Montréal, 15 juillet 2005 • No 156

 

OPINION

 

Dominic Perron est bachelier en histoire avec une discipline complémentaire en sociologie à l'Université de Québec à Montréal.
Il habite Montréal.

 
 

LIBERTÉS INDIVIDUELLES ET
SYSTÈME DE SANTÉ PUBLIC AU QUÉBEC

 

par Dominic Perron

 

          Au Québec, la répression gouvernementale a dernièrement atteint un nouveau sommet. Le 10 mai 2005, le ministre de la Santé, Philippe Couillard, a présenté un projet de loi très musclé interdisant le tabac dans les lieux publics dès janvier 2006. Encore une fois, l'État québécois, empêtré dans le carcan qu'il s'est lui-même créé, se voit obligé d'imposer des mesures restreignant la liberté des individus, et ce, dans l'intérêt du sacro-saint système de santé public québécois.

 

          Cette annonce relance de nouveau la question de la place des libertés individuelles dans notre système de santé public québécois. Ce système, louangé par les uns, critiqué, voire même condamné, par les autres, demeure très controversé. Ceux qui s'y attaquent sont ostracisés sur la place publique.

          Certes, à plusieurs égards, ce projet de loi peut paraître noble. À l'échelle planétaire, les problèmes de santé causés par la consommation du tabac sont connus et préoccupants, de même que les coûts énormes reliés à leurs traitements. Que l'on soit d'allégeance libertarienne ou non, il serait difficile de nier cette réalité. Par contre, et c'est là le problème, la dangerosité de ce projet est de circonscrire essentiellement l'interdiction du tabac à des enjeux de cette nature, c'est-à-dire, la santé et l'argent, deux thématiques très populaires.

          Je partage deux visions différentes d'un bon système de santé québécois. Ces visions s'inspirent largement d'un principe emprunté à l'idéologie libertarienne que voici: « Les libertariens prônent la liberté dans tous les domaines, y compris le droit de faire ce qu'on veut avec son propre corps dans la mesure où l'on ne brime pas la liberté et la propriété des autres. »(1) Dans un monde idéal, chaque individu pourrait disposer librement de son propre corps sans aucune restriction de quiconque, ni même de l'État.

          Or donc, au Québec, le système de santé public ne le permet pas. Il semble tout spécialement conçu pour que les libertés individuelles, dans certains cas les plus banales, puissent justement brimer la liberté et la propriété des autres. Le cas du tabagisme est évocateur et représente un bon exemple de la conséquence d'un choix individuel qui dépasse les frontières de l'individu(2). En effet, lorsqu'un fumeur contracte un cancer du poumon, ce sont les contribuables québécois qui assument les frais reliés au traitement de cette maladie, et ce, par l'entremise du système de santé public. Dans ce système, les excès et les négligences des uns briment donc les droits et les libertés des autres. Pourquoi un contribuable soucieux de sa santé devrait-il contribuer à payer pour un individu qui démolit la sienne?
 

« Chaque liberté individuelle susceptible de peser économiquement sur le système de santé ou de brimer autrui est susceptible de passer au collimateur. La plus banale des libertés individuelles peut maintenant être révoquée. »


          Réalisant la pression croissante exercée sur notre système de santé public, l'État s'active désormais à gérer les fonds publics en tant que « bon » administrateur. Pour se faire, il a le pouvoir de conscientiser, d'éduquer, de taxer, de légiférer, etc. L'État s'active à éliminer les maladies, les blessures, les accidents qu'il juge évitables. Désormais, chaque liberté individuelle qui risque de peser économiquement sur le système de santé ou de brimer autrui est susceptible de passer au collimateur. La plus banale des libertés individuelles peut maintenant être révoquée.

          Le véritable problème n'est pas tant la gestion de l'État dans le cadre d'un système de santé public, mais bien le système de santé public lui-même. Il est essentiel de le réformer partiellement, voire même totalement. S'il faut faire appel au secteur privé, pourquoi pas? Arrêtons de diaboliser cette alternative. Il faut à tout prix responsabiliser l'individu. Celui-ci doit assumer ses excès, ses risques, ses négligences et ne pas faire porter son fardeau à l'ensemble de la société. Dès lors, chaque individu pourra revendiquer le droit et la liberté de fumer la cigarette, de fumer de la marijuana, de s'injecter des drogues dures, de manger du « fast-food », de ne pas porter de casque de bicyclette, etc., et ce, tout en assumant les conséquences de ses propres choix.

          La survie du système en place entraînera inévitablement l'accumulation de mesures répressives. Bientôt, les enfants québécois devront traverser les rues vêtues d'un équipement de gardien de but. Les cyclistes devront préalablement réussir leur examen d'aptitudes en sécurité à bicyclette. Pour ceux qui aiment manger, à moins d'être riche – ce qui n'est pas un crime en soi –, ils devront se contenter de repas contrôlés et approuvés par l'État, sans cholestérol, sans gras, sans sucre et bien sûr, sans OGM! Ce portrait que l'on attribue généralement aux films de science-fiction pourrait devenir réalité. Dans un système de santé public, il n'y a pas de limite à ce que le gouvernement peut nous imposer, et ce, au nom du bien-être collectif.

          Depuis quelque temps, des suggestions sont mises de l'avant pour réformer le système de santé au Québec. Toutefois, le spectre de voir le système de santé américain se transposer ici suscite la grogne chez les fervents de la gratuité. Le refus d'une partie importante de la population d'envisager les mesures modestes proposées par l'ADQ et le PLQ n'est-il pas d'ailleurs le symptôme d'une société grugée elle-même par le cancer? Les défis qui guettent actuellement le système de santé public promettent de le mettre à dure épreuve. Seule sa faillite pourrait redonner au Québécois les libertés individuelles qui leur sont dues.

 

1. Martin Masse, « Libertin, libertaire, libertarien », le QL, 4 décembre 1999.
2. Le cas du tabagisme est différent de bien d'autres cas touchant les libertés individuelles, puisque le tabagisme ne représente pas seulement un danger pour son utilisateur, mais aussi pour son entourage, qui est directement exposé à la fumée secondaire et aux maladies qui s'y rattachent.

 

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