Montréal, 19 mars 2006 • No 171

 

COURRIER DES LECTEURS / READERS' CORNER

 

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YVES SÉGUIN REFUSE DE VOIR LA RÉALITÉ EN FACE

 

          Commentant le récent rapport de l'Institut Fraser qui classe le Québec comme la province la moins attirante au Canada pour l'investissement, l'ex-ministre des Finances du Québec, Yves Séguin, se fendait récemment d'une réfutation désinvolte du document dans les pages du Journal de Montréal.

          Certes, Yves Séguin a dit une chose intelligente au début de son mandat: que ce n'était pas le moment, alors, de réduire les impôts. Ce n'était pas le moment en effet, il y a deux ans. Maintenant ça commence à urger. Mais depuis son limogeage (pour crime de taquinerie des intérêts de Québec Inc. suite à son projet de réforme de l'Autorité des marchés financiers du Québec), il semble engagé dans une véritable vendetta visant à tirer le tapis sous les pieds du gouvernement Charest. On reconnaît qu'il est politiquement assez nul le frisé, mais au moins économiquement son gouvernement tente de faire la bonne affaire.

          Or la réfutation que fait M. Séguin de la remarquable étude de l'Institut Fraser est un véritable tissu d'âneries.

 

Les routes

          L'ancien ministre commence par ironiser sur le critère prenant en compte la longueur des routes, prétendant se demander en quoi la longueur des routes et autoroutes est pertinente à l'évaluation économique. Selon ce critère, le Québec serait au septième rang, avec une note de 4,3/10, derrière le Manitoba et la Nouvelle-Écosse. Cela est-il sérieux? Non, écrit-il! Or, il est inadmissible dans sa position d'abuser de son autorité morale pour affirmer péremptoirement une pareille bêtise.

          En économie (comme dans beaucoup d'autres domaines), on utilise des « proxies » pour mesurer certains atouts d'une société. Un « proxy » (littéralement « approximation » en français), c'est une variable facilement observable, corrélée avec une autre variable d'intérêt, mais difficilement observable directement. Or, la longueur des routes et autoroutes est un « proxy » pour l'investissement, et Yves Séguin le sait pertinemment. Plus précisément, cette variable permet d'estimer deux choses (en agrégation): 1) la quantité d'investissement public dans l'infrastructure et 2) l'efficacité de ces investissements.

          Quiconque s'est intéressé à l'audit des contrats d'infrastructure sait qu'au Québec, la corruption des travaux publics, l'incompétence des gestionnaires, et les magouilles des syndicats triplent le prix de la majorité des projets. La longueur des routes est donc un paramètre tout à fait standard, et la pseudo réfutation de M. Séguin est d'une démagogie et d'une mauvaise foi indéniables – en terme de qualité des infrastructures, le Québec ne réussit qu'à dépasser le Nouveau-Brunswick, Terre-Neuve et l'Île-du-Prince-Édouard. Pas bien fort pour nos politiciens qui se pètent les bretelles en ramassant les pots de vins de leurs ti-zamis entrepreneurs!
 

La réglementation et les formalités

          Yves Séguin s'en prend ensuite au critère de l'étude qui tente de mesurer l'ampleur de la réglementation et des formalités, ce que l'on appelle communément la lourdeur administrative. Il raille la méthodologie utilisée, un sondage préparé par la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante, et qui mène à la conclusion que l'ensemble des formalités au Québec fait perdre un temps précieux à remplir trop de formulaires, cette perte équivaut selon l'estimation du Fraser à 4,5% de son PIB, soit 10 milliards de dollars annuellement, ce qui vaut au Québec la note de zéro sur dix. Encore une fois, fanfaronne-t-il, « ce n'est pas très sérieux! » Eh bien, c'est très sérieux au contraire. Le contrôleur d'une entreprise sait exactement quel temps (donc, quel argent) est dépensé sur quelle activité. En tout cas, il devrait le savoir. Le temps passé à remplir des formulaires d’« équité salariale » et de « conformité aux normes de l'Office de la langue française », pour n'en citer que deux parmi des floppées, ou a niaiser au téléphone avec les fonctionnaires du gouvernemaman, est une mesure fiable (proxy encore) de la complexité de la réglementation, donc des dépenses supplémentaires que celle-ci occasionne aux entreprises.

          Méthodologie parfaitement rigoureuse, de plus un sondage est toujours calibré statistiquement. Les Québécois sont les citoyens les plus bureaucratisés au Canada, ce qui leur vaut une autre dixième place bien méritée au classement.

          Un autre critère est celui de la législation sur les relations de travail. Ainsi, plus une province adopte des lois ou des règlements empêchant un employeur d'embaucher des « scabs », plus sa note descend vers zéro. Une province qui oblige au paiement des cotisations syndicales est affligée, car ici « l'infamie est jugée très grave », caricature l'ex-ministre, d'une note de zéro, rien d'autre... La question n'est pas de savoir s'il s'agit ou non d'une « infamie ». Ce genre de vocabulaire à la Fidel Castro tombe complètement à côté de la plaque. Le fait est que la province du Québec est syndicalisée à outrance (42%! Même en France, c'est 12% au maximum), ce qui donne aux syndicats un pouvoir démesuré. Et ce n'est pas la kyrielle d'entreprises qui ont pris leurs jambes à leur cou depuis 20 ans pour cette raison qui me contrediront. Ce pouvoir excessif des syndicats a pour effet de créer deux catégories de travailleurs: les syndiqués au statut intouchable, et tous les autres qui se font exploiter pour maintenir en place les privilèges des premiers.
 

