesse de son
raisonnement lorsqu'il a imposé les fusions municipales.
Nous voyons maintenant le résultat. Évidemment les économies
présumées ne doivent pas être la seule raison motivant la
préférence d'un régime par rapport à un autre (voir à ce
sujet mon texte « Pour
que le peuple gouverne », écrit il y a déjà cinq ans).
Une lutte de pouvoir entre
collectivistes |
J'ai donc pris conscience
que cet exercice collectiviste, nationaliste, n'était qu'une
lutte de pouvoir où l'individu (c'est-à-dire le nous
au singulier) est considéré comme la quantité négligeable,
au même titre que l'officier militaire qui envoie ses soldats à
l'abattoir pour dorer son blason. Les trois vieux partis en
présence à Québec (le Parti libéral, le Parti québécois, et... l'Action
démocratique, qui essaie toujours de mimer les deux autres)
montrent une préférence marquée en faveur de l'intervention
étatique. Entre les trois, les différences sont mineures.
De plus, mon contact
quotidien avec la fonction publique québécoise a renforcé
mes doutes sur les avantages présumés et les risques de
l'aventure souverainiste. Pourquoi transférer au Québec les
structures bureaucratiques fédérales si cela ne soulage pas
le fardeau supporté par nous tous, les individus? Les
fonctionnaires québécois seront-ils plus efficaces dans une
situation de monopole? En fait, en quoi l'efficacité des
fonctionnaires peut-elle nous être utile en tant
qu'individus, si le Québec souverain ne signifie pas plus de
souveraineté en faveur des individus mais au contraire le
renforcement de l'appareil gouvernemental?
Finalement, les problèmes
de transition (car il y en aura plusieurs) ne pourront que
donner de l'eau au moulin à tous les activistes,
syndicalistes et autres groupes d'intérêts qui sautent sur
toutes les occasions pour exiger une hausse des avantages
qu'ils reçoivent des payeurs de taxes et des consommateurs.
Nous voyons déjà qu'aujourd'hui ce sont eux qui mènent le
bal. Comment pouvons-nous espérer faire mieux avec plus de
pouvoirs quand nous ne savons pas utiliser ceux que nous
avons déjà? Le Québec est miné, non pas par le fédéralisme
en soi, mais par ses groupes de pression qui cherchent
continuellement à tirer le maximum d'avantages à la fois des
consommateurs et des payeurs de taxes, tant à Québec qu'à
Ottawa. Il serait totalement improductif que nous ayons
encore à discuter de tout ceci au cours d'un troisième
référendum.
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