Tout le monde ne connaît cependant pas un autre développement, apparenté
et bien plus contradictoire: la montée en puissance, au cours des
dernières années, des « libéraux étatistes », qui dominent pratiquement
totalement le mouvement libéral-libertarien dont ils ont pris le
contrôle. Ce qui est bizarre avec eux, c'est qu'ils violent évidemment
la nature et le sens du libéralisme, à savoir un attachement à l'idéal
constitué soit de l'absence de tout État, soit d'un État très fortement
réduit et strictement limité à la défense des personnes et de la
propriété: ce que le philosophe ex-libéral Robert Nozick avait appelé
l'État ultra-minimal ou ce que le grand écrivain paléolibéral H.L.
Mencken appelait « un État à la limite de ne plus être un État du
tout. » Jusqu'à quel point ce développement en est-il arrivé, et comment
a-t-il pu se produire?
Confusion entre public et privé |
Le libéralisme étatiste
imprègne et domine ce que, par analogie avec les conservateurs, on
pourrait appeler le « mouvement libéral officiel ». À partir de ce qui
n'était il y a une vingtaine d'années qu'un courant, de ce que les
marxistes appelaient un groupuscule, le libéralisme a mis en place un
« mouvement officiel », bien qu'il n'ait jamais, Dieu merci, obtenu un
quelconque pouvoir politique. Alors qu'il n'y a heureusement aucun
équivalent libéral au
National Review
[magazine conservateur américain de William Buckley, NdT] pour régner
sur le mouvement ou pour purger les hérétiques, il existe un réseau
d'institutions et de revues qui constituent bel et bien un « mouvement
officiel ».
Depuis plus de vingt ans, le Parti libertarien [le
Libertarian Party] était
une institution centrale, qui avait commencé tôt et de façon étrange, et
qui d'une certaine manière créait plutôt qu'elle ne reflétait le
mouvement dans son ensemble. Jusqu'à ces dernières années, les militants
du Parti tiraient fierté de leur pureté et de la cohérence de leur
dévouement au principe libéral. Le mouvement libéral-libertarien,
toutefois, a toujours été bien plus large que le Parti lui-même. Il
consiste en un réseau informel d'instituts (think tanks)
défendant le libéralisme et l'économie de marché: instituts au niveau
national, avec des groupes de pression, qui gravitent autour de
Washington; instituts au niveau des régions ou des États américains, qui
doivent forcément rester au coeur du pays, physiquement si ce n'est pas
hélas en esprit. Il y a aujourd'hui des organisations juridiques qui
paraît-il engagent des poursuites au nom de la liberté contre la
tyrannie du gouvernement. Le mouvement comporte aussi deux mensuels,
ainsi que d'autres qui ont disparu entre temps: un magazine relativement
riche et horriblement ennuyeux,
Reason, basé à
Santa Monica (Californie); et un « fanzine » d'amateurs, Liberty,
basé dans l'État de Washington.
Il existe aussi des
réseaux apparentés d'institutions qui, comme beaucoup de lettres
d'information traitant de placements et d'investissements, ne font pas
exactement partie du mouvement mais sont des sympathisants de la cause.
Le mouvement libéral est même suffisamment grand pour comprendre un
incompréhensible journal universitaire « post-libéral », qui essaie
d'intégrer libéralisme, marxisme et déconstructionnisme, périodique
publié avec ténacité par un personnage digne de l'éternel étudiant
chekhovien, sauf qu'il est bien moins inoffensif et financièrement bien
mieux en point que le héros plutôt adorable de Chekov.
Ce qui est fascinant,
c'est que presque toutes ces institutions, depuis les instituts jusqu'au
Parti libertarien autrefois si pur, en passant par les magazines, ont
abandonné particulièrement rapidement toute trace de leurs principes
initiaux: la ferme résolution de réduire l'État et de défendre les
droits de propriété.
