Il y a trois ans (voir « La
démocratie contre la liberté »),
je citais le ministre responsable de la Réforme des
institutions démocratiques à l’époque, Jean-Pierre
Charbonneau, qui exprimait très bien ce point de vue
collectiviste: « L’aventure
humaine n’est pas une aventure solitaire. C’est une aventure
collective, et la démocratie constitue une façon à la fois
exigeante et valorisante de faire participer tous les
membres de la collectivité au gouvernement de l’ensemble. »
C’est cette même logique
que met de l’avant depuis des années l’un des principaux
militants du « démocratisme » au Québec, le politicologue
socialiste Henry Milner. La chroniqueuse Rima Elkouri
paraphrasait les conclusions de deux de ses études dans
La Presse il y a quelques jours: « La participation
électorale […]
est l’expression d’une compétence civique essentielle au bon
fonctionnement d’une démocratie […].
Elle contribue à instaurer des sociétés plus égalitaires. En
effet, alors que dans les communautés à faible culture
politique, les segments les plus pauvres de la population
ont du mal à faire valoir leurs intérêts, on observe
exactement le contraire dans les sociétés où les compétences
civiques sont fortes, comme en Suède. Plus les gens sont
informés, plus leur culture politique est forte, plus ils
appuient des politiques progressistes et égalitaires qui
contribuent à leur tour à favoriser la participation
politique… Ainsi, la roue démocratique tourne vraiment. »
La logique est on ne peut
plus claire: plus on est démocrate, plus on devient
socialiste, et plus on est socialiste, plus on veut de
démocratie. Le professeur Milner a d’ailleurs une solution
pour lutter contre le « décrochage » des électeurs, en plus
de l’adoption d’un scrutin à la proportionnelle: des cours
d’« éducation civique » pour les jeunes dès l’âge de 15 ou
16 ans, comme cela se fait en Suède. Ils sont tellement plus
civilisés que nous en Suède! Si on conscientisait nos jeunes
suffisamment tôt à la nécessité de s’impliquer dans le
processus démocratique, on pourrait en faire l’équivalent de
gentils Suédois sociaux-démocrates, qui voteraient plus tard
pour des politiques plus « progressistes et égalitaires ».
Voilà pourquoi il faut se réjouir de cette indifférence
grandissante de la population envers la
politique. La chose la plus naïve et inutile que pourraient
d’ailleurs faire les libertariens, c’est bien de tomber dans
ce piège et de travailler eux aussi à renforcer la
démocratie en s’impliquant dans le processus politique pour
faire avancer leurs idées.
La logique démocratique
mène nécessairement à plus d'État, puisque les politiciens
sont incités à accroître leur pouvoir et à acheter des votes
en se servant du magot à leur disposition (voir « La
politique n’est pas la solution »). C'est la structure
même de ce système qui est viciée et la constitution la plus
étanche (si on réussissait par miracle à la faire adopter)
n’y changerait rien. Les politiciens trouveront toujours un
moyen de contourner les chartes des droits si ça fait leur
affaire.
Les États-unis ont une
constitution qui prescrit un État minimal où les libertés
individuelles sont censées être fortement protégées. Et
pourtant, l'État américain n'a pas arrêté de grossir depuis
deux siècles, malgré l'influence profonde de la pensée
libertarienne dans la vie politique américaine. Il est
devenu un empire qui intervient partout, qui torture des
prisonniers, un État-providence interventionniste qui gère
une bureaucratie et un budget gigantesques.
Un Parti libertarien qui
deviendrait populaire serait tout aussi porté à faire des
compromis pour se faire élire ou rester au pouvoir. Pour un
libertarien, jouer ce jeu signifie nécessairement contredire
ses principes. Ne pas voter ne permettra évidemment pas plus
d’avoir des libertariens cohérents au pouvoir. Mais cela
correspond tout de même à une stratégie à plus long terme:
celle de discréditer la politique. Si la politique n’est pas
la solution, alors il faut cesser d’y investir ses énergies.
Il faut cesser de croire que le salut viendra par la
politique et chercher des solutions ailleurs, (voir « Des
raisons d’être optimistes pour l’avenir de la liberté »).
Ce n’est pas en perdant
leur temps à obtenir quelques votes dans une partie perdue
d’avance que les libertariens auront une influence, mais
plutôt en diffusant leurs idées, en gagnant des esprits.
Aussi, et surtout, en développant partout où c’est possible
un réseau parallèle d’institutions fondées sur des principes
de coopération volontaire, qui feront concurrence aux
organisations étatiques fondées sur la coercition. Ce qu’il
nous faut, c’est plus d’entrepreneurs libertariens, pas plus
de politiciens libertariens.
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