Là où il se démarque,
c’est lorsqu’il affirme que « malgré qu’ils soient en droit
des outils politiques fondamentaux d’élaboration d’un espace
public de discussion, [les grands médias marchands] sont en
passe de renoncer à cette tâche pour ne plus exercer qu’une
fonction de propagande et d’occultation du réel. » Hmm…
« Autrement dit, même s’il n’est guère réjouissant que la
télévision verse de plus en plus dans le reality show
et autres spectaculaires stupidités, la véritable tragédie
se joue désormais chaque soir, au téléjournal, par le recul
et l’oubli de la mission politique et citoyenne
d’information qui est celle des médias. »
Je suis d’accord avec
Baillargeon lorsqu’il dit que « la télévision verse de plus
en plus dans le reality show et autres spectaculaires
stupidités », j’ai personnellement cessé de la regarder
depuis maintenant quelques années tellement je n’en pouvais
plus de ce nivellement vers le bas. Mais là où je ne le suis
pas, c’est quand il parle d’une « mission politique et
citoyenne d’information qui est celle des médias ». Les
médias vendent un produit: des émissions. On peut acheter ou
pas.
Depuis l’avènement de la télévision, les intellos ne cessent de se
désoler de voir que le médium n’offre pas que des émissions
d’information pointues et de qualité. Comme si tel était son
mandat. La télévision n’a pas plus de « mandat citoyen » que la
radio, les journaux, ou Internet. Si elle n’avait offert que
des émissions d’information pointues et « de qualité » depuis ses
débuts, elle ne serait jamais devenue le média de masse qu’elle
est et on ne serait pas là en train d’en discuter.
Si l’information ne
s’était pas tranquillement déplacée vers le spectacle,
l’« information spectacle », on ne connaîtrait sans doute pas
aujourd’hui un tel engouement pour les nouvelles et toutes ces
chaînes d’information continue n’existeraient pas. La grande
majorité des gens ne sont pas des intellectuels. Ils s’informent
en se divertissant. Donnez-leur des bulletins de nouvelles qui ne
tombent pas (un peu, beaucoup, passionnément) dans le
sensationnalisme et ils vont zapper.
Pour expliquer cet
abandon de la mission des médias, M. Baillargeon y va d’un modèle
propagandiste. Les médias, selon les chercheurs à l’origine de ce
modèle, Edward Herman et Noam Chomsky, « servent à mobiliser les
appuis en faveur des intérêts particuliers qui dominent les
activités de l’État et celles du secteur privé; leurs choix,
insistances et omissions peuvent être au mieux compris – et
parfois même compris de manière exemplaire et avec une clarté
saisissante – lorsqu’ils sont analysés en ces termes. »
Ce modèle propagandiste
repose sur cinq filtres « comme autant d’éléments surdéterminant
la production médiatique ». « Le premier est celui que constituent
la taille, l’appartenance et l’orientation vers le profit des
médias. Les médias appartiennent à des corporations et à des
personnes très fortunées, qui les contrôlent. On doit présumer que
cela constituera un biais. […] Le deuxième est celui de la
dépendance des médias envers la publicité. Les médias vendent
moins des informations à un public que du public à des annonceurs.
Vous ne vous en doutez peut-être pas mais, lorsque vous achetez un
quotidien, vous êtes vous-même le produit. […] Le troisième filtre
est constitué par la dépendance des médias à l’égard de certaines
sources d’information: le gouvernement, les entreprises
elles-mêmes – notamment par l’intermédiaire des firmes de
relations publiques – les groupes de pression, les agences de
presse. […] Le quatrième filtre est celui des flaks,
c’est-à-dire les critiques que les puissants adressent aux médias
et qui servent à les discipliner. […] Le cinquième et dernier
filtre est baptisé par Herman et Chomsky l’anticommunisme; cette
dénomination est à l’évidence marquée par la conjoncture
américaine. Elle renvoie plus largement, en fait, à l’hostilité
des médias envers toute perspective de gauche, socialiste,
progressiste, etc. »
Immédiatement après cette
énumération des cinq filtres qui déterminent la production
médiatique, on retrouve une petite caricature mettant en scène un
journaliste qui parle à son patron (ce dernier est facilement
identifiable, il tient un gros cigare entre ses deux doigts
gras…). Le premier dit: « Mais il faut absolument traiter du
réchauffement de la planète! » Ce à quoi le second répond: « Vous
traiterez du refroidissement de Céline Dion! »
Ce petit dessin illustre
bien les défaillance de tout ce modèle propagandiste. Si les médias
« appartiennent à des corporations et à des personnes très
fortunées », cela ne veut pas nécessairement dire que ces dernières contrôlent la nouvelle.
