Le
débat aurait pu en rester là et ne reprendre que quelques
mois ou années plus tard mais par coïncidence, le quotidien
La Presse révélait quelques semaines plus tard une
pratique bizarre visant à hausser les prix des vins
européens, malgré la baisse de la valeur de l'euro par
rapport au dollar canadien qui aurai dû entraîner des
économies pour les consommateurs québécois. Les journalistes
de tous les médias se sont alors mis à enquêter sur les
pratiques de gestion au sein de la SAQ, qu'il s'agisse des
« primes au rendement » faramineuses accordées aux
gestionnaires pour leur efficacité à accroître les revenus
du monopole ou des liens de copinage entre la direction de
la société d'État et le Parti libéral du Québec. Cette
histoire fait les manchettes presque tous les jours depuis,
et Valentin continue de donner des entrevues presque
quotidiennement pour alimenter le débat.
Un point central ressort
de tout ceci: de nombreux journalistes, commentateurs, et
une bonne partie du grand public, ont maintenant compris
qu'un monopole public, par sa nature même, ne vise pas à
répondre adéquatement aux besoins de ses clients. Il vise
simplement à siphonner le plus de revenus possible pour son
seul actionnaire, le gouvernement. Et il peut se permettre
de le faire justement parce qu'il n'a aucune compétition. Au
contraire, dans un marché où existe la concurrence, les
entreprises visent évidemment à faire le plus de profit
possible, mais elle ne le peuvent qu'en servant le mieux
possible leurs clients. Sinon, ceux-ci iront acheter
ailleurs.
Le Cahier de l'IEDM n'a
pas provoqué à lui seul tout ce débat. Mais il a procuré, à
un moment crucial, des faits et des concepts qui ont permis
au débat d'avoir une ampleur et une pertinence sans
précédent. Un débat qui a maintenant le potentiel de
s'étendre à d'autres monopoles étatiques, puisque les
notions économiques sont les mêmes.
Chacun peut d'ailleurs y
contribuer à sa façon. Une lettre en faveur de la
libéralisation du commerce d'alcool publiée ces jours-ci
dans le Courrier des lecteurs d'un quotidien aura
certainement plus d'impact sur l'issue de ce débat – et sur
l'avenir de la liberté au Québec – qu'un vote une fois tous
les quatre ans ou qu'une implication militante dans un parti
pour faire avancer cette idée. Quel que soit le parti au
pouvoir – PQ, PLQ ou ADQ –, la privatisation de la SAQ sera à
l'ordre du jour si ce monopole a perdu sa légitimité et est
contesté par une partie importante de la population. Au
contraire, même un gouvernement avec quelques prétentions
nébuleuses à vouloir réduire le rôle de l'État, comme le
gouvernement actuel, ne voudra pas y toucher s'il peut
éviter de déplaire à la mafia syndicale et continuer
impunément à en tirer des centaines de millions en taxes
pour alimenter son appétit insatiable.
Une croix sur la politique? |
Doit-on pour autant faire une croix définitive sur
l'implication et les gestes de nature politique? Je ne suis
pas dogmatique sur cette question. Oui, si c'est pour y
perdre des énergies et un temps précieux alors qu'on
pourrait avoir une influence plus grande ailleurs; oui, s'il
s'agit de mettre tous ses oeufs dans le même panier et de
risquer l'avenir de la liberté sur les succès ou échecs d'un
parti; non, seulement si l'on croit vraiment pouvoir faire
une différence positive, par une action ponctuelle, sur le
processus politique.
Je suis persuadé qu'à
moyen et long terme, on ne pourra pas réussir à renverser
pour de bon la croissance de l'étatisme à moins de contester
radicalement les aspects collectivistes du système
démocratique et la politisation de toutes les questions
sociales. Mais toute avancée de l'influence libertarienne,
et tout recul de l'étatisme, mérite un appui à court terme,
y compris par des moyens politiques – en autant qu'ils ne
nous détournent pas de nos objectifs à plus long terme.
