Celui
qui est pour la propriété privée des moyens de production ne
prétend pas le moins du monde que l'ordre social capitaliste
reposant sur la propriété individuelle est parfait. Il n'est
pas de perfection ici-bas. Il se peut, même dans l'ordre
social capitaliste, que telle ou telle chose, ou même tout,
ne plaise pas à tel ou tel individu. Mais il est le seul
ordre social concevable et possible. On peut tendre à
changer telle ou telle institution aussi longtemps qu'on ne
touche pas, ce faisant, à l'essence et aux fondements de
l'ordre social, à la propriété. Il nous faut néanmoins nous
accommoder de cet ordre social puisque en réalité il ne peut
en exister d'autre.
Il est aussi, dans la
« nature », des choses qui peuvent ne pas nous plaire. Mais
nous ne pouvons changer l'essence des phénomènes naturels.
Lorsque par exemple quelqu'un prétend – et il en est qui
l'ont prétendu – que la façon dont l'homme mange, assimile
et digère est repoussante, on ne peut disputer contre lui.
Mais on doit certes lui dire: il n'est que ce moyen ou la
mort par inanition. Il n'y a pas une troisième solution. Le
même raisonnement est vrai pour la propriété: ou bien la
propriété individuelle des moyens de production ou bien la
famine et la misère pour tous.
Les adversaires du
libéralisme ont continué de qualifier en général d'optimisme
sa conception de la politique économique. C'est de leur part
ou bien un reproche ou bien une façon dérisoire de
caractériser la manière de penser des libéraux. Quelle
absurdité que de dire de la doctrine libérale, qualifiée si
souvent d'optimiste, qu'elle considère le monde capitaliste
comme étant le meilleur des mondes. Pour une idéologie
scientifiquement fondée comme l'est le libéralisme, la
question n'est absolument pas de savoir si l'ordre social
capitaliste est bon ou mauvais, si l'on peut ou non en
imaginer un meilleur, et si, pour des raisons philosophiques
ou métaphysiques, on doit ou non le rejeter.
Le libéralisme
part des pures disciplines de l'économie politique et de la
sociologie qui, à l'intérieur de leur système, ne
connaissent aucune appréciation, n'énoncent rien sur ce qui
doit être, sur ce qui est bon et sur ce qui est mauvais,
mais ne font que constater ce qui est et comment cela est.
Lorsque ces sciences nous montrent que de tous les ordres
sociaux imaginables il n'en est qu'un, l'ordre social
reposant sur la propriété individuelle des moyens de
production, qui soit viable, puisque tous les autres sont
irréalisables, il n'y a absolument rien dans cette
affirmation qui puisse justifier la qualification
d'optimisme. Que l'ordre social capitaliste soit viable et
efficace, c'est là une constatation qui n'a rien à voir avec
l'optimisme.
Certes, de l'avis des
adversaires du libéralisme, cet ordre social est très
mauvais. Dans la mesure où cette affirmation contient un
jugement de valeur, elle est naturellement inaccessible à
toute explication qui irait au-delà des jugements
extrêmement subjectifs et par conséquent dépourvus de tout
caractère scientifique. Dans la mesure pourtant où cette
affirmation se fonde sur une fausse conception des
phénomènes à l'intérieur de l'ordre social capitaliste,
l'économie politique et la sociologie peuvent la corriger.
Cela non plus n'est pas optimisme. En faisant abstraction de
tout le reste, la révélation elle-même des si nombreuses
lacunes de l'ordre social capitaliste n'aurait pas la
moindre signification pour les problèmes de politique
sociale aussi longtemps qu'on ne réussit pas à montrer qu'un
autre ordre social serait non pas meilleur mais seulement
réalisable. C'est à quoi l'on n'est pas parvenu. La science,
elle, a réussi à montrer que chacun des systèmes
d'organisation sociale concevables en remplacement de
l'ordre social capitaliste est en soi contradictoire et
absurde, de sorte qu'il ne pourrait produire les effets
qu'en attendent ses défenseurs.
Un fait montre
parfaitement combien il est peu justifié de parler ici
d'optimisme et de pessimisme, et combien ceux qui qualifient
le libéralisme d'optimiste visent surtout, en faisant
intervenir des motifs sentimentaux qui n'ont rien à voir
avec la science, à créer un état d'esprit hostile au
libéralisme. Car, on pourrait avec le même droit appeler
optimistes ceux qui pensent que la construction d'une
communauté socialiste ou interventionniste est réalisable.
La majorité des auteurs
qui s'occupent de questions de politique économique ne
laissent habituellement passer aucune occasion de s'attaquer
de façon absurde et puérile à la société capitaliste et de
vanter en termes enthousiastes le socialisme ou
l'interventionnisme, ou même le socialisme agraire et le
syndicalisme, comme des institutions excellentes. Il y eut
de l'autre côté, peu d'auteurs qui aient entonné, encore
qu'ils l'aient fait en termes plus mesurés, les louanges de
l'ordre social capitaliste.
On peut, si l'on veut, appliquer
à ces auteurs l'épithète d'optimistes du capitalisme. Mais
il faudrait, si on le fait, attribuer avec infiniment plus
de droit celui d'hyperoptimistes du socialisme, de
l'interventionnisme, du socialisme agraire et du
syndicalisme à ces auteurs antilibéraux. Le fait que tel ne
soit pas la cas mais que l'on baptise purement et simplement
d'optimistes des auteurs libéraux tels que Bastiat prouve
qu'on n'est pas du tout ici en présence d'une tentative de
classification scientifique, mais bel et bien d'une
distorsion partisane.
Il importe de répéter que
le libéralisme ne prétend pas que l'ordre social capitaliste
et bon à tout point de vue. Il dit simplement que seul
l'ordre social capitaliste convient aux buts que les hommes
se proposent et que les constructions sociales du
socialisme, de l'interventionnisme, du socialisme agraire et
du syndicalisme sont irréalisables. C'est pourquoi les
neurasthéniques qui ne pouvaient supporter cette vérité ont
fait de l'économie politique une science lugubre (a
dismal science). En montrant le monde tel qu'il est en
réalité, l'économie politique et la sociologie ne sont pas
plus lugubres que ne sont lugubres d'autres sciences, la
mécanique ou la biologie par exemple, l'une parce qu'elle
enseigne que le perpetuum mobile est irréalisable,
l'autre que les être vivants meurent.
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