Certaines raisons ne
nécessitent bien entendu pas d'explications: la volonté d'imiter les
conservateurs étatistes qui ont soif de respectabilité et de
reconnaissance sociale, trouvée à l'occasion de cocktails à Washington,
et qui, ce n'est pas un hasard, recherchent aussi le pouvoir, une bonne
planque et des soutiens financiers. Mais il y a plus. À la base se
trouve ce que beaucoup d'entre nous ont pu apprendre douloureusement au
cours des ans: il ne peut y avoir de véritable séparation entre une
idéologie politique formelle d'une part, les idées et les attitudes de
l'autre.
Le libéralisme est
logiquement compatible avec presque toutes les cultures, toutes les
sociétés, toutes les religions et tous les principes moraux. Sur le plan
purement logique, la doctrine politique libérale peut être séparée des
autres considérations: on peut logiquement être – et, de fait, la
plupart des libéraux-libertariens le sont – hédoniste, libertin,
immoral, ennemi militant de la religion en général et du christianisme
en particulier tout en demeurant un partisan cohérent de la politique
libérale. En fait, en bonne logique, on peut être un défenseur cohérent
des droits de propriété sur le plan politique tout en étant un fainéant,
un bel escroc et un racketteur en pratique, comme bien trop de
libéraux-libertariens tendent à l'être. On peut, sur le plan purement
logique, faire ces choses. Mais sur le plan psychologique, sociologique,
et en pratique, ça ne marche jamais ainsi.
C'est pourquoi, comme l'a
souligné Justin Raimondo en étudiant ce qui avait mal tourné dans le
mouvement libéral, ce dernier a commis une grave erreur à ses débuts,
dans les années 1970, en se coupant de tout mouvement de droite ainsi
que de tout type de tradition ou de culture américaine. En suivant
l'exemple d'Ayn Rand, que la plupart des libertariens admiraient avec
enthousiasme, les libéraux prétendaient être de véritables
individualistes et d'authentiques révolutionnaires, n'ayant rien à voir
avec la droite et apportant au monde une révélation politique totalement
novatrice. De fait, le mouvement libéral a toujours été presque
délibérément ignorant de l'Histoire et de tout ce qui touche aux
affaires étrangères. Les syllogismes compliqués de la théorie
libertarienne, la science-fiction, la musique rock et les mystères des
ordinateurs ont constitué la totalité des connaissances et des intérêts
de ses membres.
Une des raisons de cette
séparation, que je n'avais pas bien saisie à l'époque, était issue d'une
violente haine envers la droite, ainsi que de la crainte des libéraux de
se retrouver associés avec un mouvement conservateur ou de droite, ou de
se retrouver étiquetés comme tel. Une partie de cette haine provenait
d'une haine plus générale et encore plus intense à l'encontre de la
chrétienté, haine que certains avaient héritée d'Ayn Rand.
Pour être précis, l'un
des aspects importants du récent virage vers l'étatisme vient de ce
qu'un égalitarisme profondément enraciné a exercé son influence et
infecté les idées politiques des libertariens. Grattez un peu, et sous
l'égalitariste vous trouverez inévitablement un étatiste. Comment
l'égalitarisme qui se développe et qui se répand au sein des libéraux
peut-il être rendu compatible avec leur prétendue croyance à
l'individualisme et au droit de chacun de s'élever suivant son propre
mérite, sans être gêné par l'État? La solution à ce problème est à peu
près la même que dans les autres versions courantes du « politiquement
correct ».
Les libéraux-libertariens
sont fermement convaincus que, si les individus ne sont pas « égaux »
entre eux, tous les groupes imaginables: communauté ethnique, race, sexe
et, dans certains cas, espèce, sont en réalité et doivent être rendu
« égaux », que chacun possède des « droits » qui ne doivent pas être
restreints par une forme quelconque de discrimination.
Et ainsi, s'opposant à
son ancienne et supposée dévotion envers des droits de propriété
absolus, le mouvement libéral a reconnu presque tous les faux « droits »
de la gauche qui ont pu être fabriqués au cours des dernières décennies.
