Montréal, 15 décembre 2005 • No 161

 

OPINION

 

Cécile Philippe est directrice de l'Institut Économique Molinari.

 
 

LES PROFITS DES COMPAGNIES PÉTROLIÈRES ET LA HAUSSE DES PRIX DE L'ÉNERGIE

 

par Cécile Philippe

          Face au mécontentement populaire et catégoriel suscité par l'envolée du prix de l'essence à la pompe, du gaz et de l'électricité domestiques depuis 2002, les gouvernements de nombreux pays tels que les États-Unis, la Grande-Bretagne, la Belgique, la France, etc., ont annoncé des promesses de subventions (les chèques énergie) et, de façon récurrente, ils menacent de taxer les profits des compagnies pétrolières. Déjà Jimmy Carter en 1977 affirmait que le meilleur moyen de maintenir des prix bas était de baisser les profits de ces compagnies.

 

          Au début de l'année 2005, Tony Woodley, le chef du syndicat britannique T & G, proposait d'instaurer une taxe exceptionnelle sur les profits à l'instar du ministre français de l'Économie Thierry Breton qui, le 9 septembre dernier, menaçait les compagnies pétrolières d'une taxe exceptionnelle. Le 11 novembre, le Sénat américain demandait aux grandes compagnies pétrolières de s'expliquer sur des profits exceptionnels tant décriés.
 

Taxer n'est pas la solution

          Les profits perçus par les groupes pétroliers ont certes atteint des niveaux records. Les cinq premières compagnies d'énergie de la planète, Royal Dutch Shell, BP, PLC, Chevron, et Total, ont réalisé 32,7 milliards de dollars de bénéfices au troisième trimestre 2005 (+52% par rapport à la même période l'an dernier) et devraient dépasser le cap des 100 milliards sur l'ensemble de l'année. Aussi élevés que soient ces profits, aucun gouvernement ne peut cependant résoudre le problème du pouvoir d'achat des individus et de la hausse du prix de l'énergie en instaurant une nouvelle taxe sur les profits réalisés par les producteurs de pétrole. Une telle décision aggraverait au contraire le problème en renchérissant encore plus le prix de l'or noir.

          La tendance qui consiste à vouloir taxer les profits pétroliers est surprenante dans la mesure où pendant les deux dernières décennies, la profitabilité des compagnies pétrolières s'est située en dessous de la moyenne, si on les compare avec les autres firmes de l'indice Standard & Poors 500. Si elles détenaient le pouvoir de marché que les critiques leur donnent, il serait difficile de comprendre comment les dirigeants ont permis à leur entreprise de réaliser des performances aussi faibles.

          La taxation des profits est aussi inefficace économiquement. Cette affirmation peut certainement sembler provocante pour de nombreux lecteurs qui ressentent les profits des compagnies pétrolières comme une véritable provocation. Elle n'en est pas moins vraie. Pour que la taxation des profits soit efficace, il faudrait que le prix élevé du pétrole puisse être imputé à la perception de hauts profits. Or, un profit n'existe pas parce qu'il a été décrété a priori par les producteurs. Il n'est connu qu'après coup, lorsque les consommateurs ont accepté de dépenser suffisamment pour en dégager un.
 

« Un profit n'existe pas parce qu'il a été décrété a priori par les producteurs. Il n'est connu qu'après coup, lorsque les consommateurs ont accepté de dépenser suffisamment pour en dégager un. »


          Les profits résultent aussi du fait que certains entrepreneurs ont réussi mieux que d'autres à anticiper la demande des consommateurs, qu'elle porte sur le pétrole ou le savon. Si un producteur obtient un profit, c'est que rétrospectivement, d'autres entrepreneurs auraient dû se lancer dans cette production. Acquéreurs des mêmes facteurs de production, ils auraient tiré leurs prix vers le haut, réduisant d'autant le profit potentiel. Le producteur qui touche un profit est simplement un entrepreneur plus clairvoyant que les autres.
 

Anticiper correctement la demande

          La presse quotidienne nous abreuve de chiffres sur les bénéfices colossaux des entreprises comme Esso ou Total. Elles bénéficient certes du prix élevé du pétrole et de profits dans la mesure où d'autres ont omis à leur propre détriment d'investir leurs ressources dans ce secteur. Cela signifie-t-il qu'elles nuisent aux consommateurs parce qu'ils doivent payer un prix élevé pour bénéficier des services rendus par le pétrole? Dans la mesure où ce prix élevé est dû aux erreurs de ceux qui n'ont pas investi dans le secteur, certainement pas. Si on peut déplorer que certains n'aient pas su anticiper correctement la demande de pétrole des consommateurs, il faut se réjouir que certains autres aient été d'excellents spéculateurs. Sans eux, le prix du pétrole aurait été encore plus élevé.

          Cela nous amène à parler de l'aberration qu'il y a à vouloir taxer les profits d'une entreprise, au moins du point de vue du consommateur. Car l'individu ou l'entreprise qui obtient un profit en anticipant mieux que les autres la demande des consommateurs est celui ou celle qui les a servis au mieux en investissant les ressources là où elles sont le plus urgemment demandées. Taxer une production profitable revient à sanctionner le consommateur car la taxation constitue une barrière à la concurrence.

          Lorsqu'un secteur enregistre des profits importants, il devient intéressant pour d'autres firmes – par exemple dans des secteurs proches et qui enregistrent des marges plus modestes – de modifier leur production et ainsi de répondre à cette demande exceptionnelle. À la recherche de profits, ces nouveaux entrants vont augmenter l'offre de biens et ainsi réduire leur prix. C'est ce processus qu'une taxe sur les profits peut compromettre. Plus ces taxes sont élevées, moins les entrepreneurs peuvent réagir à la présence de profits et répondre aux besoins les plus urgents des consommateurs. Plus l'entrée sur le marché est entravée par des taxes, moins la production est importante et plus le prix payé par le consommateur sera élevé.

          Si les pouvoirs publics renoncent, comme l'a fait le ministre français, à taxer les profits des entreprises, de nouvelles hausses de prix pourront être évitées. Il faut réaliser que le gouvernement a à sa disposition un moyen simple de faire baisser le prix du pétrole. Si de nouvelles taxes ne peuvent que tirer le prix vers le haut, il s'ensuit que la réduction des taxes existantes est un facteur de baisse du prix. Une baisse spectaculaire du prix serait possible immédiatement si les gouvernements consentaient à réduire ce fardeau fiscal.
 

 

SOMMAIRE NO 161QU'EST-CE QUE LE LIBERTARIANISME?ARCHIVESRECHERCHE LISTE DES COLLABORATEURS

ABONNEZ-VOUS AU QLQUI SOMMES-NOUS? LE BLOGUE DU QL POLITIQUE DE REPRODUCTION ÉCRIVEZ-NOUS