Montréal, 15 octobre 2005 • No 159

 

ÉDITORIAL

 

Martin Masse est directeur du Québécois Libre.

 
 

ASSURANCE-MALADIE PRIVÉE: REPRENDRE LE DÉBAT OÙ IL ÉTAIT EN 1960

 

par Martin Masse

 

          Un colloque sur les plans privés d'assurance-maladie lors du congrès annuel des médecins de langue française du Canada à Windsor: voilà certainement un sujet d'actualité. Et La Presse avait en effet jugé utile d'y dépêcher son reporter Roland Prévost pour couvrir l'événement dans son édition du 24 septembre… 1960, il y a exactement 45 ans.

 

          Dans un reportage intitulé « À Windsor, Ontario, 200,000 personnes bénéficient de l'assurance-hospitalisation privée », le journaliste rapportait les propos du Dr Durocher, responsable des Windsor Medical Services. Ce plan d'assurance privé, lancé 25 années plus tôt, comptait alors parmi ses clients 85% des citoyens de la ville, alors que 98% des médecins de la région y étaient associés. Il s'agissait d'une assurance plénière, couvrant la plupart des soins hospitaliers disponibles à l'époque, et dont les frais d'administration absorbaient de 7 ½ à 8% des revenus provenant des souscriptions.
 

Vieilles nouvelles pertinentes

          Étrangement, l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Chaoulli redonne de la pertinence à ces vieilles nouvelles, en nous reliant à un débat qui n'aurait jamais dû connaître une éclipse. Cette décision historique rendue en mai dernier a levé l'interdiction de vendre de l'assurances-maladie privée au Québec (et peut-être, à terme, ailleurs au Canada) pour couvrir les soins fournis par le monopole public (voir « L'effondrement prochain du monopole public de la santé au Canada », Le QL, no 147). On se rend compte que les réalités économiques de l'époque dans le domaine de la santé, ignorées pendant quatre décennies d'étatisation, sont exactement les mêmes que celles d'aujourd'hui.

          L'article expliquait que « Le service est maintenant établi sur des bases solides. Il progresse sans aide financière des administrations publiques; la qualité de la pratique médicale s'est améliorée; les souscripteurs n'ont plus le souci d'une maladie désastreuse pour leur budget; et le choix du médecin par le patient a entretenu une saine émulation dans la profession médicale. »

          Pour les partisans à tout crin de l'interventionnisme étatique, cela doit sembler irréel. Avant que l'État intervienne dans ce domaine, n'étions-nous pas au Moyen-Âge, pratiquement sans service de santé? Plus personne ne semble s'en souvenir. La santé est pourtant un secteur économique comme les autres. Les mêmes lois de l'offre et de la demande, la même logique des incitations et de la concurrence s'y appliquent. Le secteur de la santé exhibait simplement à l'époque le même dynamisme qu'on retrouve dans n'importe quel secteur de l'économie privée.

          Les succès de ce type ne furent pourtant pas suffisants pour faire obstacle au rouleau compresseur de l'étatisation, la solution à la mode pour régler tous les problèmes à l'époque en Occident. Au Québec, malgré une croissance très rapide du secteur depuis la guerre, environ 40% de la population seulement était couverte par des assurances privées. À cela s'ajoutaient les indigents, pris en charge par l'Assistance publique. Les autres payaient directement pour leurs soins, dans un domaine où la charité jouait cependant un rôle important (de nombreux hôpitaux étaient gérés par des communautés religieuses).

          Le nouveau gouvernement Lesage avait annoncé la participation prochaine de la province au plan fédéral d'assurance-hospitalisation pour tous, qui entrera effectivement en vigueur en 1961. Dans la même édition de La Presse de ce 24 septembre 1960, un éditorialiste, Roger Champoux, voyait déjà venir l'explosion des dépenses. Selon lui, la contribution financière de l'État devait s'ajouter à celle du citoyen, pas s'y substituer entièrement(1).
 