Peu avant que je ne
quitte le mouvement libertarien et son Parti il a cinq ans (décision que
je n'ai jamais regrettée, mais dont je me félicite au contraire chaque
jour), je racontai à deux dirigeants bien connus du mouvement que
j'estimais ce dernier désormais infecté et gangrené par l'égalitarisme.
Quoi? me dirent-ils. C'est impossible. Il n'y a pas d'égalitarisme dans
le mouvement. Puis je leur dis qu'un bon exemple de cette infection
pouvait se voir dans la récente admiration envers le révérend et
« Docteur » Martin Luther King. Absurde, me répondirent-ils. Eh bien, il
est assez intéressant de constater que, six mois plus tard, ces deux
gentilshommes publièrent un article saluant le « Docteur » King comme un
« grand libéral ». Qualifier ce socialiste, cet égalitariste, ce chantre
de l'intégration obligatoire, cet adversaire haineux des droits de
propriété, ce personnage qui, par dessus le marché, fut longtemps sous
la coupe du Parti communiste, qualifier cet homme de « grand libéral »,
voilà bien un signe évident de l'ampleur de la décadence du mouvement.
De fait, au milieu de
toutes les discussions récentes sur les « tests révélateurs », il me
semble qu'il y a un excellent test permettant de distinguer entre un
conservateur authentique et un néoconservateur, entre un paléolibéral et
ce que nous pouvons appeler un « libéral de gauche ». Ce test, c'est ce
que l'on pense du « Docteur » King. Et ce ne devrait en fait être une
surprise pour personne que, comme nous allons le voir, il y ait eu
quasi-fusion entre les néoconservateurs et les libéraux de gauche. Il
est même en pratique devenu difficile de les distinguer.
Dans le « mouvement
libéral officiel », les « droits civiques » ont été acceptés sans
problème, remplaçant totalement les véritables droits de propriété. Dans
certains cas, cette acceptation d'un « droit à ne pas être l'objet d'une
discrimination » a été explicite. Dans d'autres, lorsque les libéraux
veulent accorder leurs nouvelles idées avec leurs anciens principes et
n'ont pas peur des sophismes, voire de l'absurde, ils choisissent la
voie sournoise tracée par l'American
Civil Liberties Union (ACLU): si la moindre trace d'État intervient
quelque part, alors le prétendu « droit » à un « accès égal » doit
prendre le pas sur la propriété privée ou même sur toute mesure de bon
sens.
C'est ainsi que lorsque
le juge Sorokin, qui va bientôt être promu, suite à un consensus
bipartite du Sénat américain, à la prestigieuse Cour d'appel fédérale, a
décidé qu'un clochard malodorant devait avoir le droit d'empuantir une
bibliothèque publique du New Jersey et de suivre les enfants aux
toilettes, parce qu'il s'agit là d'un lieu public dont l'accès n'est
donc pas susceptible de restrictions, la dirigeante nationale du Parti
libertarien a publié un communiqué officiel le félicitant de sa
décision. D'une façon analogue, les libertariens ont rejoint l'ACLU dans
son combat pour la prétendue « liberté d'expression » des clochards et
des mendiants dans les rues de nos villes, aussi agaçants et intimidants
puissent-ils être, et ce parce que les rues sont, somme toute, des lieux
publics et, que tant qu'elles le resteront, elles devront continuer à
rester des cloaques, bien qu'il soit assez difficile de voir pourquoi la
grande théorie libertarienne le nécessiterait. [Il est à noter que
Walter Block, dans un article défendant la liberté totale d'immigration
(« A Libertarian Case for Free Immigration »,
Journal of
Libertarian Studies, 13, no 2, 1998), a repris à son compte
l'argument sur la bibliothèque publique à laquelle on ne peut refuser
l'accès. Son ami Hans-Hermann Hoppe a critiqué cette position dans son
livre Democracy, the God that failed (Transaction Publishers,
2001, note de la page 159). Hoppe ajoute que la propriété publique
devrait être considérée comme appartenant aux contribuables et que ni le
clochard, ni l'étranger n'ayant payé d'impôts, ils ne peuvent
revendiquer ces lieux. NdT]
Toujours dans la même
veine, le principal juriste « libéral de gauche » de Washington affirme
fièrement jusqu'à ce jour qu'il ne fit que suivre les principes libéraux
quand, à son poste du ministère fédéral de la Justice – poste qui en soi
n'est déjà pas facile à concilier avec de tels principes –, il apporta
son concours au pouvoir judiciaire dans son abominable décision de
menacer de prison le conseil municipal de Yonkers (New York) s'il
refusait d'approuver un projet de HLM pour la raison que ces lieux
deviendraient rapidement un dépotoir de drogués et de criminels. Son
raisonnement était le suivant: cette opposition était une violation de
la doctrine de non-discrimination car Yonkers avait d'autres projets de
logements publics sur son territoire!
