L’affaire est pourtant simple. La génération de 1968, celle de gauche,
a usé de son pouvoir politique, via les urnes ou la rue, pour créer
sur le marché du travail un secteur protégé de la compétition que se
font les travailleurs entre eux et les entrepreneurs entre eux. Les
jeunes, les immigrés et les femmes qui souhaitent être embauchés dans
des entreprises sont les premières victimes de cette législation. Les
instruments utilisés pour construire ce secteur protégé ont été un
code du travail (lois Auroux par exemple) particulièrement
contraignant pour les employeurs et un prix plancher (le SMIG) en
hausse continue.
Cette législation pèse
sur les moins qualifiés d’entre nous. Ceux qui sont exclus du marché
du travail par ce protectionnisme voulu et désiré par les partis de
gauche et leurs clientèles respectives, ont pour seule alternative (du
fait même du caractère universel de cette protection) que de se
tourner vers l’assistance publique via toutes les variétés d’aides
publiques (y compris l’allocation de chômage et le RMI) ou la
clandestinité (travail illégal ou travail noir), voire les deux en
même temps.
Ce secteur protégé et
généralisé à l’ensemble du marché du travail crée ce que l’on appelle
un chômage de file d’attente. En effet, s’il existe une certaine
probabilité d’accéder à un emploi protégé dans un délai raisonnable,
cela vaut le coup de faire la queue dans la file d'attente des
chômeurs pour obtenir l'emploi protégé convoité. Pour augmenter cette
probabilité, les gouvernements de gauche successifs ont:
1) crée des emplois
dans le secteur protégé (public et semi-public);
2) favorisé le taux de rotation des emplois en incitant les
gens à prendre leur retraite le plus tôt possible, en retardant
l'entrée des jeunes sur le marché du travail, en abaissant la
durée légale du travail à 35 heures;
3) augmenté ou maintenu la rémunération du secteur protégé
(secteur public, SMIG) à un niveau plus élevé que dans le secteur
non protégé. |
Simultanément, ces mêmes gouvernants, pour éviter une jacquerie des
chômeurs, ont suivi une politique de transferts de revenu via
l’assistance publique pour faire patienter tout ce petit monde en
quête d’un emploi protégé. Pour comble de l’ironie ils ont fait
supporter ces transferts sur les entreprises qui sont aussi obligées
de financer cette redistribution.
Les effets pervers de
cette politique sont nombreux. Nous en retiendrons deux.
Le SMIG pousse les
entreprises, à ce niveau de la valeur de la productivité marginale à
préférer des employés qualifiés à des non qualifiés. Dans le contexte
présent cela les pousse à préférer des jeunes, des femmes ou des
immigrés diplômés à ceux qui ne le sont pas. Ils repoussent donc dans
la file d’attente toutes les personnes non qualifiées.
La politique de
transferts de revenu pour faire patienter tous ceux qui espèrent
pouvoir accéder à un emploi protégé pousse chacun à être plus exigeant
sur les conditions salariales, les conditions d’embauche, de
licenciement et de travail. Cela les incite à refuser le premier
emploi proposé et augmente la durée du chômage. Par un effet de
réverbération (ou de hasard moral, diraient les économistes) la
politique de transfert s’alourdit augmentant le coût du travail ce qui
incite cette fois les entreprises à ne pas embaucher ou à se
délocaliser.
Pour sortir de cette
impasse, le gouvernement de droite actuel tente de créer légalement un
secteur non protégé en déréglementant très timidement le code du
travail. En cela, il essaie de copier le modèle anglo-saxon. Il ne
faut pas cependant se tromper sur ce modèle. Il existe dans ces pays,
sur le marché du travail, un secteur protégé avec des syndicats bien
plus puissants que les nôtres. Mais la probabilité d'accès à ce
secteur est très faible. Ceux qui ne peuvent y accéder offrent leur
travail dans un large secteur d’emplois légaux non protégés.
