Le consommateur
individuel, dans ses activités quotidiennes, a peu besoin de
statistiques; grâce à la publicité, aux informations données
par des amis et à sa propre expérience personnelle, il
découvre ce qui se passe sur les marchés qui l'entourent.
C'est pareillement vrai pour l'entreprise. L'homme
d'affaires doit également juger son marché particulier,
déterminer les prix qu'il doit payer pour ce qu'il achète et
ceux qu'il doit fixer pour ce qu'il vend, il doit tenir une
comptabilité pour estimer ses coûts, etc. Mais aucune de ses
activités ne dépend vraiment de la collecte des faits
statistiques recueillis par le gouvernement fédéral sur
l'économie. L'homme d'affaires, comme le consommateur,
connaît et apprend son marché particulier au travers de son
expérience quotidienne.
Les bureaucrates, tout
comme les réformateurs étatistes, sont toutefois dans une
situation complètement différente. Ils sont résolument hors
du marché. Donc, afin de pouvoir se placer « dans » la
situation qu'ils essaient de planifier et de réformer, ils
doivent obtenir une connaissance qui n'est pas celle de
l'expérience personnelle et quotidienne. La seule forme que
puisse prendre une telle connaissance est celle des
statistiques(3). Ces dernières sont les yeux et les oreilles
du bureaucrate, du politicien, du réformateur socialiste. Ce
n'est que grâce aux statistiques qu'ils peuvent connaître
l'économie, ou du moins avoir une idée sur ce qui s'y
passe(4).
Ce n'est que grâce à
elles qu'ils peuvent trouver combien de vieilles personnes
sont rachitiques, combien de jeunes gens ont des caries, ou
combien d'Esquimaux ont des peaux de phoque en mauvais état
– et donc ce n'est que grâce aux statistiques que ces
interventionnistes découvrent qui a « besoin » de quoi dans
toute l'économie, et combien d'argent fédéral doit être
canalisé dans telle ou telle direction. Et il est certain
que ce n'est que grâce aux statistiques que le gouvernement
peut faire une tentative, même intermittente, de planifier,
de réguler, de contrôler ou de réformer les diverses
industries – ou d'imposer la planification centrale et la
socialisation du système économique dans son entier.
Si le gouvernement ne
recevait aucune statistique sur les chemins de fer, par
exemple, comment diable pourrait-il même commencer à réguler
les tarifs des chemins de fer, leurs finances et toutes les
autres affaires? Comment le gouvernement pourrait-il imposer
un contrôle des prix s'il ne savait même pas quels biens ont
été vendus sur le marché, et à quels prix? Les statistiques,
répétons-le, sont les yeux et les oreilles des
interventionnistes, du réformateur intellectuel, du
politicien et du bureaucrate gouvernemental. Retirez ces
yeux et ces oreilles, détruisez ces guides critiques de la
connaissance, et toutes les menaces d'intervention du
gouvernement sont presque complètement éliminées(5).
Sans statistiques, la bureaucratie
s'évanouirait |
Il est vrai, bien sûr, que même privé de toute connaissance
statistique sur les affaires de la nation, le gouvernement
pourrait encore essayer d'intervenir, de taxer et de
subventionner, de réguler et de contrôler. Il pourrait
essayer de subventionner les personnes âgées même sans avoir
la moindre idée sur leur nombre et sur leur lieu de
résidence; il pourrait essayer de réguler une industrie sans
même savoir combien elle compte d'entreprises et sans aucune
autre donnée de base; il pourrait essayer de réguler le
cycle des affaires sans même savoir si les prix ou
l'activité commerciale montent ou descendent. Il pourrait
essayer, mais il n'irait pas bien loin. Le chaos absolu
serait trop patent et trop évident même pour la
bureaucratie, et certainement pour les citoyens. Et ceci est
d'autant plus vrai que l'une des raisons principales avancée
en faveur de l'intervention du gouvernement est qu'il
« corrige » le marché, rendant le marché et l'économie plus
rationnels.
À l'évidence, si le
gouvernement était privé de toute connaissance sur les
affaires économiques, il ne pourrait même pas y avoir de
prétention de rationalité dans l'intervention
gouvernementale. Il est certain que l'absence de
statistiques détruirait de façon absolue et immédiate toute
tentative de planification socialiste. Il est difficile de
voir ce que, par exemple, les planificateurs centraux du
Kremlin pourraient faire pour planifier les vies des
citoyens soviétiques s'ils étaient privés de toute
information, de toute donnée statistique sur ces citoyens.
Le gouvernement ne saurait même pas à qui donner des ordres,
encore moins comment essayer de planifier une économie
complexe(6).
Ainsi, de toutes les
mesures qui ont été proposées au cours des ans pour
contrôler et limiter le gouvernement, ou pour faire reculer
ses interventions, la simple et peu spectaculaire abolition
des statistiques gouvernementales serait probablement la
plus profonde et la plus efficace. Les statistiques, si
vitales à l'étatisme, sont aussi le talon d'Achille de
l'État.
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