Certains allègueront que la disposition faisant l’objet du
litige était trop sévère et qu’il aurait été plus humain
d’accommoder les juifs orthodoxes habitant au Sanctuaire(3).
J’aurais personnellement été favorable à un tel
accommodement, mais mon opinion n’importe peu, car je ne
réside pas au Sanctuaire. Les neuf juges de la Cour suprême
du Canada non plus. Et c’est d’ailleurs pourquoi ils
auraient dû respecter le contenu des dispositions de la
déclaration de copropriété. La prohibition contenue dans la
déclaration de copropriété ne portait pas atteinte à la
liberté de religion; elle limitait le droit des résidents de
décorer leur balcon, un droit auquel ils avaient
volontairement renoncé en signant la déclaration de
copropriété. Ils étaient libres de signer ou non cette
déclaration et d'aller résider ailleurs s'ils la
considéraient inacceptable.
Heureusement, l’un des
juges dissidents dans l’affaire Amselem, l’honorable
Ian Binnie, a dénoncé le manque d’égard au contrat signé par
les parties dont a témoigné la majorité de la Cour dans son
jugement. Le juge Binnie, dans sa dissidence, a affirmé que
la Cour aurait dû respecter la volonté des parties d’être
liées par les termes du contrat auquel elles ont librement
adhéré. Il a souligné qu’il faut différencier
l’utilisation de la clause sur la liberté de religion comme
« bouclier »
contre les ingérences étatiques de son utilisation comme « épée » contre des cocontractants:
Il existe selon moi une énorme différence entre le fait
d'utiliser la liberté de religion comme un bouclier
contre les atteintes portées par l'État à la liberté de
religion et le fait de l'utiliser comme une épée contre
des cocontractants dans un immeuble privé. Il
appartenait aux appelants et non aux autres
copropriétaires de déterminer, avant d'acheter leur
appartement, quelles exigences étaient liées à leurs
croyances religieuses. Il y avait plusieurs immeubles où
ils pouvaient acheter. Ils se sont engagés par contrat
envers les propriétaires de cet immeuble à
respecter les règles de cet immeuble, même si
(comme c'est apparemment le cas) ils ont accepté les
règles sans les avoir lues(4). |
Le Sanctuaire est un complexe d’appartements haut de gamme.
Le fait que la déclaration de copropriété signée par les
résidants comporte plusieurs règlements n’est pas du tout
étonnant et ceux-ci devaient ou auraient dû savoir qu’ils
devaient s’y conformer. Comme l’indique le juge Binnie, bien
que ces règlements ne plaisent pas à tout le monde, ils
reflètent « la volonté collective des copropriétaires de
l'immeuble dans lequel les appelants ont décidé d'acheter un
logis »(5).
En réponse aux
affirmations de ses collègues qui croient devoir soupeser
les avantages et les désavantages de permettre la
construction de souccahs, le juge Binnie soutient que cette
approche est inadéquate parce qu’elle a comme effet de
libérer les citoyens trop facilement des obligations
contractuelles que leurs cocontractants s’attendent
qu’ils respectent.
La logique de la majorité
de la Cour suprême dans l’affaire Amselem mène à des
résultats absurdes. Si une disposition interdisant la
présence de constructions sur un balcon peut être perçue
comme violant le droit à la liberté de religion, qu’en
est-il du droit à la liberté d’expression de celui qui
voudrait y installer un drapeau ou une affiche à
saveur politique?(6) La déclaration
de copropriété, en plus d’interdire les constructions sur
les balcons, interdisait également les décorations
extérieures. Si l’on se fie à la décision de la Cour
suprême, une telle disposition ne pourrait s’appliquer, car
elle violerait la liberté d’expression des résidents.
Une des pierres d’assise
de notre système juridique est le respect du droit de chaque
individu de contracter librement. Or, cette liberté de
contracter est mise de côté beaucoup trop souvent par les
tribunaux, comme dans l’affaire Amselem, parce que la
Cour se croit mieux placée pour connaître ce qui serait plus
avantageux, ou plus juste, pour les parties. L’essence même
du contrat réside dans la cession d’un bien ou d’un service
contre un autre bien ou service auquel on attache plus de
valeur. Ce processus mène à un bien-être accru pour chacune
des parties au contrat. Dans l’affaire Amselem, les
appelants auraient pu refuser de s’établir au Sanctuaire si
l’idée de se conformer aux dispositions de la déclaration de
copropriété ne leur plaisait pas. Or, ils ont choisi de s’y
établir. La Cour suprême a commis une erreur en leur
permettant de ne pas respecter leurs obligations
contractuelles.
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