Au lieu d’une longue file
d’attente de chômeurs qui patientent de long mois pour obtenir un
emploi de « rentier » dans le secteur protégé, on observe sur ce
secteur non protégé des salaires plus faibles (la différence de
salaire entre les deux secteurs peut aller jusqu’à 20%) et une
mobilité (une précarité ou une flexibilité dirait-on en France ou en
Europe) plus forte des employés. C’est le prix à payer sur le marché
du travail pour entretenir un secteur protégé de la compétition que se
font les travailleurs entre eux. On a soit l’un, soit l’autre.
Les citoyens français,
chômeurs ou non, se sont adaptés au chômage de file d’attente (jusqu’à
quand?), les citoyens américains se sont adaptés à un large secteur du
marché du travail non protégé, mais chacun des deux modèles a été crée
de toute pièce par les hommes politiques de chaque pays respectif sous
la pression de groupes d’intérêts syndicaux.
Une politique réellement
libérale consiste avant tout à supprimer le secteur protégé en rendant
la liberté contractuelle aux employeurs et employés dans tous les
domaines y compris celui de la protection contre les aléas du marché
du travail ou de la vie. Le gouvernement de droite actuel ne mène donc
pas une politique libérale. Il en va de même de ses homologues dans
les pays anglo-saxons. Ces derniers acceptent un secteur protégé plus
ou moins étendu. En revanche, chez eux existe un secteur légal non
protégé ou toute personne qui désire un travail peut le trouver sans
problème. Faire croire le contraire aux lecteurs est un mensonge par
omission ou par ignorance.
En fait, la nouveauté par
rapport aux précédents gouvernants de gauche ou de droite dans cette
affaire des jeunes, consiste à tenter de créer un secteur non protégé
légal sur le marché du travail et à terme à sortir les Français du
carcan imposé par le « modèle social » de gauche. En ce sens
l’opposition syndicale et politique de gauche a bien compris que le
CPE n’est qu’un début. Leur réaction de préserver leurs droits acquis
par la violence (qu’ils ont acquis de la même manière) est certes
immorale, mais est quelque chose de parfaitement prévisible.
Le diagnostic étant posé,
la stratégie de créer un secteur légal non protégé ayant été choisie,
faut-il encore savoir la mener à bien. C’est de cela dont nous voulons
discuter. C’est là où l’ignorance de la micro-politique est la plus
flagrante de la part de nos gouvernants. Lorsque l’on choisit de mener
une déréglementation d’un marché – y compris, donc, du marché du travail
– d’une manière graduelle par
opposition à la « thérapie » de choc (à l’exemple de la nuit du 4 août
1789), dans le cadre d’une démocratie d’opinion majoritaire, il faut
alors subir les lois d’airain de cette démocratie(2).
Nous en retiendrons une
qui a été depuis longtemps répertoriée par les économistes du courant
de l’École des Choix Publics: un homme politique qui veut être réélu,
doit toujours distribuer les bénéfices de son action sur un petit
groupe d’électeurs aux intérêts concentrés et qui peuvent facilement
se coaliser pour soutenir cette action et disperser les coûts sur un
grand nombre d’électeurs aux intérêts dispersés et qui peuvent
difficilement se coaliser pour s’opposer à cette action. Dans tous les
autres cas l’action menée sera un échec.
La nature même d’une
action étatique coercitive(3) consiste à séparer, dans l’action menée,
ceux qui reçoivent les bénéfices de ceux qui en supportent les
coûts(4). Le tableau suivant résume les quatre cas de figures auxquels
l’homme politique fait face quand il prend une décision qui va
s’appliquer à tous par la force (injuste?) de la loi:
La zone 4 représente une
dispersion à la fois des coûts et des gains. La zone 3 suggère une
concentration des gains, mais une dispersion des coûts. La zone 1
montre que les bénéfices et les gains sont concentrés, sur des
personnes différentes. Enfin, la zone 2 fait apparaître des coûts
concentrés et des gains dispersés. Normalement, la production de biens
collectifs tombe dans la zone 4: tout le monde bénéficie et tout le
monde paie. Lorsque les coûts et les bénéfices sont concentrés, zone
1, on oppose deux groupes aux intérêts qui peuvent facilement se
coaliser et dont l’un supporte les coûts et l’autre les bénéfices.