Ce ne sont pas seulement
les opérations purement gouvernementales que vise cette doctrine
« libérale ». Elle s'applique aussi à toutes les activités qui ont
affaire à l'influence du secteur public, en utilisant par exemple les
rues de l'État ou en acceptant des fonds publics. En fait, il n'est même
pas toujours besoin d'une véritable action du gouvernement. Parfois, ces
libéraux se rabattent sur l'argument qu'il est vraiment très difficile
de toute façon, de nos jours, de faire la différence entre de qui est
« privé » et ce qui est « public », que tout est à moitié public, et
qu'essayer de conserver des droits de propriété dans une telle situation
est irréaliste, naïf, ne tient pas compte de la réalité et ne constitue
qu'un grain de sable « puriste » jeté dans la machine du « progrès »
néoconservateur ou libéral de gauche.
« Droits » des homosexuels |
Récemment, il y eut un débat fascinant entre un juriste paléolibéral de
Californie et un employé d'une organisation juridique prétendument
« libérale » nouvellement créée en Californie, le
Center for Individual
Rights, dirigé par le célèbre néoconservateur David Horowitz, qui
aime se présenter comme « libéral ». Ce Centre est au passage une
excellente illustration de fusion explicite entre néoconservateurs et
libéraux de gauche, car son siège social comporte plusieurs membres
éminents du mouvement libéral.
Le juriste « paléo »
s'opposait au soutien du Centre à l'idée d'une interdiction légale faite
aux universités d'édicter des règlements limitant ce que les membres du
Centre appelaient « les droits constitutionnels de la liberté
d'expression » des étudiants et de la faculté. Ce critique paléo était
d'accord pour combattre le « politiquement correct » et les codes de
bonnes conduite restreignant les prétendus « discours de haine », mais
soulignait ce qu'on aurait, il y a peu de temps, considéré comme évident
et banal, non seulement par les conservateurs et par les libéraux, mais
aussi par tous les juges et par tous les Américains: le Premier
Amendement, ou les droits à la liberté d'expression, ne s'appliquent
qu'au gouvernement, seul le gouvernement peut empiéter sur de tels
droits. Les personnes et les organisations privées peuvent exiger que
tout individu qui utilise sa propriété respecte des règlements quant à
la conduite ou les paroles à tenir, et tout individu qui utilise cette
propriété accepte de ce fait de respecter ces règlements. Une loi
limitant l'usage de tels règlements restreint par conséquent les droits
de propriété tout autant que le droit de rédiger des contrats libres
concernant son usage.
En réponse, le
représentant du Centre méprisa cet argument considéré comme irréaliste
et puriste: de nos jours, pour les libéraux officiels, tout ou presque
est dans une certaine mesure public, de sorte qu'à l'inverse de tout ce
que raconte l'enseignement libéral, « privé » et « public » sont
mélangés. L'employé du Centre ne fut pas le moins du monde gêné quand le
juriste paléo utilisa ce que toute personne sensée considérerait comme
un raisonnement par l'absurde: à savoir que, en bonne logique, cette
approche impliquerait que l'État devrait empêcher tout employeur privé
de licencier un employé exerçant son droit à la « liberté d'expression »
en dénonçant ou en insultant son patron, même dans les locaux de la
compagnie.