Lors de la dernière
élection fédérale, j'ai choisi de ne pas voter plutôt que
d'appuyer un candidat confus et sans position précise, qui
n'aurait absolument rien fait pour défendre la liberté à
Ottawa. J'aurais peut-être appuyé un candidat conservateur
ou autre qui m'aurait convaincu que sa priorité au Parlement
sera non pas de défendre le programme absolument
insignifiant de son parti, mais bien de lutter pour réduire
les impôts et abroger des lois au lieu d'en ajouter.
J'aurais certainement voté pour l'animateur de radio et
candidat indépendant
André Arthur, qui a passé des années à
défendre la liberté et à dénoncer l'étatisme envers et
contre tous, et dont le seul programme est d'aller porter ce
message dans l'antre de la bête.
La victoire de M. Arthur
dans Portneuf-Jacques-Cartier illustre très bien la
stratégie qui consiste à diffuser un message libertarien
avant de penser à s'organiser politiquement. André Arthur a
fait campagne sans argent, sans bureau, sans pancarte, sans
organisation, avec pour seul appui sa dynamique recherchiste
Lise Robitaille. Il a été élu non pas parce qu'il a passé
des années à militer, à participer à des congrès et à placer
ses pions au sein d'une organisation politique, mais parce
qu'il a fait de l'« éducation politique » auprès de ses
auditeurs pendant toute sa carrière. Il a créé une demande
pour les idées qu'il défendra à Ottawa, au lieu de perdre
son temps à tenter de produire une offre politique dans des
circonstances plus que défavorables. Au Parlement, il aura
peu de pouvoir, mais sa voix d'indépendant avec des idées
cohérentes et percutantes aura plus d'écho que celle des
nombreux députés d'arrière-banc qui ne feront qu'ânonner la
ligne de parti.
Depuis 100 ans, les
socialistes ont envahi les écoles, les universités, les
médias, tous les lieux de pouvoir d'où ils peuvent propager
leurs idées. Ils n'ont pas besoin d'un gouvernement dirigé
par un parti socialiste pour atteindre leurs objectifs: tous
les partis sont socialistes à divers degrés. Le Parti
libéral du Québec, qui étaient vraiment libéral il y a 75
ans, a poursuivi l'étatisation des garderies, renié sa promesse de réduire
les impôts et refuse encore de démanteler la SAQ. Les
socialistes du nouveau parti d'extrême gauche Québec
solidaire souhaitent aller encore plus loin, mais si l'on
compare la situation d'aujourd'hui avec le Québec d'il y a
un demi-siècle, ils ont gagné: l'État est maintenant
partout.
Pour réussir à renverser
cette tendance et ramener la liberté individuelle à l'ordre
du jour, il faut faire la même chose. Propager nos idées,
influencer les débats, investir les lieux de pouvoir petit à
petit. La présence d'un parti libertarien n'aura aucune
importance si de nombreux journalistes comprennent
l'économie de marché et se mettent à traquer et à dévoiler
les effets pervers de l'interventionnisme étatique; si
l'opinion publique est de plus en plus réceptive envers nos
idées; si divers groupes s'organisent, dans tous les
milieux, pour exiger moins de contrôle de l'État et plus de
libre marché; et si la pression exercé sur les politiciens
en mal de popularité n'est pas dans le sens de toujours plus
de redistribution et de programmes sociaux, mais de moins
d'impôt, de subventions et de réglementation. Lorsque ce
sera le cas, il sera bien plus facile de faire élire des
sympathisants libertariens, dans l'un ou l'autre parti, et
de convaincre les politiciens en place qu'il est dans leur
intérêt, qu'ils y croient ou non, d'adopter ces politiques.
Propager des idées est
une action aussi « concrète », et qui donne de bien
meilleurs résultats, que militer dans un parti. On peut le
faire d'un tas de façons, en commençant par convaincre les
gens autour de nous. Voilà la façon la plus efficace d'agir
soi-même, maintenant, pour changer les choses. Parce qu'en
bout de ligne, ce sont vraiment les idées qui mènent le
monde.
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