Montréal, 9 avril 2006 • No 174

 

OPINION

 

Jean-Hugho Lapointe est avocat. Il détient un certificat en administration des affaires de l'Université Laval.

 
 

SOCIAL-DÉMOCRATIE 101:
PROPAGANDE NATIONALISTE À L’ÉCOLE

 

« It is significant that the nationalization of thought has proceeded everywhere pari passu with the nationalization of industry. »

 

-E. C. Carr

 
 

par Jean-Hugho Lapointe

 

          Le Conseil de la souveraineté du Québec, organisme satellite du Parti québécois, et son président Gérald Larose ont suscité la controverse dans les dernières semaines en publiant un manuel intitulé Parlons de souveraineté à l’école. Ce manuel, vendu en librairie et destiné aux professeurs pour que ceux-ci présentent le projet souverainiste à leurs élèves, du préscolaire à l’université, serait nécessaire afin de contrebalancer la propagande fédéraliste existant déjà dans les écoles selon les ténors péquistes à la tête du Conseil de la souveraineté.

 

          Sans même aborder la question dudit manuel, la notion même de ce que les représentants du Conseil de la souveraineté qualifient de propagande fédéraliste en dit long sur le stade où en sont rendus ces individus dans leur cheminement. Ils prétendent en effet que de la propagande fédéraliste dans les écoles serait camouflée dans des dépliants et documents produits pour marquer certains événements, comme l’anniversaire de la Reine ou encore dans le fait que certains cahiers d’exercice Hilroy soient communément appelés « Cahiers Canada » à cause du design de leur page couverture.

          Quitte à tomber dans le ridicule, nous pourrions rappeler que les bulletins et diplômes, entre autres, portent un drapeau fleurdelisé avec la mention « Ministère de l’Éducation du Québec » et que ceci pourrait être considéré comme étant de la propagande au même titre que peuvent l’être les timbres de Postes Canada, mais nous ne nous égarerons pas sur cette piste.

          Selon ces nationalistes, les écoles seraient donc envahies par la propagande fédéraliste et la réaction qui s’impose suite à ce constat est de « rendre disponible un point de vue qui était absent ». Beau prétexte(1).

          Les cours d’histoire peuvent bien parler des événements marquants de l’histoire canadienne, cet enseignement ne constitue aucunement de la propagande tant qu’il demeurera apolitique dans sa présentation. La souveraineté du Québec ne fait toutefois pas partie de l’histoire à ce jour, et de prétendre qu’il faut en parler dans les écoles au même titre que l’histoire canadienne est un non-sens. La souveraineté ne demeure qu’un programme politique jusqu’à sa réalisation.

          L’enseignement d’un programme politique (qui, de surcroît, ne jouit même pas de l'appui d’une majorité de la population) ne peut être fait qu’à des fins d’influencer les idées. Prenant acte de la philosophie social-démocrate et nationale-socialiste du Parti québécois, on ne peut que rappeler que The Road to Serfdom(2) n’était pas un avertissement valable uniquement en 1944, année de sa première parution.

          Quant à la volonté de rendre disponible un point de vue absent, la réalité est que la propagande souverainiste, et surtout nationaliste, est déjà omniprésente dans le milieu scolaire québécois et que cette propagande sert d’ores et déjà plutôt bien les intérêts politiques du Parti québécois et de ses sympathisants les plus radicaux.
 

Le point de vue nationaliste dans les écoles

          Je ne peux que parler de mon expérience personnelle, mais je me souviens très bien avoir passé de longues heures en classe, au secondaire, à discuter de Lord Durham et de son fameux rapport adressé aux autorités britanniques, et de diverses autres justifications au désir d’émancipation des patriotes d’alors et des souverainistes d’aujourd’hui. Mais qui a déjà lu le rapport Durham à l’école? Et pourtant, après l’étude de cet épisode de l’histoire canadienne et québécoise, qui devrait être abordée de façon neutre, nous savons que dans plusieurs cas, l’étudiant est « sensibilisé » à la cause patriotique.

          Cette « sensibilisation pédagogique » s’est accentuée au Cégep par l’entremise des cours de philosophie, et parfois même des cours de français. Un de ces cours a été essentiellement consacré à étudier Nègres Blancs d’Amérique(3), de Pierre Vallières, ancien membre du Front de libération du Québec (FLQ). Voilà donc un « grand philosophe » auquel le système éducatif québécois a considéré qu’il devait consacrer un cours.

          Bien que les actes du FLQ aient été dénoncés par des politiciens de tous azimuts, la cause de Pierre Vallières est demeurée valable dans les cercles intellectuels nationalistes, comme en ont fait foi, notamment, tous les hommages qui lui ont été rendus suite à son décès, en 1998.