Le problème, quand on
utilise un raisonnement par l'absurde avec des libertariens, a toujours
été que ceux-ci ne sont que trop heureux de choisir l'absurde. Et nos
soi-disant « libéraux » sont ainsi en train d'aller plus loin que le
Juge Hugo Black lui-même dans la séparation entre la liberté
d'expression et les droits de propriété, et dans l'exaltation de la
première au détriment des seconds. Même un « absolutiste du Premier
Amendement » comme le Juge Black avait expliqué que la « liberté
d'expression » ne donnait à personne le droit de venir chez vous pour
vous importuner à longueur de journée.
Les « droits civiques »
et la « liberté d'expression », ainsi que le mélange du « public » et du
« privé » ne sont que le premier « Grand Bond en avant étatique » du
mouvement libéral. L'une des caractéristiques culturelles de la plupart
des membres de ce mouvement a toujours été un soutien passionnée aux
moeurs et aux pratiques des « modes de vie alternatifs » et à
« l'orientation sexuelle » en opposition avec les habitudes et les
principes bourgeois ou traditionnels. La forte corrélation entre cette
tendance « libertaire » et la haine endémique envers la chrétienté
devrait sauter aux yeux de tous.
Alors que cette attitude
culturelle a toujours imprégné les libertariens, la nouvelle
caractéristique vient de leur soutien aux « droits des homosexuels »
comme expression d'un « droit civique » à la non-discrimination. Les
choses en sont venues au point où l'un des plus éminents instituts
libéraux pratique sa propre forme de « discrimination positive » envers
les homosexuels, embauchant ou ne soutenant que des homosexuels déclarés
et, pour le moins, licenciant tout membre de l'équipe qui ne serait pas
assez enthousiaste quant à cette procédure ou quant aux droits
homosexuels en général.
Dans un autre institut
libéral, qui ne s'occupe que de questions économiques, le numéro 2 a
récemment tiré profit des vacances du numéro 1 pour organiser une
réunion et dévoiler ouvertement son homosexualité à tout le monde. Puis
il demanda les réactions de l'équipe à son ardente annonce pour ensuite
demander au numéro 1 de mettre dehors ceux qui n'avaient pas montré un
enthousiasme suffisant envers cette nouvelle.
Le Parti libertarien a
pendant des années eu son comité « gay et lesbien ». Autrefois, le
programme de ce comité se réduisait à demander l'abolition des lois
contre la sodomie, position libérale bien banale. Aujourd'hui, au
contraire, dans notre meilleure des époques, les théoriciens de ce
comité exigent l'autorisation de la nudité publique et des actes sexuels
en public, chose que leurs collègues d'Act Up ont réussi à faire cet été
lors d'une parade homosexuelle à New York: acte techniquement illégal,
bien que cette illégalité n'ait manifestement pas entraîné de
représailles de la part du nouveau maire républicain. La justification,
bien sûr, étant que les rues sont publiques (n'est-ce pas?) et que tout
doit y être permis.
Jusqu'à récemment,
l'attachement des institutions libérales de gauche aux « droits des
homosexuels » était plus implicite qu'explicite, et se manifestait soit
sous le couvert d'une action publique, soit par une discrimination
« positive » de leur part. Le mois dernier, un nouveau pas a été franchi
dans la revendication ouverte et officielle de droits spécifiques des
homosexuels. David Boaz, dirigeant de l'institut le plus en vue de la
gauche libérale, le Cato
Institute [Rothbard fut à sa création un membre influent du Cato
Institute. Voir à ce sujet et à propos des différents ultérieurs la
biographie de Rothbard par Justin Raimondo: An Enemy of the State,
Prometheus Books, 2000, chapitre 5. NdT], a en effet écrit un éditorial
étonnant dans le New York Times, étonnant non pour le journal où
il est paru bien entendu, mais quant à son contenu.
