Quelques défenseurs des brevets prétendent qu'il ne s'agit
pas de privilèges de monopole, mais de simples droits de
propriété sur des inventions ou même sur des « idées ».
Toutefois, comme nous l'avons vu, la propriété de chacun est
défendue par la loi libertarienne sans les brevets. Si
quelqu'un a une idée ou un plan et construit une invention,
puis qu'on la lui dérobe dans sa maison, le vol est un acte
illégal d'après la loi générale. Par ailleurs, les brevets
sont en réalité une invasion des droits de propriété de ceux
qui découvrent indépendamment une idée ou une
invention, après le dépositaire du brevet. Les brevets sons
une invasion bien plus qu'une défense des droits de
propriété. Le caractère spécieux de l'argument qui veut que
les brevets défendent les droits de propriété dans le
domaine des idées peut être démontré par le fait que seuls
certains types d'idées originales, certains types
d'innovations, sont considérés comme brevetables.
Un autre argument courant
en faveur des brevets est que la « société » établit en fait
un contrat avec l'inventeur afin d'acheter son secret, de
telle sorte qu'elle puisse l'utiliser. En premier lieu, la
« société » pourrait payer une subvention directe, un prix,
à l'inventeur: il ne serait pas nécessaire d'interdire aux
inventeurs ultérieurs de mettre leurs inventions sur
le marché. Ensuite, rien n'interdit à un individu ou à un
groupe d'individus sur le marché libre d'acheter des
inventions secrètes à leurs créateurs. Le brevet
monopolistique n'est nullement nécessaire.
Parmi les économistes,
l'argument le plus populaire en faveur des brevets est
utilitariste et dit qu'un brevet valable pendant quelques
années est nécessaire afin d'encourager l'affectation d'un
montant suffisant aux dépenses de recherches pour les
inventions et les innovations des produits et des processus.
C'est un argument curieux
qui amène immédiatement la question: selon quel critère
jugez-vous que les dépenses de recherches sont « trop »,
« pas assez » ou « juste assez » importantes? C'est un
problème auquel doit faire face toute intervention
gouvernementale dans la production du marché. Les ressources
– les meilleurs terrains, travailleurs, biens du capital –
de la société sont limitées et peuvent être utilisées de
bien des manières. D'après quels critères affirmerait-on que
certains usages sont « excessifs », d'autres
« inefficaces », etc.? Quelqu'un constate qu'il y a peu
d'investissement en Arizona, mais beaucoup en Pennsylvanie:
il affirme de façon indignée que l'Arizona mérite plus
d'investissement. Mais quels critères utilise-t-il pour
soutenir son affirmation? Le marché possède un
critère rationnel: celui des plus hauts revenus monétaires
et des profits les plus élevés, car ceux-ci ne peuvent être
obtenus qu'en répondant au mieux aux désirs du consommateur.
Le principe d'un service maximal rendu aux consommateurs et
aux producteurs – c'est-à-dire à tout le monde – gouverne
l'allocation apparemment mystérieuse des ressources par le
marché: combien consacrer à telle ou telle firme, à tel ou
tel domaine, au présent ou au futur, à un bien ou à un
autre, à la recherche ou à d'autres formes d'investissement.
À l'opposé, l'observateur
qui critique cette allocation ne peut avoir aucun critère
rationnel de décision: il n'a que ses souhaits arbitraires.
C'est particulièrement vrai en ce qui concerne la critique
des relations de production. Quelqu'un qui réprimande
le consommateur parce qu'il achète trop de produits
cosmétiques peut avoir une base rationnelle, correcte ou
non, pour critiquer. Mais quelqu'un qui pense que plus ou
moins de ressources devraient être utilisées d'une certaine
manière, ou que les entreprises sont « trop grandes » ou
« trop petites », ou qu'on dépense trop ou pas assez pour la
recherche ou en investissement dans une nouvelle machine,
celui-là ne peut pas avoir de base rationnelle pour étayer
sa critique. Bref, le monde des affaires produit pour un
marché, guidé par les évaluations ultimes des consommateurs.
Des observateurs extérieurs peuvent critiquer les
évaluations ultimes des consommateurs s'ils le veulent –
bien que, s'ils interfèrent avec la consommation basées sur
ces évaluations, ils imposent une perte d'utilité aux
consommateurs –, mais ils ne peuvent pas critiquer
légitimement les moyens: les relations de production,
l'allocation des facteurs, etc., qui permettent de servir
les fins.
Les fonds du capital sont
limités et doivent être alloués pour divers usages, les
dépenses de recherches n'étant que l'un d'entre eux. Sur le
marché, des décisions rationnelles sont prises pour fixer
leur niveau en accord avec les meilleures prévisions
entrepreneuriales d'un futur incertain. Encourager la
recherche de manière obligatoire conduirait à une distorsion
et empêcherait de satisfaire les consommateurs et les
producteurs du marché.
