À l’inverse, pour Jean-Baptiste Say, la valeur d’un
produit repose sur son utilité constatée par
l’échange. Un produit inutile ne possède aucune
valeur, quelle que soit la dose de travail qu’il
contient. Si le travail humain est sacré dans le
domaine de la morale, il n’est qu’un facteur de
production comme les autres dans l’activité
économique.
« Un objet manufacturé,
écrit-il, n’a pas une valeur parce qu’il a coûté de
la peine. Il en a parce qu’il est utile. C’est cette
utilité que l’on paie quand il a fallu qu’on la
créât. Là où elle ne se trouve pas, il n’y a point
eu de valeur produite, quelque peine qu’on ait jugé
à propos de se donner… Tous les auteurs qui ont
voulu former des systèmes économiques sans les
fonder sur la valeur échangeable des choses, se sont
jetés dans des divagations. De là l’importance à
fixer nos idées relativement à la valeur… Ces
principes élémentaires ne reposent point sur des
discussions métaphysiques, mais sur des faits. »
La grande force de
Jean-Baptiste Say face à ses illustres
prédécesseurs, les Physiocrates et Adam Smith
surtout, réside précisément en ceci qu’il a su, au
nom des faits, résister à la puissance sectaire des
préjugés, « lesquels, écrit-il, viennent
s’interposer entre l’homme et la vérité ».
En portant ainsi le
flambeau de la raison, de la seule raison; de
l’analyse, de la seule analyse; de la logique, de la
seule logique, dans l’examen de la production des
richesses, il applique à l’économie les préceptes de
la philosophie des Lumières.
Deuxième divergence de
taille: Smith méconnaît totalement le service que
rend le capital dans les opérations productives. Au
contraire, Jean-Baptiste Say démontrera point par
point et avec minutie l’importance du capital. Les
chapitres 10 à 14 du Cours complet d’économie
politique pratique constituent le coeur de la
doctrine de Say sur cette question. Dans ces pages,
il examine, avec une rigueur et une clarté
exemplaires, la nature et l’emploi des capitaux,
leur classification en productifs et improductifs,
leur formation et, à l’opposé, la façon dont ils se
dissipent. Il n’est pas exagéré de dire que ces
pages, débarrassées, elles aussi, de tout préjugé,
constituent le fondement scientifique du capitalisme
moderne.
Troisième rectification,
enfin: Jean-Baptiste Say démontre que les produits
immatériels – ce que nous appelons aujourd’hui les
services (la consultation du médecin, la plaidoirie
de l’avocat, une représentation théâtrale…) – sont
des produits aussi réels que les autres. Adam Smith
refusait cette notion. En conséquence, sa doctrine
ne permettait pas d’embrasser le phénomène de la
production dans sa totalité.
Voici quelques exemples,
sur lesquels nous reviendrons, qui montrent que Say
s’est enrichi de Smith comme Montaigne s’était
nourri de Plutarque: dans un dialogue permanent,
quotidien, mais critique.
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