Revenons brièvement aux
comportements dits altruistes. Les parents
affirment qu’ils aiment leurs enfants plus qu’eux-mêmes et
qu’ils seraient prêts à mourir pour eux. (Selon mon
expérience, cette affirmation est le fait de parents de
jeunes enfants. Quand les enfants sont petits, on les
mangerait; quand ils sont grands, on regrette de ne pas
l’avoir fait.)
Demandez à cette
mère comment elle se sentirait si elle allait au cinéma
avec des amies en laissant toute seule à la maison sa
fillette de trois mois. Elle dira qu’elle ne ferait pas
cela, que c'est inconcevable, inacceptable, qu’elle ne
serait pas capable de faire cela. Évidemment qu’elle serait capable de le faire. C’est physiquement possible.
De nombreuses mères le font. (La Direction de la
protection de la jeunesse leur enlève leur enfant, mais
ça, c'est une autre histoire.) Donc, la plupart des mères
décident de ne pas abandonner leur enfant. Elles éliminent
ce choix parce qu’il n'est pas bon pour elles. Elles
ressentiraient beaucoup trop de culpabilité, sans compter
le rejet par leur famille, la DPJ, etc. Je le répète, on
ne fait que ce que l’on considère être bon pour soi. Tant
mieux si, comme dans l’exemple de la mère, les avantages
des deux coïncident. Mais ce n'est pas toujours le cas. Et
c’est ce qui nous amène au fond du problème de l’altruisme
ou de la solidarité dont les gens de gauche se vantent.
La vraie solidarité ne
peut-être que libre et volontaire. Une solidarité forcée
n'est pas une solidarité. Supposons que, par souci de prudence, j’ai accumulé une tonne de provisions
alimentaires, des vêtements, du carburant, etc., et qu’il
y ait un cataclysme dans ma région – crise du verglas,
tremblement de terre ou autre sinistre d’envergure. Quel
serait un comportement vraiment solidaire ou altruiste? Ce
serait évidemment de distribuer à mes voisins une partie
de mes réserves. Si je ne le fais pas, c'est parce que je
crois qu’il m’est plus avantageux de garder ces réserves,
quitte à passer pour un sans-coeur, un égoïste, bref, pour
un être inhumain. Et si je fais cette distribution, c’est
uniquement parce que je préfère me passer de mes réserves
en espérant un plus grand avantage, en obtenant, par
exemple l’approbation des autres.
Supposons que je décide
de ne pas distribuer mes réserves. Dans ce contexte, il est
possible que mes voisins se regroupent, forment une milice
et viennent chez moi pour me les soutirer.
Évidemment, ils me feront des menaces avec leurs armes à
feu. Ils auront le nombre pour eux, ils auront créé la «
loi » et l’appliqueront sans aucune culpabilité – pour
eux, à ce moment, ils jugeront que c'est la meilleure
chose à faire. Serais-je solidaire dans ces circonstances?
Bien sûr que non puisque si j’avais le choix je ne
distribuerais pas mes biens.
C’est pourtant le type de
société dans laquelle nous vivons actuellement. Une
majorité s'arroge le droit de siphonner des biens à une
minorité sous prétexte de solidarité. Mais pourquoi cette
majorité pose-t-elle ces gestes? Par égoïsme bien sûr. «
Oui, mais lors des élections nous choisissons des partis
qui maintiennent le système, nous sommes donc volontaires
pour payer des impôts, nous sommes donc solidaires par
gouvernement interposé! »
Quand un électeur décide
de voter pour tel ou tel parti, c’est toujours et
uniquement parce qu’il pense que ce sera bon pour lui et
pour aucune autre raison. Une personne dont le revenu est
au-dessus de la moyenne et qui vote pour un parti qui
prône la redistribution de la richesse n’est pas logique.
Il n’a qu’à distribuer lui-même son propre argent aux
pauvres et n’a pas besoin qu’un gouvernement le fasse à sa
place. C’est comme si je participais moi-même à la milice
qui viendrait me soutirer mes réserves.
Un « bourgeois » qui
choisit de voter pour un parti de gauche, le fait parce
qu’il pense que c'est la meilleure chose pour lui, toutes
considérations confondues. Ce ne peut pas être pour des
considérations altruistes puisqu’il pourrait alléger les
disparités entre les riches et les pauvres par lui-même.
Mon hypothèse c'est que le bourgeois de gauche se valorise
de sa pseudo générosité. Il se considérerait « cheap »
s’il votait autrement. Cela n’empêche pas ces bobos(4)
de consommer des vins, des fromages et des portos dont la
seule valeur permettrait de creuser un puit dans un
village africain. Sans compter, bien sûr, les voitures
hybrides à consommation réduite, mais à coût d’achat
faramineux.
Les motivations profondes
qui font en sorte que l’on va voter pour un parti, qui,
objectivement, va nous nuire économiquement, sont
multiples: la jalousie (si je ne peux pas me payer de
yacht, personne d’autre ne devrait pouvoir le faire); la
bonne conscience (je suis riche, mais au moins, moi, je
suis généreux), l’hypocrisie (je dis que je vote à gauche,
mais je vote à droite); les avantages personnels (je
travaille dans l’industrie du cinéma et cette industrie a
besoin de subventions); et bien d’autres raisons encore.
Par contre, un pauvre qui
vote pour un parti de gauche agit logiquement: il espère
tirer quelques avantages personnels à une éventuelle
distribution. Quant à la classe moyenne, elle surestime la
richesse des nantis et espère que ceux-ci vont alléger son
fardeau fiscal.
En conclusion, je ne
crois pas que les uns soient méritoires et les autres,
non. Les riches veulent demeurer riches et les pauvres le
devenir. Les riches ne veulent pas que l’on touche à leurs
biens et les pauvres, en se regroupant, veulent les
obtenir. Le seul paradoxe apparent qui demeure, c'est
celui des riches qui supportent la démarche des pauvres.
Ceux-ci pourraient faire disparaître ce paradoxe en
distribuant eux-mêmes leurs biens, mais ils ne le font
pas! Pourquoi? Parce qu’ils choisissent à la fois, malgré
la contradiction inhérente à ce geste, le confort
matériel de leurs richesses et le confort moral de leurs
actions politiques.
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