Le contenu de cet article
était inhabituel à deux égards. Premièrement, pour la première fois
peut-être de la part d'une institution se prétendant libérale, il
traitait les initiatives « anti-homosexuelles » qui ont eu lieu dans le
pays comme un « assaut » envers les « droits » des homosexuels, sans
discuter du contenu de leurs propositions, qui n'étaient que des
tentatives d'interdire les lois condamnant la discrimination
anti-homosexuelle. Bref, les initiatives que dénonçait ce libéral
étaient en fait des mesures destinées à protéger les droits de propriété
contre un assaut de la part de cette partie de la législation qui
confère des privilèges particuliers aux homosexuels. Ce qui est
particulièrement étrange dans cette erreur, c'est que, si les libéraux
sont compétents pour juger de quelque chose, ce devrait être pour ce qui
concerne la distinction entre protection et agression des droits de
propriété.
La deuxième étrangeté de
cet éditorial est que cet éminent membre du Cato Institute y critique
les conservateurs pour avoir, d'après lui, fait des homosexuels des
« boucs émissaires » alors qu'ils ignoreraient, à ce qu'il paraît, ce
qu'il considère comme le véritable problème social et moral de notre
époque: les mères célibataires et... sonnez trompettes... le divorce!
Pourquoi les
conservateurs écrivent-ils bien plus sur les homosexuels? En premier
lieu, il me semble clair que le problème des mères célibataires a
rencontré un large écho au sein des conservateurs. Quant au divorce, il
est curieux qu'un libéral de gauche, voué au modernisme et au
changement, chante la nostalgie du bon vieux temps où les femmes
divorcées étaient obligées de quitter la ville. Mais le point
remarquable dans son raisonnement est en fait cette incapacité
stupéfiante et délibérée de garder contact avec la réalité.
Pourquoi les
conservateurs passent-ils plus de temps à écrire sur les homosexuels que
sur le divorce? Eh bien, tout simplement parce qu'il n'y a pas de parade
bruyante des militants du « mouvement des divorcés » déambulant sur la
5e avenue de New York au cours d'une « Divorce Pride », marchant à poil
et se livrant en public à des actes sexuels entre divorcés, réclamant
des lois pour lutter contre la discrimination envers les divorcés, une
discrimination positive en faveur de ces mêmes divorcés, des articles
spécifiques aux divorcés dans la loi et une proclamation publique
perpétuelle de la part des non-divorcés quant à l'égalité ou la
supériorité du divorce sur la continuation du mariage.
Les choses ont évolué au
point que le mot « libéral » [libertarian] a une nouvelle
connotation lorsqu'il est utilisé par les médias. On avait l'habitude de
l'utiliser pour désigner une opposition à toute forme d'intervention du
gouvernement. Désormais, cependant, « libéral » est quasiment devenu
dans l'esprit du public synonyme de partisan des « droits des
homosexuels ». C'est pourquoi le candidat favori, pour l'élection
présidentielle de 1996, de tous les libéraux qui ne veulent pas
s'associer de trop près, en pensée et en acte, au Parti libertarien, est
sans conteste William Weld, le gouverneur républicain du Massachusetts
qui aime se présenter lui-même comme « libéral ».
La raison pour laquelle
Weld utilise ce terme n'est pas son prétendu « conservatisme fiscal ».
Lui et ses acolytes ont été décrits comme d'héroïques réducteurs
d'impôts et du budget de l'État. Sa prétendue « baisse des impôts » a
consisté à prendre le chiffre effroyablement gonflé du dernier budget de
Michael Dukakis pour le réduire d'un petit 1,8%. Mais même cette baisse
minuscule a été plus que compensée depuis par de fortes augmentations du
budget. Ainsi, le conservatisme fiscal de Weld se manifesta l'année
suivante par une hausse des dépenses de 11,4% au Massachusetts; et cette
année il l'augmente à nouveau d'environ 5,1%. Pour le dire autrement, le
geste de William Weld consistant à baisser de moins de 2% a été plus que
compensé par une augmentation du budget de 17% au cours des deux
dernières années. Vous avez dit « conservatisme fiscal »? L'histoire se
répète sur le front des impôts: les baisses annoncées haut et fort par
Weld ont été plus que compensées par de fortes augmentations.