Le système démocratique
favorise toutes les actions politiques qui concentrent les bénéfices
sur un petit nombre d’électeurs et dispersent les coûts sur un grand
nombre d’électeurs qui peuvent difficilement se coaliser pour s’y
opposer. En revanche, il défavorise les actions qui concentrent les
coûts et dispersent les bénéfices (ou dispersent les bénéfices et les
coûts). L'intérêt d'un élu est de rechercher les votes des individus
concernés par une mesure politique quelconque favorisant leurs
intérêts privés et de leur offrir d'en disperser les coûts sur un
grand nombre de personnes, en faisant passer cet intérêt privé pour un
intérêt public. Servir les intérêts d’un public très large et peu
intéressé ne rapporte malheureusement pas de votes supplémentaires.
L’homme politique doit donc, s'il veut survivre, servir les intérêts
privés de groupes désireux d'user de la contrainte publique à leur
avantage. On sait que de telles actions sont néfastes pour l’ensemble
de la collectivité.
Choix publics et étudiants |
On comprend mieux alors
ce que l’on observe aujourd’hui avec les manifestations des jeunes
étudiants contre le CPE et simultanément les violences des jeunes non
qualifiés à l’école ou dans les banlieues. Ces deux violences révèlent
à l’opinion publique la même crise sociale engendrée par la même
cause: l’existence d’un secteur protégé qui s’étend à tout le marché
du travail.
Si le gouvernement ne
fait rien pour lutter contre ce secteur protégé qui pousse les non
qualifiés dans l'assistance publique et la clandestinité ou le marché
noir, il récolte les violences urbaines. Si le gouvernement
cherche à ouvrir sur le marché du travail un secteur légal non protégé
pour favoriser l'intégration des non qualifiés au marché du travail,
les jeunes étudiants perdent leur petit privilège lié à leur
qualification, descendent dans la rue et expriment par la violence
leur opposition à la destruction de ce privilège(5). C’est un problème tout à
fait classique d’une mesure de politique qui concentre les bénéfices
sur un groupe et les coûts sur un autre. Les deux descendent dans la
rue.
Le gouvernement de droite
déréglemente le marché du travail dans le but avoué de créer un
secteur non protégé bénéficiant aux jeunes non qualifiés. Il voudrait
par ce biais intégrer sur un marché du travail légal les jeunes des
banlieues et éviter leur désespérance. Ces jeunes non qualifiés (qui
souvent ne votent pas) sont normalement les gagnants de cette
déréglementation.
Mais le gouvernement dans
sa précipitation a oublié qu’il allait concentrer les coûts de cette
déréglementation sur un autre groupe de jeunes: les étudiants (qui eux
votent davantage). Pourquoi? Parce que les étudiants courent après un
diplôme en imaginant que, grâce à lui, ils pourront accéder plus
aisément à un emploi dans le secteur protégé. À force de leur dire que
le diplôme protège du chômage et de la précarité, ils l’ont cru. Ce qui dans le monde
actuel est une illusion. À 80% d’une classe d’âge dans l’enseignement
supérieur (objectif fixé par un gouvernement de gauche) les diplômes
universitaires ne révèlent plus la qualité intellectuelle d’un
individu, ce que tout enseignant du supérieur sait, qu’il soit de
droite ou de gauche. Pour retrouver des gens de qualité, on regarde
désormais la mention « Bien » ou « Assez Bien » obtenu par l’étudiant dans ses
études.
Les employeurs ne sont
pas philanthropes et paient les employés à la valeur de la
productivité d’une heure de leur travail. Si les contraintes
d’embauche et de licenciement sont trop fortes et si le salaire
minimum excède la valeur de ce qui est produit, ils préfèrent embaucher
un jeune qualifié à un autre qui ne l’est pas.
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