Les questions fiscales

          M. Séguin argumente ensuite que côté fiscalité, le Québec s'en tire bien – sauf à l'égard de la taxe sur le capital qui ne lui vaut que 2,5/10. Mais, dit-il, la taxe sur le capital du Québec sera ramenée progressivement d'ici 2010 au niveau de celle de l'Ontario qui elle est classée au sixième rang.

          Grossière déformation des faits, le Québec ne s'en tire pas bien du tout:
 

L'impôts sur le revenu des sociétés: Voilà le seul atout du Québec. Le taux est le plus bas de toutes les provinces. Mais dans tous les autres domaines, le Québec traîne tellement la patte qu'il arrive à torpiller cet avantage concurrentiel.

Les finances publiques: On mesure ici l'ampleur des déficits (ou surplus des cinq dernières années) des dépenses publiques en pourcentage du PIB, l'importance du service de la dette. Le Québec arrive en 9e place, juste devant l'Île-du-Prince-Édouard.

L'impôt des particuliers: Avec une note de 2.5, le Québec arrive en avant-dernière place, à égalité avec la Nouvelle-Écosse. La dernière place revient à Terre-Neuve.

La taxe sur le capital: C'est évidemment l'un des principaux freins à l'investissement. Après la Saskatchewan, c'est au Québec que la taxe sur le capital est la plus élevée, ce qui vaut au Québec l'avant-dernière place.
 

Pas de quoi pavoiser

          Yves Séguin s'indigne alors du fait que ce rapport de l'Institut Fraser risque de causer un « tort considérable à la réputation du Québec. Il circule déjà dans la communauté des affaires, et auprès de plusieurs groupes financiers qui risquent, encore une fois, de ne retenir du Québec rien de bon, et cela, bien injustement. »

          Or, le tort est fait depuis longtemps! Et fort justement hélas: on a beau quasiment exonérer d'impôt les revenus des entreprises, fort peu sont assez inconscientes pour se risquer à s'installer dans ce qui est en train de devenir la société la plus déshéritée du continent, probablement la seule ou l'investissement privé reculera de 0.5% en 2006! Le cancre de la classe sur presque toute la ligne! Voilà en gros le bilan de la catastrophe économique et sociale nommée Québec! Et ce, non pas faute de ressources naturelles et humaines comme beaucoup de pays sous-développés, mais tout simplement à cause d'une classe politique et syndicale dont l'incompétence, l'égoïsme et la corruption ont de quoi terroriser.
 

Quelles solutions?

          Les solutions sont évidemment politiques. Facile à dire, plus difficile à faire. Au Québec, la moindre petite réformette déclenche une véritable levée de boucliers. Nos dépenses publiques, notre endettement, notre bureaucratie et la rigidité de nos lois du travail sont des « choix de société », dit-on chez les bien-pensants. Nous avons deux fois trop de fonctionnaires par tête de pipe au Québec, et cette situation seule nous coûte des milliards de dollars par année. Continuons comme cela, se moque Claude Picher dans La Presse, et il faudra davantage parler de suicide collectif.

          À part quelques indécrottables séparatistes ou clowns genre Léo-Paul Lauzon, il suffit d'ouvrir les yeux pour se rendre compte que la province va droit vers un mur, et que l'exode massif vers l'Ouest et l'Alberta qui prend forme chez les plus instruits et les plus ambitieux devrait être plus qu'alarmant!

          Ne resteront au milieu des ruines que les BS, les réfugiés politiques et des syndiqués marxistes-léninistes qui continueront à gueuler contre Wal-Mart et les Américains – qui auront tous décampé en voyant se dessiner le spectre du désastre...
 

Pour qui roule Yves Séguin?

          Que dire de plus? Aveuglement et refus obstiné de regarder la réalité en face. À quel jeu joue M. Séguin? Il est quand même bien placé pour savoir qu'il bullshitte sur toute la ligne. Peut-être trouve-t-on un élément de réponse dans son étrange silence l'autre jour à l'émission Indicatif Présent, alors que Gérald « le fort en gueule » Larose tentait, en criant plus fort que les économistes invités par Mme Bazzo, de nous convaincre que « des dépenses de programme, c'est des investissements ». Connerie monumentale qui ferait sauter au plafond n'importe quel étudiant de B. Com.

          Faut-il y voir une ébauche d'un prochain move politique d'Yves Séguin vers le camp souverainiste? Quand ça marche comme un canard, que ça couaque comme un canard, et que ça vole comme un canard... généralement, c'est un canard. Et après la souveraineté, on le sait, les dollars vont pousser dans les érablières de Mauricie, le Québec récupérera les impôts d'Ottawa (mais pas les factures), et les entreprises se battront pour venir s'établir dans le Haïti d'Amérique du Nord...

          Alors Yves Séguin ne prend pas « la défense du Québec », mais seulement celle de l'oligarchie qui le maintient dans son sous-développement économique pour mieux exploiter sa population, comme « chair à impôts » ou « chair à scrutin » – à vous de choisir –, au nom d'une « solidarité » nationale à sens unique. Un peu comme une étudiante médiocre qui crierait au harcèlement pour forcer son professeur à remonter ses notes.

Pierre-Yves P.
Montréal

 

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