          Comme de fait, Pierre Vallières n’était pas qu’un ancien sympathisant de la violence devant servir à faire avancer la cause de la « libération du Québec », il a également combattu l’économie de marché et a milité ardemment pour le socialisme. Il semble que la démonisation du marché libre et la promotion du socialisme accompagnent instinctivement les propos nationalistes, et l’on sait que le discours d’une large base du Parti québécois ne fait pas exception. Le Parti québécois a d’ailleurs modifié son programme en 2005 pour y préciser que le projet de pays recherché est un projet de pays social-démocrate(4).
 

La philosophie et la liberté

          Ceci m’amène à un autre cours de philosophie, celui-ci entièrement consacré à l’étude des écrits de René Descartes et de Jean-Jacques Rousseau, ce dernier étant l’un des premiers écrivains modernes à s’attaquer sérieusement à l’institution de la propriété privée et considéré, à juste titre, comme le père du socialisme contemporain et du communisme. Rousseau, dans sa conception de la liberté, était convaincu que chacun méritait de satisfaire ses propres désirs plutôt que d’avoir à obéir aux contraintes prétendument inventées et imposées par des intérêts privés égoïstes. Séduisant, certes.
 

« Quitte à tomber dans le ridicule, nous pourrions rappeler que les bulletins et diplômes, entre autres, portent un drapeau fleurdelisé avec la mention "Ministère de l’Éducation du Québec" et que ceci pourrait être considéré comme étant de la propagande au même titre que peuvent l’être les timbres de Postes Canada... »


          Toutefois, faisons ici ce que ce cours aurait dû faire et laissons s’exprimer, ne serait-ce que pour quelques paragraphes, un point de vue divergent de celui des propagandistes de la social-démocratie. Celui de F.A. Hayek devrait être au moins digne de mention à l’école:
 

          Allant jusqu’à l’époque moderne depuis René Descartes, cette forme de rationalisme n’écarte pas seulement la tradition, mais prétend que la raison pure peut directement servir nos désirs sans un tel intermédiaire, et peut bâtir un nouveau monde, une nouvelle moralité, une nouvelle loi, même un langage nouveau et purifié, d’elle-même seule. Bien que la théorie soit entièrement fausse, elle domine encore la pensée de la plupart des scientifiques, ainsi que de la plus grande part des gens de lettres, des artistes et des intellectuels. [...]

          Le deuxième tel développement à avoir remis en question l’ordre spontané origine de l’oeuvre et de l’influence de Jean-Jacques Rousseau. Cet étrange penseur – quoique souvent décrit comme irrationaliste ou romantique – s’est également épris et dépendait profondément de la pensée cartésienne. [...] Rousseau a mené les gens à oublier que les règles de conduite contraignent nécessairement et que l’ordre est leur produit; et que ces règles, précisément en limitant l’étendue des moyens que chacun peut employer pour ses propres fins, étendent grandement l’étendue des fins que chacun peut poursuivre avec succès.

          C’est Rousseau qui – déclarant au début du Contrat Social que « l’homme est né libre, et partout il est dans les fers », et voulant libérer les hommes de toutes les contraintes « artificielles » – a fait de ce qui a été appelé le sauvage le héros virtuel des intellectuels progressifs, a pressé les gens à briser les contraintes mêmes auxquelles ils devaient leur productivité et leur nombre, et a produit une conception de la liberté qui est devenue le plus grand obstacle à son atteinte. Après avoir affirmé que l’instinct animal était un meilleur guide à la coopération ordonnée entre les hommes que la tradition ou la raison, Rousseau a inventé la volonté fictive du peuple, ou « volonté générale », à travers laquelle le peuple devient « un seul être, un seul individu » [...].

          L’appel manifestement très séduisant de cette opinion doit difficilement son pouvoir (peu importe lequel il puisse réclamer) à la raison ou à la preuve. Comme nous l’avons vu, l’homme sauvage était loin d’être libre; pas plus qu’il n’aurait pu soumettre le monde. Il ne pouvait en fait faire que très peu sans que le groupe entier auquel il appartenait ne soit d’accord. La décision individuelle a présupposé des sphères individuelles de contrôle, et n’est donc devenue possible qu’avec l’évolution de la propriété exclusive, dont le développement, en retour, a établi les fondations pour la croissance d’un ordre spontané transcendant la perception du chef de tribu – ou de la collectivité.