De nombreux avocats des
brevets croient que les conditions ordinaires de la
concurrence du marché n'encouragent pas suffisamment
l'adoption de nouveaux processus, situation qui devrait être
corrigé par une promotion forcée des innovations par le
gouvernement. Le marché décide cependant du taux
d'introduction des nouveaux processus tout comme il décide
du taux d'industrialisation d'une nouvelle région
géographique. En fait, cet argument en faveur des brevets
est très proche de celui en faveur d'impôts pour aider les
industries naissantes – à savoir que les processus du marché
ne sont pas suffisants pour permettre l'introduction d'un
nouveau processus qui en vaut la peine. La réponse à ces
deux arguments est la même: les gens doivent mettre en
regard de la productivité supérieure du nouveau processus
ses coûts d'installation, c'est-à-dire lui opposer
l'avantage que possède l'ancien processus: être déjà en
place et exister. Privilégier l'innovation de manière forcée
éliminerait sans raison des usines existant déjà et
imposerait un fardeau excessif aux consommateurs. Et les
désirs de ceux-ci ne seraient pas satisfaits de la façon la
plus économique.
Il n'est en aucun cas
évident que les brevets encouragent une augmentation absolue
de la quantité des dépenses de recherche. Mais il est
certain qu'ils entraînent une distorsion du type de
recherches entreprises. Car s'il est vrai que le premier
découvreur bénéficie d'un privilège, il est également vrai
que ses concurrents sont exclus pendant plusieurs années de
la production concernée par le brevet. Et comme un seul
brevet peut être développé à partir d'un autre du même
domaine, les concurrents sont souvent découragés pour
toujours d'effectuer de nouvelles recherches dans le
domaine relevant du brevet. De plus, celui qui dépose le
brevet est lui-même découragé de continuer la recherche car
son privilège lui permet de se reposer sur ses lauriers
pendant toute la période de validité du brevet, avec
l'assurance qu'aucun concurrent ne viendra empiéter sur son
domaine. L'aiguillon de la concurrence est alors éliminé
pour ce qui est des recherches ultérieures. Les dépenses de
recherche sont par conséquent trop fortement stimulées
avant que quelqu'un dépose un brevet, puis excessivement
restreintes après le dépôt du brevet. De plus, certaines
inventions sont considérées comme brevetables et d'autres,
non. Le système des brevets a donc pour effet supplémentaire
de stimuler artificiellement les dépenses de recherches dans
le domaine des inventions brevetables et de
restreindre artificiellement la recherche dans celui des
inventions non brevetables.
Les industriels n'ont pas
été tous partisans des brevets. R.A. Macfie, directeur du
mouvement anti-brevets anglais qui prospérait au
dix-neuvième siècle, était président de la Chambre de
commerce(99).
L'industriel I.K. Brunel, devant une commission de la
Chambre des Lords, déplorait que les brevets aient pour
effet de stimuler des dépenses inutiles de ressources dans
la recherche d'inventions brevetables, ressources qui
auraient connu un meilleur usage dans la production. Et
Austin Robinson a souligné que beaucoup d'industries se
débrouillaient sans brevets:
L'application légale des monopoles conférés par les
brevets est souvent en pratique tellement difficile
[...] que des producteurs concurrents ont dans certaines
industries préféré se réunir pour déposer des brevets en
commun, et ont cherché une récompense suffisante des
inventions techniques dans [...] l'avantage que la
priorité d'expérimentations précédentes procure
habituellement et dans la clientèle qui peut en découler(100). |
Arnold Plant résume ainsi le problème des dépenses de
recherches et des innovations dans un environnement
concurrentiel:
On ne peut pas non plus supposer que les inventeurs
arrêteraient d'être employés si les entrepreneurs
perdaient le monopole de l'utilisation de leurs
inventions. Le monde des affaires les emploie
aujourd'hui pour la production d'inventions non
brevetables et pas seulement pour le profit que procure
la priorité. Avec une concurrence active [...] aucune
entreprise ne peut se permettre d'être en retard sur les
autres. La réputation d'une firme dépend de sa capacité
à rester devant, à être la première du marché à offrir
de nouvelles améliorations de ses produits et de
nouvelles baisses de leurs prix(101). |
Enfin, le marché fournit bien sûr lui-même une méthode
facile et efficace pour ceux qui pensent qu'il n'y a
pas assez de dépenses faites dans certaines direction.
Ils peuvent effectuer ces dépenses eux-mêmes. Ceux qui
préfèreraient que l'on fasse et exploite plus d'inventions
sont par conséquent libres de se réunir pour aider un tel
effort de la manière qu'ils estiment la meilleure. De cette
façon, ils ajouteraient, comme consommateurs, des ressources
au domaine de la recherche et des inventions. Ils
n'infligeraient alors ni perte d'utilité à d'autres
consommateurs en octroyant des privilèges de monopole, ni
distorsion des allocations du marché. Leurs dépenses
volontaires deviendraient partie prenante du marché
et exprimeraient des évaluations ultimes de consommateur. De
plus, des inventeurs ultérieurs ne seraient pas soumis à
restriction. Les amis de l'invention pourraient accomplir
leur but sans faire appel à l'État et sans imposer de pertes
à un grand nombre de personnes.
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