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                   INTRODUCTION  | 
                 
                
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                   « La vertu de la rationalité signifie la 
              reconnaissance 
 et l’acceptation de la raison comme notre seule source 
 de connaissance, notre seul juge des valeurs 
 et notre seul guide d’action. » 
              Ayn Rand, « The Objectivist Ethics », 
              The Virtue of Selfishness, Signet Book, 1961  | 
                 
               
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          Ce livre traite de questions importantes mais rarement abordées dans 
          les manuels d’économie: celles des rapports entre l’éthique, cette 
          branche de la philosophie qui juge du bien et du mal, et l’économie. 
          Il est en effet inhabituel, pour un économiste, d’aborder de front les 
          questions qui sont du domaine de la philosophie morale. En revanche, 
          les philosophes et les moralistes ne se privent pas d’aborder les 
          problèmes économiques et de les discuter de leur propre point de vue: 
          celui du bien ou du mal. S’il n’est pas dans l’habitude des 
          économistes de discuter de moralité, bien peu de philosophes 
          comprennent ce qu’est un marché et encore moins la morale qui le 
          sous-tend. Quand le législateur interdit un marché libre des organes à 
          la transplantation au nom de la morale, c’est en fait le philosophe ou 
          le moraliste qui pénètre le domaine de l’économie avec ses propres 
          outils d’analyse, et non l’inverse. Il est alors paradoxal de 
          reprocher à l’économiste de se mêler des choses pour lesquelles il ne 
          serait pas compétent. 
           
          Les économistes 
          considèrent que, en tant que scientifiques, ils n’ont rien à dire sur 
          ces thèmes. Ils estiment devoir se contenter de faire des prédictions 
          sur les résultats qui émergeront du marché ou de l’interaction sociale 
          en général. Un économiste peut convaincre qu’il est inutile, voire 
          trop coûteux, de lutter contre le trafic de drogue, mais il doit 
          laisser à d’autres le soin de dire si consommer de la drogue est bien 
          ou mal. Il peut convaincre qu’empêcher un commerce libre des organes à 
          la transplantation revient à condamner à mort un grand nombre de 
          patients ou qu’établir un salaire minimum a pour conséquence un 
          chômage plus élevé, mais il doit laisser aux philosophes, aux 
          sociologues, aux politologues, voire aux citoyens et à leurs 
          représentants, le soin de porter un jugement de valeur sur ceux-ci. 
           
          Lionel Robbins(1), à qui 
          l’on doit une définition célèbre de l’économie – « l’économie est la 
          science qui étudie le comportement humain en tant que relation entre 
          les fins et les moyens rares à usages alternatifs » –, écrit à propos 
          des rapports entre l’éthique et l’économie: 
          
            
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              L’économie s’occupe de faits déterminables; l’éthique, 
              d’appréciations et d’obligations. Leurs champs d’investigation ne 
              sont pas sur le même plan discursif. Il y a, entre les 
              généralisations des études positives et celles d’études 
              normatives, un abîme logique qu’aucune ingéniosité ne saurait 
              déguiser et qu’aucune juxtaposition dans l’espace ou dans le temps 
              ne saurait combler. 
               
          Les propositions 
              impliquant le verbe « doit » diffèrent, par le genre, des 
              propositions impliquant le verbe « est ».  | 
             
           
                    
          Un auteur plus célèbre encore, le prix Nobel Milton Friedman(2), pense 
          que les divergences entre les individus dans les débats de politique 
          économique ou sociale proviennent avant tout de différences de 
          prévisions concernant les conséquences économiques de telle ou telle 
          mesure, qui, en principe, peuvent être éliminées par les progrès de 
          l’analyse économique. Elles ne proviennent pas de différences tenant 
          aux valeurs fondamentales, qui, elles, ne peuvent être tranchées par 
          l’analyse économique. Ces différences ne pourraient mener qu’à 
          l’affrontement. L’idée sous-jacente à cette argumentation est la 
          suivante. Dans toute action humaine, on observe deux aspects: l’un lié 
          à l’efficacité – l’action atteint-elle ses objectifs? –, l’autre à sa 
          légitimité – l’action est-elle bonne ou mauvaise, légitime ou non? Ces 
          deux aspects devraient être discutés séparément. Remarquons que cette 
          proposition est elle-même une proposition normative qu’il faut 
          justifier. 
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