Quand l’offre ne rencontre plus la demande |
Il est vrai que les absents ont toujours tort et
que les libéraux brillent par leur absence sur la scène politique. D’un
côté, on les comprend quand on connaît le terrorisme intellectuel et
idéologique qui sévit chaque jour chez nous, pays des droits de
l’homme et du citoyen (et le modeste rédacteur de ces lignes sait de
quoi il parle...). Il faut être fou ou inconscient, ou alors réellement
motivé par le bien commun et le sens du sacrifice, pour prendre le
parti des idées libérales quand on sait comment celles-ci sont
présentées à nos enfants dans le moindre manuel scolaire. La
pollution, la misère, le colonialisme, l’esclavage, la prostitution,
le sexisme, le racisme, et j’en passe, il y a une explication et une
seule: c’est à cause de la mondialisation libérale.
Remarquons que cela a le mérite de la clarté et de la simplicité, et
cela évite de trop penser. Le prêt-à-penser est précisément ce que
demande l’individu de base qui n’a pas de temps à consacrer à un
raisonnement trop sophistiqué.
D’un autre côté, les libéraux en France se cantonnent volontiers dans la
clandestinité. Ils sont souvent divisés entre eux et, le comble pour
un libéral, ils aiment bien conserver le monopole de la
représentation du libéralisme. De sorte que, dès qu’il s’agit de se
lancer dans le combat politique, notamment par la création d’un
parti politique explicitement libéral, il n’y a plus personne.
À force d’avoir honte du libéralisme, on prend le risque de donner
raison à ses détracteurs. Serait-ce une pensée illégitime? Pour
certains libéraux, le libéralisme se dissoudrait dans l’action
politique avec laquelle il ne saurait être compatible. La pratique du
pouvoir nous conduirait à aimer le pouvoir. Mais l’histoire du 20e
siècle nous enseigne aussi que certains osent.
Parvenu au sommet de
la hiérarchie soviétique, Gorbatchev la déstabilise pour se retirer
dans la vie civile comme un modeste citoyen. Reagan modernise
pareillement l’administration américaine, après avoir contribué à
déstabiliser l’« empire du mal ». Thatcher vient aux affaires pour
liquider les aspects les plus inflexibles d'un État-providence britannique à l’agonie, convoqué devant le FMI pour
cessation de paiement, après des années de dérive travailliste. Puis
elle prend une retraite méritée. Ce n’est pas le pouvoir pour le
pouvoir qui a motivé ces hommes et femme d’État. C’est le pouvoir
pour changer les choses.
Une théorie de l’État de droit |
Le libéralisme n’est pas contre l’État en tant que tel. Il est même
sous certains aspects une théorie de l’État, plus précisément de
l’État de droit, la seule forme étatique compatible avec
l’épanouissement de l’économie de marché. Et, à ma connaissance,
c’est le seul type d’économie qui fonctionne en ce bas monde. Or, il
revient aux hommes d’État de conduire l’État, surtout si on regrette
qu’il soit dirigé (et paralysé) par les syndicats. Les hommes d’État
tirent leur légitimité du processus électoral.
Je vous l’accorde volontiers, l’économie de marché n’est ni
parfaite, ni optimale. Mais, c’est le cas de tout ce qui existe
ici-bas. Par définition, l’homme est faillible et l’erreur est
humaine. Mais l’économie de marché a au moins le mérite d’exister et
de fonctionner (même imparfaitement); ce n’est la moindre de ses
caractéristiques. Les utopies et autres mondes parfaits n’existent
que dans la tête des dictateurs et des intolérants. Ils tournent au
cauchemar à la moindre tentative d’application réelle.
Il est donc urgent de rappeler aujourd’hui que la
plupart des maux dont souffre notre pays proviennent précisément
d’un excès d’interventionnisme plutôt que d’un excès de libéralisme.
Mais, comment toucher le citoyen, comment intéresser les médias si
les libéraux ne se dotent pas d’un parti politique? Les cercles
intellectuels font une oeuvre utile et indispensable mais qui ne
touchent qu’un cercle très restreint de gens déjà convaincus. De
toute façon, la bataille politique ne se gagne pas sur le terrain de
la logique pure et des arguments intellectuels.
Alors faut-il ou pas créer un parti libéral?
On pourrait appliquer des concepts et un raisonnement économiques au
dilemme des libéraux. Ces querelles de chapelles rappellent un vieux
débat en économie qui oppose ceux qui considèrent que l’offre créé
la demande à ceux qui pensent au contraire que la demande entraîne
l’offre.
L’histoire de « la poule et l’oeuf » est là pour nous rappeler que
la question ainsi posée débouche sur une impasse. Pensons aux
innovations. Nous avons pu nous passer d’internet ou des téléphones
portables avant qu'ils n’existent. Par définition, un nouveau produit
doit précéder (et anticiper) la demande. Sauf que le succès du
nouveau produit s’imposera de lui-même s’il correspond à un réel
besoin. Combien d’innovation avortée qui ne tiennent pas compte du
marché en pensant s’imposer sur le seul critère de la nouveauté ou
de la technicité? Le besoin de communiquer est vieux comme le
monde, et il est profondément ancré dans la nature humaine. Or, le
téléphone portable et internet répondent parfaitement à ce besoin au
point qu’on imagine mal de s’en passer aujourd’hui.
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