À
l'heure actuelle, comme il n'existe pas de marché légal de
la drogue, il est récupéré entièrement au profit du crime
organisé. Ces organisations se font des guerres extrêmement
violentes pour le contrôle du territoire. Elles distribuent
sur le marché des substances de piètre qualité, de très
forte concentration, et mélangées à toutes sortes de
produits douteux. Les gens ne savent jamais ce qu'il
consomme, tout comme le vendeur qui peut raconter n'importe
quoi sur la provenance de sa marchandise. En bout de ligne,
le degré d'intoxication peut être très élevé et entraîner
rapidement la mort. Un groupe d'experts appartenant à la
Fondation de la recherche sur la toxicomanie de l'Ontario a
examiné plusieurs échantillons de drogue pour constater
qu'ils étaient tous d'une composition différente de ce que
l'on croyait(4). Par exemple, dans une poudre de cocaïne des
morceaux de verre brisé mélangé à des nettoyants
domestiques...
Oui, mais les drogues dures? |
Le junkie, couvert de bleus sur l'ensemble de son corps, qui sniffe de
la cocaïne ou encore s'injecte une substance dans les veines, fait
partie de l'imaginaire collectif. Cette image est largement suffisante
pour faire réagir la population qui, sous le coup de l'émotion,
appuiera n'importe qu'elle campagne étatique contre la drogue. Rien de
surprenant puisqu'en véhiculant une information souvent superficielle,
et en faisant appel au sensationnalisme, les gouvernements de concert
avec les médias font preuve d'une malhonnêteté intellectuelle
évidente. Même le milieu de la santé publique utilise des études
scientifiques dont on aurait intérêt à regarder le niveau de
cohérence, la validité et les nombreux préjugés qu'elles véhiculent.
Il faut bien souvent
aller à la source de ces documents pour découvrir la pauvreté
théorique de leurs prétentions, quand il ne s'agit pas d'une distorsion
pure et simple des faits. Il arrive par exemple que l'on généralise
des conclusions qui ne sont applicables qu'à un seul groupe à tous
les consommateurs; que l'on censure volontairement des informations
pour mieux protéger des bureaucraties(5) et finalement que l'on ignore
les véritables habitudes de consommation de la population. Tout ça
ajouté à ce climat de peur et de panique continuellement amplifié par
nos dirigeants. En d'autres mots, on ne laisse aucune place à la
nuance sur le niveau de toxicité des drogues.
Prenons l'exemple de
l'héroïne – que tout le monde associe à la déchéance et aux désordres
sociaux. Offerte en concentration réduite et de meilleure qualité,
l'héroïne n'engendre aucune dépendance physique et psychologique à
long terme. Elle ne pousse pas automatiquement les consommateurs vers
les abus et les excès. Au contraire dans la grande majorité des cas,
ceux-ci peuvent arrêter d'en absorber sur une très longue période, en
prendre à l'occasion, ou choisir tout simplement l'abstinence. Très
peu dérivent dans des conditions exécrables mettant en péril leur
travail, leur famille et leur mode de vie. Ces observations sont
celles de l'équipe du docteur
Lee N. Robins réalisé à partir d'un échantillon de 900 individus
surveillés sur une période trois ans. Cette étude a le mérité de se
distinguer de toutes celles qui tirent des conclusions hasardeuses,
à partir d'une clientèle réduite fortement intoxiquée par des produits
très concentrés et de piètres qualités.
Voilà une situation
plutôt embarrassante pour nos gouvernements, qui ne voudraient surtout
pas voir les individus prendre conscience que toutes les drogues
pourraient être vendues sur un marché légal, à des dosages beaucoup
plus faibles, par des firmes responsables ayant à coeur la qualité du
produit. Au fait, n'est-ce pas de l'alcool non frelaté que les gens
consomment pendant le temps des fêtes? Et dire qu'au siècle précédent,
avec la prohibition, les gens se tuaient avec de l'alcool de plus de
50 degrés(6).
Vers un marché légal et
décriminalisé |
Au sein d'un nouveau marché de la drogue, des firmes offriront aux
consommateurs une plus grande diversité de produits à faible
concentration et préparés dans des laboratoires respectant des normes
sanitaires très strictes. Les substances concentrées vendues sur le
marché noir à des prix dérisoires ne pourront continuer bien
longtemps de l'être et disparaîtront d'elles-mêmes. Le marché verra également
apparaître de nouveaux joueurs qui entreront en compétition avec les
fournisseurs traditionnels de caféine, d'alcool et de nicotine. Déjà,
ses fabricants craignent pour leur monopole et, pendant les audiences
de la Commission Le Dain en 1972, se sont mobilisés pour produire des
études exigeant le maintien de la prohibition actuelle. Ils craignent
de voir les consommateurs avoir accès à une plus grande variété de
drogues créant beaucoup moins de dépendance que leurs propres
produits. Évidemment, l'abus de n'importe laquelle de ces substances
peut entraîner des complications pour la santé, mais les individus
seront responsables de s'informer convenablement afin de
faire des choix éclairés.
En ce moment, nous
parlons surtout de la décriminalisation du cannabis. Bien qu'il
s'agisse d'un pas dans la bonne direction, il ne sera pas suffisant
pour ébranler ceux qui tirent les ficelles du vaste marché noir de la
drogue. Pour bouleverser les cartes, il faudra songer non seulement à
décriminaliser, mais surtout à légaliser toutes les drogues et ouvrir
davantage le marché à des centres de distribution beaucoup plus
fiables.
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