Mais il ne s'agit que de
maquillage destiné à tromper les conservateurs. Le « libéralisme » de
Weld, dans son esprit et dans celui de ses admirateurs libéraux de
gauche, réside presque exclusivement dans son attachement passionné aux
« droits des homosexuels », ainsi qu'à la discrimination positive en
faveur de ces derniers, discrimination qu'il a mise en place en nommant
à des postes importants un grands nombre d'homosexuels notoires. Pour
finir, je voudrais aussi mentionner que Weld est un partisan fanatique
de l'écologie et de sa destruction despotique du niveau de vie de
l'espèce humaine.
Récemment, les libéraux
de gauche ne se sont pas contentés de soutenir des républicains de
gauche: ils ont aussi fait une incursion dans le Parti démocrate.
Plusieurs dirigeants du Cato Institute ont soutenu la campagne de Doug
Wilder en Virginie, l'un d'eux étant même devenu membre de la commission
des finances de Wilder. L'attirance exercée par Wilder au détriment du
républicain de gauche Coleman est que Wilder incarne par sa personne et
par sa vie à la fois la « diversité » sexuelle et raciale tellement
aimée des libéraux de gauche. Il est toutefois typique que leur sens
aigu de la politique les ait fait s'embarquer avec enthousiasme dans le
bateau de Wilder juste avant qu'il ne coule sans laisser la moindre
trace...
La nouvelle devise de
presque tous les libéraux de gauche pour ce qui est de choisir des
candidats du Parti libertarien est devenue: « fiscalement conservateur,
mais socialement tolérant ». La signification de l'expression
« fiscalement conservateur » peut se réduire, et se réduit dans les
faits, à bien peu: elle signifie habituellement dépenser, ou proposer de
dépenser, un peu moins que leurs adversaires politiques, ou encore ne
pas trop augmenter les impôts.
« Socialement tolérant »,
tournure au mieux vaseuse, est une expression codée pour un ensemble de
politiques et de caractéristiques éparses: attachement aux droits des
homosexuels, aux droits civiques et généralement et par-dessus tout, ne
pas être « rempli de haine » comme la droite chrétienne, Pat Buchanan et
le Rothbard-Rockwell Report. Alors que nous ne sommes tous par
définition que des brutes épaisses suant la « haine » par tous les
pores, les libéraux de gauche, comme nous le savons tous si bien, ne
sont que de braves gars, leurs êtres n'émettant que des ondes d'amour,
de générosité et de chaleur d'esprit. Et, comme nous disons à New York,
que leur vie soit la plus longue possible! De fait, je n'ai pas la même
expérience personnelle des néoconservateurs que certains d'entre vous,
mais je peux vous assurer que les libéraux de gauche valent les
néoconservateurs en ce que vous ne voudriez pour rien au monde avoir
affaire à eux. Faites-moi confiance pour ça.
Pour être « socialement tolérant », il ne faut bien entendu pas émettre
la moindre critique sur l'idée d'immigration libre. Au contraire, il
convient de la soutenir sans réserves. Avec les libéraux de gauche et
les néoconservateurs, toute proposition, quelle qu'en soit la raison, de
limiter l'immigration ou même de réduire le flux d'illégaux est
automatiquement et hystériquement dénoncée comme raciste, fasciste,
sexiste, hétérosexiste, xénophobe, et toute la panoplie d'épithètes
injurieux à portée de main. (Bien que les néoconservateurs semblent,
curieusement, faire une exception flagrante envers ceux qu'ils appellent
de manière assez vague les « terroristes arabes ».) Les choses en sont
venues à un tel point que le Parti libertarien, qui s'était opposé avec
force et de manière constante à tout impôt et à toute dépense de fonds
publics, est maintenant en train de changer rapidement de politique et
d'attitude, y compris sur ce sujet, pourtant depuis longtemps cher aux
coeurs libéraux.