Les
patrons peuvent-ils arriver dans une salle de nouvelles et dire à un
journaliste: « Tu vas dire ça comme ça »? Sans doute pas
– même si secrètement ils
le souhaiteraient. Ils savent qu'ils n'ont pas
le gros bout du bâton avec les syndicats et les ordres
professionnels de journalistes.
Parce qu'ils cherchent à faire du profit, les médias ne peuvent
être crédibles! Parce qu'ils appartiennent à des corporations et à
des personnes très fortunées, cela constitue un biais! Si l'on
suit cette logique, les seuls qui seraient aptes à opérer
adéquatement un média seraient les centrales syndicales, les
groupes de pression « progressistes » et les universitaires parce
qu'ils ne cherchent pas à faire du profit. L'information que
produiraient ces entités médiatiques serait pure, toujours
balancée, « plurielle ». Yeah right! On oublie que tous ces gens,
s'ils ne cherchent pas (officiellement) à faire du profit, ils ont
des intérêts. Et ils savent les protéger.
Les médias sont certes
dépendants de certaines sources d’information, tels les
gouvernements, les entreprises, les groupes de pression, etc. Ils
sont aussi dépendants des informations issues des grandes centrales
syndicales (Baillargeon n’en parle pas même si après l’État, il
s’agit du deuxième pouvoir au Québec) et des biais
« progressistes » et « pro-syndicaux » de leurs propres
journalistes (bon je généralise, mais avouez qu'il y a davantage
de journalistes « progressistes » que de « néolibéraux »!). Ils sont aussi dépendants de la paresse de ces mêmes
journalistes – plusieurs, plutôt que de fouiller un dossier, se
contentent souvent de reprendre presque intégralement les
communiqués de presse produits par « les sources d’information ».
Les patrons n’ont même pas à dicter quoi que ce soit.
Les médias sont aussi
dépendants de la publicité, mais de là à dire que cette dépendance
a une influence sur leur programmation, c’est une autre affaire.
Peut-être qu’aux États-Unis de grandes entreprises refusent
d’annoncer dans certaines émissions parce que leur contenu va à
l’encontre de leurs croyances et convictions, mais c’est loin
d’être le cas à grande échelle. Avec l’arrivée
d’Internet et l’« adolescencisation » de la culture, les
annonceurs sont devenus beaucoup moins frileux. Ça en prend
beaucoup de nos jours pour que l’un d’entre eux retirent ses pubs.
Pour ce qui est de
l’anticommunisme et de l’hostilité des médias envers toute
perspective de gauche, socialiste et progressiste, tout est dans
l’oeil du consommateur: pour les gens de gauche, tous les médias
sont à droite – des néolibéraux –, pour les gens de droite, tous
les médias sont à gauche – des communistes (justement), des
socialistes, des progressistes. On n’en sort pas. Heureusement,
nous avons accès à des sources d'information de partout à travers
le monde. Grâce à Internet, nous ne sommes plus captifs de l'offre
d'information régionale.
Comme je le mentionnais
plus haut, le Petit cours d'autodéfense intellectuelle est
une lecture tout à fait recommandable. À part la trentaine de
pages qui constituent le chapitre sur les médias – où il faut en
prendre, mais surtout en laisser –, le bouquin de Normand
Baillargeon est plutôt neutre. Il se rapproche de l’idée qu'on
peut se faire de l’objectivité. Un apport riche en
« éléments intellectuels » qui fait partie de tout régime
équilibré.
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