          Malgré ces contradictions, il n’y a aucun doute que la protestation de Rousseau fut efficace et que, durant les deux derniers siècles, elle a ébranlé notre civilisation. De surcroît, aussi irrationnel que ce puisse l’être, elle a précisément séduit les progressistes par son insinuation cartésienne voulant que nous puissions employer la raison pour obtenir et justifier une satisfaction directe de nos instincts naturels. Après que Rousseau ait donné un permis intellectuel de rejeter les contraintes culturelles, de conférer légitimité aux tentatives de « se libérer » des contraintes qui ont rendu la liberté possible, et de nommer cette attaque au fondement de la liberté « libération », la propriété devint de plus en plus suspecte et n’était plus aussi largement reconnue comme le facteur clé ayant amené l’ordre spontané. Il devenait de plus en plus courant de croire, au contraire, que les règles régissant la délimitation et le transfert de la propriété exclusive pourraient être remplacées par des décisions centralisées à propos de son usage(5). (traduction libre)

          Même si le socialisme a été réfuté autant sur des bases philosophiques qu’empiriques, la cause sociale-démocrate indissociable du projet nationaliste me semble donc plutôt bien servie dans notre système d’éducation.
 

Collectivisme et nationalisme vont de pair

          La tendance universelle des politiques collectivistes à se marier au nationalisme s’explique du moins en partie par la nécessité de se garantir un support qui ne souffre pas d’hésitation(6). C’est ainsi qu’un gouvernement centralisateur voudra convaincre ses « sujets » que les sacrifices qui sont imposés à leurs libertés individuelles sont nécessaires parce qu’il en va de la « volonté générale » du peuple, ou de l’intérêt de la nation. On en appelle au sentiment patriotique pour convaincre les citoyens que les valeurs poursuivies par le pouvoir central sont aussi les leurs. Le fameux « modèle québécois » s’inscrit dans ce contexte.

          De même, si le monopole public des services de santé au Canada a pu survivre aussi longtemps, alors que ce système n’existe nulle part ailleurs qu’à Cuba et en Corée du Nord, c’est notamment parce qu’il a été présenté par la social-démocratie fédérale comme étant une valeur nationale fondamentale, qui distinguait le Canada avantageusement des États-Unis, à tout le moins sur un plan moral. Il aura fallu la Cour suprême du Canada pour nous rappeler que le droit à la vie était plus important qu’une pseudo-égalité dans l’accès aux soins.

          Notons également qu’il y a plus de 60 ans, Hayek observait que l’attitude définitivement antagoniste que la plupart des socialistes entretiennent à l’égard de l’internationalisme s’explique davantage par le fait que dans le monde existant, les contacts extérieurs d’un groupe sont des obstacles à la planification efficace de la sphère à l’intérieur de laquelle les socialistes peuvent exercer leur « gestion ». Ce ne serait donc pas un hasard si la plupart des socialistes sont également des militants nationalistes(7).

          Tant les socialistes que les non-socialistes poursuivent des fins qui peuvent se rejoindre philosophiquement. Ils divergent toutefois dans les moyens pour y parvenir. La propagande nationale-socialiste n’est qu’un aspect inévitable du modèle socialiste, que l’on rencontre à une étape ou à une autre sur la route de la servitude. Le plus grand danger qui nous guette est certainement de croire qu’au grand jamais nous ne pourrons nous retrouver sur cette route dans notre modèle québécois aux intentions si vertueuses...

 

1. Notons d’emblée que le Parti québécois propose de porter le droit de vote à 16 ans; comme quoi la propagande fédéraliste dans les écoles ne doit pas être aussi menaçante qu’on tente de le laisser croire.
2. The Road to Serfdom, F.A. Hayek, The University of Chicago Press, 1944. Le professeur Hayek a reçu le Prix Nobel de sciences économiques en 1974 et la Medal of Freedom en 1991.
3. Nègres Blancs d’Amérique (1968), par Pierre Vallières. Analyse marxiste de l’histoire du Québec, ce livre a été rédigé durant l’emprisonnement de l’auteur à New York pour ses activités felquistes. Celui-ci décrit notamment son enfance marquée par la pauvreté et la frustration, et parle de sa conversion au marxisme. L’auteur associe la condition de la classe ouvrière québécoise à un peuple colonisé qui ne pourra se libérer que par une révolution armée.
4. Ceci soulève de lourdes inquiétudes, et à juste titre: lorsque le pays lui-même est fondé et constitué comme étant social-démocrate, quelle place est laissée à des opinions politiques qui ne prônent pas la social-démocratie?
5. The Fatal Conceit - The Errors of Socialism, F.A. Hayek (edité par W. W. Bartley III), The University of Chicago Press, 1989 (voir Chapître 4 « The Revolt of Instinct and Reason »).
6. Idem, note 2 (voir Chapître 10 « Why the Worst Get on Top »).
7. Idem, note 6.

 

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