« Même si ses partisans ne l'ont toujours pas compris, une planification rationnelle est impossible dans un système socialiste. Les prix, au lieu d'être déterminés par l'offre et la demande, et donc par la rareté réelle des ressources, sont fixés par décret administratif, ce qui entraîne d'immenses distorsions. »


          « Sans la participation du citoyen, le plan d'assurance-hospitalisation nous apparaît impossible, car on se demande quelle trésorerie est assez riche pour se payer un luxe pareil. De plus, la participation rend chacun conscient de ses propres responsabilités et, ainsi, on possède un moyen de faire échec aux abus pour autant que chacun exerce quelque contrôle sur les soins qu'il juge bon d'exiger de la communauté. »

          C'est cependant le concept de la « gratuité » – et son pendant obligé, la négation de la responsabilité individuelle, aussi bien celle des patients que celle de tous les acteurs du système – qui a triomphé, entraînant une explosion des dépenses publiques en santé qui se poursuit jusqu'à aujourd'hui. Elles passèrent d'environ 100 millions $ en 1959-60 à 230 millions $ en 1961-62 et à 300 millions $ en 1963-64 (voir François Guérard, Histoire de la santé au Québec, p. 81). Les niveaux d'imposition ont évidemment suivi la même courbe depuis cette époque.
 

La soviétisation de la santé

          Tout au long de la décennie, la prise en charge du secteur de la santé par l'État va s'étendre. En 1971, la mise en place de l'assurance-maladie publique et la centralisation bureaucratique qui l'accompagne constituent une véritable soviétisation de tout un pan de l'économie québécoise. C'est à ce moment que le gouvernement québécois interdit la vente d'assurances privées, de façon à bien verrouiller son monopole.

          Depuis cette époque, le personnel de la santé est composé de conscrits, qui n'ont plus la possibilité de contrôler leur travail et de servir leurs clients comme ils l'entendent. Ils doivent travailler quand et là où les bureaucrates ont décidé qu'on avait besoin d'eux. Les patients quant à eux sont traités comme du bétail. À moins d'avoir de bons contacts dans le système, ils doivent attendre leur tour pour être soignés et leur contrôle sur les décisions qui concernent leur santé est minimal. En nationalisant le système de santé, le gouvernement s'est également arrogé un droit de regard sur plusieurs questions individuelles devenues des enjeux de « santé publique ». Il a en fait nationalisé nos corps (voir « À qui appartient notre corps? », Le QL, no 84).

          Même si ses partisans ne l'ont toujours pas compris, une planification rationnelle est impossible dans un système socialiste. Les prix, au lieu d'être déterminés par l'offre et la demande, et donc par la rareté réelle des ressources, sont fixés par décret administratif, ce qui entraîne d'immenses distorsions. La concurrence a été éliminée et les inefficacités grossières (les files d'attente par exemple) peuvent se maintenir sans conséquences sur les revenus et la survie de l'institution. Les incitations, qui poussent les acteurs privés à prendre les décisions de gestion les plus susceptibles de satisfaire leur clientèle, ne jouent plus leur rôle – même si on continue d'accorder des primes de « performance » juteuses aux apparatchiks d'un système en faillite…

          Si on avait permis au secteur privé de continuer à se développer en 1960, les soins de santé seraient aujourd'hui moins coûteux, plus efficaces, et plus accessibles. Le nombre d'assurés aurait continué d'augmenter, en parallèle avec l'augmentation de la prospérité. Au lieu d'être un fardeau économique accaparant 43% des dépenses de l'État québécois, le secteur de la santé serait une source de croissance, de dynamisme et de progrès. Et nous aurions plus de liberté et de contrôle sur notre corps et notre santé.

          On ne peut pas refaire le passé, mais l'arrêt Chaoulli nous donne la possibilité de reprendre le fil de cette évolution à partir de 1960, avant que des décennies de « progressisme » socialisant ne nous fassent régresser. Des consultations publiques auront lieu cet hiver et le gouvernement a moins d'un an pour se conformer à la décision et modifier ses lois. Reste à voir maintenant s'il ne trouvera pas d'autres moyens réglementaires de refermer la porte qui vient de s'ouvrir.

 

1. Pour la petite histoire, ce n'est pas en faisant une recherche à la bibliothèque que j'ai mis la main sur cette copie de La Presse, mais d'une façon assez étrange. Pendant l'été, alors que nous faisions des rénovations dans notre maison achetée il y a deux ans (une maison construite en 1915 dans l'est de Montréal), nous avons découvert le journal dans un sac en plastique entre deux murs. Celui qui l'a placé à cet endroit ne se doutait sûrement pas que sa " capsule temporelle " allait avoir un écho de ce type 45 ans plus tard...

 

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