En Californie, il y aura
en novembre de cette année un vote sur une proposition remarquablement
simple et intitulée « Save Our State » [Sauvons notre État], qui
pourrait être reprise par tout Américain des classes ouvrières ou
moyennes. En fait, ceux qui la connaissent en sont des partisans
enthousiastes. Cette proposition interdit tout usage de fonds publics en
faveur d'étrangers en situation irrégulière. La plupart des gens, bien
sûr, pensent que ces illégaux devraient plier bagage et retourner chez
eux, mais certainement pas bénéficier, aux frais du contribuable, de
l'aide médicale et des écoles publiques, ainsi que de tout l'appareil de
l'État-providence.
Comme vous pouvez
l'imaginer, tout l'establishment et tous les groupes bien-pensants se
sont opposés avec hystérie à cette proposition. Dans cette coalition on
pouvait évidemment retrouver le grand patronat, les syndicats, les
associations d'enseignants, les médias, les experts, les professeurs, et
toutes les élites faiseuses d'opinion, bref les suspects habituels [the
usual suspects]. Ces groupes ont tous dénoncé « Save Our State »
comme un encouragement à la diffusion de l'ignorance et du mal. Les
partisans de la proposition furent dépeints comme pleins de haine,
racistes, sexistes, hétérosexistes, xénophobes, etc. Les seuls à la
défendre étaient un ensemble d'organisations inconnues, véritablement
populaires, qui essaient d'éviter, plutôt qu'elles ne recherchent, la
publicité parce qu'elles ont déjà reçu des menaces de mort et d'attentat
à la bombe, probablement de la part des membres de la « communauté
illégale » que l'on appellerait normalement « gangsters » s'il n'y avait
le politiquement correct.
Notre collaborateur
Justin Raimondo est, je suis fier de le dire, le coordinateur de « Save
Our State » à San Francisco et il rapporte que le chef de la section de
San Francisco du Parti libertarien (je dois préciser ici que l'État de
Californie est peut-être le seul où le Parti a de nombreux membres et ne
se résume pas à une organisation de papier) s'oppose à cette proposition
– une première chez les libéraux: s'opposer à une réduction d'impôts!
Quel raisonnement a
conduit le Parti libertarien à abandonner précipitamment le contribuable
et les droits de propriété en faveur du politiquement correct? C'est que
l'application de la proposition « Save Our State » pourrait représenter
une menace pour les libertés civiles! Mais l'application de n'importe
quelle mesure, bonne ou mauvaise, pourrait bien sûr menacer les libertés
civiles et ce n'est pas une excuse pour refuser de voter un projet
valable. Les frontières, apparemment, ne doivent pas seulement rester
grandes ouvertes: il faut aussi encourager cette ouverture et la
financer au frais du contribuable américain. La confusion entre public
et privé, le changement de définition des « droits » sont visiblement
allés si loin que tout immigré en situation irrégulière a maintenant le
droit de lessiver le contribuable pour un montant que Dieu seul connaît.
Bienvenue dans le libéralisme étatiste!
Impôt sur le revenu, ALÉNA, OMC... |
L'opposition aux impôts s'est en fait systématiquement affadie. Le Cato
Institute s'est récemment déclaré en faveur de la campagne richement
dotée réclamant la suppression de l'impôt sur le revenu pour le
remplacer par un impôt sur les ventes. La revendication de la vieille
droite et des vieux paléos, telle que je me la rappelle depuis mes
années de jeunesse, était de supprimer le Seizième amendement et l'impôt
sur le revenu, point. La variante actuelle constitue une proposition
bien différente. En premier lieu, elle repose sur le slogan que les
conservateurs ont hérité des « théoriciens de l'offre » [supply-siders]
et qui a été finalement adopté par presque tous les économistes et
soi-disant hommes d'État: quoi qu'il arrive, et quelle que soit
l'évolution de la législation des impôts, il faudrait que la
modification de la loi soit « neutre » quant aux rentrées fiscales,
c'est-à-dire que le montant total de la récolte ne doit jamais baisser.
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