Une pensée unique… au monde! |
Giscard a rédigé le projet de Traité tandis que
Chirac en a fait la promotion, en le présentant comme un rempart à
la « mondialisation libérale ». Le verdict des urnes devrait
tempérer les ardeurs de nos régulateurs. Mais, il y a, en effet, une
pensée unique en France, et elle est unique au monde! Elle est à ce
point unique qu'elle empêche toute réelle alternative malgré les
désaveux électoraux successifs et les alternances de surface. Je
crois pouvoir affirmer, sans me tromper, que ce n'est pas un complot
libéral qui noyaute le monde de l'édition ou des médias, qui impose
leurs grilles de lecture aux journalistes, qui exerce un contrôle
sur les sujets du baccalauréat en économie et sur les contenus des
manuels d'économie. Parce que la pensée libérale est quasiment
étouffée dans ce pays, on ne voit pas comment elle pourrait exercer
son hégémonie.
Dans cette campagne, aucun responsable politique n'a
osé en faire la pédagogie, en montrant d'abord qu'il était vain
d'opposer systématiquement le social au libéral. De son côté, le
concert médiatique, dans une troublante uniformité de pensée,
enfonçait dans les esprits cette opposition erronée entre « libéral »
et « social ». Cessons de nous illusionner avec cet épouvantail
commode. Ce n'est pas l'économie qui est en crise en France ou à
Bruxelles, mais bien l'étatisme et son corollaire,
l'interventionnisme.
Partout où on laisse l'économie se développer,
la prospérité durable est au rendez-vous, ce qu'ont récemment
compris les Chinois. Cela fait trente ans que l'on nous parle de « crise économique » en France. Aucune crise ne peut durer trente ans.
C'est tout un modèle d'inspiration interventionniste et
centralisatrice qui est en panne dans ce pays comme il fut en panne
partout où il a été appliqué. Croit-on sérieusement que l'on
donnerait une impulsion nouvelle à ce pays en renforçant encore ce
modèle? C'est encore ce modèle en faillite qui a inspiré les
rédacteurs du projet de traité constitutionnel pour l'Europe.
Aujourd'hui, les masques tombent tandis que les sympathisants et les
cadres du Front national courtisent l'extrême gauche à la recherche
d'une troublante coalition anti-libérale. Au demeurant, cette
coalition n'est pas surprenante. Il y a des années que le FN, José
Bové, les alter-mondialistes de ATTAC et la LCR tiennent le même
discours quand bien même chacun cherche à se démarquer des autres.
Tous ces apprentis sorciers ont trouvé un ennemi commun: la haute
finance, les firmes multinationales, la directive Bolkenstein, le
capitalisme sauvage… Rien de tel qu'un ennemi commun pour rassembler
les tribus gauloises. Mais quid de la potion magique! Que
proposent-ils donc en échange? Un monde meilleur! Il fallait y
penser…
Tous ces gens sont profondément étatistes puisqu'ils font de
l'État le bras armé de leur révolution, qu'elle soit « sociale » ou
« nationale ». Dans les deux cas, ils ont besoin des appareils
étatiques pour contrôler non seulement l'économie, mais aussi et
surtout diriger les consciences. Car une planification réellement
efficace de l'économie implique de supprimer le libre arbitre et
l'initiative individuelle, ce qui est en bonne voie chez nous.
Alors
qu'on nous parle sans arrêt du devoir de mémoire, certains font
semblant d'oublier que le national-socialisme était une idéologie
profondément antilibérale sur laquelle Hitler et Mussolini ont
surfé pour conquérir le pouvoir et tenter d'imposer un modèle de
société totalitaire à toute l'Europe. Et cette Europe fut libérée
par des pays profondément libéraux, c'est-à-dire des pays au sein
desquels la liberté individuelle et les droits fondamentaux des
individus étaient proclamés et protégés par une constitution claire.
Mais voilà, alors que les modèles d'économies planifiées basées sur
des sociétés totalitaires se sont effondrés, c'est le libéralisme
qui est définitivement discrédité dans l'esprit de nos élites qui
n'ont pas voulu s'inspirer des constitutions qui ont fait leur
preuve. Et l'Europe est aujourd'hui rattrapée par ses vieux démons.
Dans un sens, il est bon que la France soit affaiblie afin que nos
apprentis sorciers, collectivistes et amnésiques, soient une fois
pour toutes isolés et neutralisés. Ils ont déjà fait tant de dégâts
en France; il serait désastreux qu'ils s'en prennent maintenant à
l'Europe dont nous avons tant besoin. Pourtant, ils sont pressés de
revenir aux affaires dans l'Hexagone, mais avec quel programme? Les
nationalisations, le passage à 32 heures, la création de nouveaux
impôts, des TVA sociales, des réglementations supplémentaires, des
quotas d'importations, une politique industrielle de grands travaux,
des grands programmes technologiques, bref la poursuite des
politiques antérieures? Un prodigieux bond en arrière au nom même
du grand bond en avant!
Le refrain usé des cent jours |
La France n'a pas su se réformer en 20 ans,
pourquoi le ferait-elle maintenant en cent jours, sur fond de
naufrage de l'Europe politique? Pourtant, cent jours, c'est
largement suffisant pour rompre avec les mécanismes du passé en
brisant le carcan intérieur qui mine notre économie. De ce point de
vue, il est regrettable que l'Europe ne dispose pas d'une véritable
constitution, car certaines de nos pratiques hexagonales
(conventions collectives, fiscalité progressive, dérive des dépenses
publiques) seraient déclarées anticonstitutionnelles par une cour
suprême respectueuse des droits et devoirs fondamentaux(1). Mais il
est heureux que le projet rédigé par Giscard fût rejeté, imposant un arrêt salutaire de tout le processus de construction
d'une Europe politique aux fondements incertains. Car le projet
Giscard consacrait les dérives, qui font tant de mal à la société
française, à l'Europe entière.
En France, la situation est plus tragi-comique. Le nouveau premier
ministre s'est donné cent jours pour apporter la confiance au pays.
En son temps, François Mitterrand s'était donné « cent jours pour
rompre avec le capitalisme ». C'était la condition pour rassembler
la gauche autour d'un « programme commun » de gouvernement. Et
Mitterrand avait réussi ce tour de force de rassembler la gauche
française, à condition d'agiter la perspective d'un autre monde…
L'étendard d'un autre monde est aujourd'hui brandi par l'extrême
gauche et le mouvement ATTAC, plongeant dans la cacophonie le PS
agonisant et se disputant les électeurs du Front national. Mais
peut-on réellement rompre avec le seul système économique qui
fonctionne ici-bas?
Après Mitterrand, la gauche est devenue « plurielle », avant d'éclater complètement à l'occasion du dernier
référendum. Mais les tiraillements à droite sont tout aussi
puissants. Quant au capitalisme, il est toujours là: unique et
pluriel tout à la fois. Les politiques veulent réguler l'économie.
Ils se présentent tous en régulateur en dernier ressort; mais ils
montrent chaque jour le spectacle d'un monde politique éclaté, sans
réelle prise sur une réalité qui leur échappe toujours plus. Le
contraste est patent face à une réalité économique à la fois
complexe, variée, évolutive et indivisible.
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