Il est difficile de
croire que l’article premier de la Charte soit destiné à
permettre la délégation par l’État, à une créature
administrative comme le CRTC, d'un pouvoir arbitraire illimité
de restreindre ad hoc une liberté fondamentale. Une
telle limite n’est pas raisonnable et justifiable dans le
cadre d’une société libre et démocratique. Si tel est le
résultat des articles de la Loi sur la radiodiffusion
mentionnés par le CRTC pour fonder sa décision, la Loi doit
être frappée d’inconstitutionnalité à cet égard.
De la légalité de la décision du
CRTC |
La Cour d’appel fédérale se lave quant à elle les mains de
la question de la liberté d’expression et de la
constitutionnalité des articles de loi pertinents(10)
pour essentiellement se cantonner sur la question de savoir
si la décision du CRTC a été prise légalement, en vertu de
la Loi:
Il faut bien comprendre que cet appel n’engage ni de
plein fouet, ni en général un débat sur la liberté
d’expression comme semble le croire et le vouloir
l’appelante. La question en litige est, et demeure,
celle de savoir si la décision discrétionnaire du CRTC
de ne pas renouveler la licence de l’appelante fut prise
judiciairement et dans le respect des principes de
justice naturelle, des normes d’équité procédurale et de
ses propres procédures(11). |
Il suffit de rappeler ces propos de Hayek, propos
dont l’importance semble avoir été oubliée avec le temps,
pour remettre en question la valeur de la centaine de pages
sur lesquelles s’étend l’arrêt de la Cour d’appel fédérale:
To say that in a planned society the Rule of Law cannot
hold is, therefore, not to say that the actions of the
government will not be legal or that such a society will
be lawless. It means only that the use of the
government’s coercive powers will no longer be limited
and determined by pre-established rules.
[...]
If the law says that such a board or authority may do
what it pleases, anything that board or authority does
is legal – but its actions are certainly not subject to
the Rule of Law. By giving the government unlimited
powers, the most arbitrary rule can be made legal; and
in this way a democracy may set up the most complete
despotism imaginable(12). |
Dans un autre ordre d’idée, il faut se demander si un
tribunal civil, au cours d’une action en dommages-intérêts,
conserve le loisir de décider qu’une déclaration publique
n’a pas causé préjudice à la personne visée, alors que le
CRTC aurait, lui, déterminé que cette déclaration n’est pas
conforme aux « valeurs canadiennes ». N’apparaît-il pas
difficilement concevable qu’une déclaration ne causant
préjudice à personne puisse être frappée de non-conformité
avec nos valeurs nationales?
Bien que des propos tenus en ondes par CHOI-FM puissent
être intolérables aux oreilles de certains, il ne doit pas appartenir à une
créature administrative du gouvernement de déterminer au cas
par cas, sans critère décisionnel raisonnable, ce qui peut ou ne peut pas être dit aux citoyens. Cette
détermination doit être laissée à un juge civil, indépendant
de l’État, qui décidera en vertu des critères de la faute et
du dommage, malgré les difficultés que représentent bien
souvent un recours devant les tribunaux. Quant aux cas de
fomentation de la haine, condamnés par la société dans son
ensemble, contrairement à des propos présumés offensants, le
droit pénal et criminel s’en charge(13).
Cette procédure est
nécessaire si l’on souhaite prémunir le citoyen contre la
possibilité que l’État ne s’arroge une forme abusive ou
arbitraire de contrôle de l’information ou des messages
diffusés publiquement. N’est-ce pas là un élément
nécessaire à l’existence d’une société libre et
démocratique?
Que ceux qui se
réjouissent de la fermeture potentielle de CHOI-FM y pensent
à deux fois avant d’applaudir, car le dangereux précédent
qui est en voie de se cristalliser et qui fait leur bonheur
aujourd’hui pourrait très bien faire leur malheur demain.
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