Montréal, 18 juin 2006 • No 180

 

PERSPECTIVE

 

Jean-Louis Caccomo est économiste à l'Université de Perpignan et auteur de L’épopée de l’innovation. Innovation technologique et évolution économique (L’Harmattan, Paris 2005).

 
 

À PROPOS DE RÉFORME FISCALE

 

par Jean-Louis Caccomo

 

          À l’approche d’échéances électorales majeures, les esprits s’échauffent dans l’Hexagone et les différents candidats peaufinent leur image et leur discours. Pourtant, rien de nouveau sous le soleil de France; il semble que l’histoire se soit arrêtée à l’instar du nuage de Tchernobyl qui avait sagement contourné nos frontières.

 

          Fidèle à ses vieilles lunes, la gauche nous parle d’impôts nouveaux, de taxe sociale et de fiscalité équitable. Elle se permet de flirter avec l’extrême gauche en reprenant certains de ses thèmes tout en mettant en garde la droite de ne pas faire de compromission avec l’extrême droite. Le piège de Mitterrand mis en place dans les années
1980 fonctionne toujours; c’est d’ailleurs normal puisque Chirac avait promis de ne pas faire de chasse aux sorcières.
 

Robin des Bois: lutte des classes ou révolte des contribuables

          Dans un superbe élan démagogique dont il a le secret, Dominique Strauss-Kahn avait reproché un jour aux représentants de la droite libérale d’être des « Robins des Bois à l’envers », défendant les intérêts des riches au détriment des plus modestes et des exclus. Jean-Louis Borloo tomba volontiers dans ce piège grossier systématiquement tendu par la gauche en appelant la droite à « faire enfin du social ».

          « Faire du social! », voilà l’unique programme que se disputent une dizaine de partis politiques. Mais voilà bien un slogan constructiviste? Peut-on « faire du social » comme on fait de la peinture, de la cuisine, de la mécanique ou de la musique?

          En prônant le respect éclairé des lois économiques basées sur le jeu concurrentiel, les économistes dits libéraux ne sont en rien les pions dévoués du grand capital ou les défenseurs des privilégiés. Ces derniers sont plutôt à la recherche de rente et courtiseront le prince pour bénéficier de réglementations plus ou moins légitimes, qui ne sont finalement que du protectionnisme intérieur déguisé.

          Mais de grâce, ne détournons pas le mythe de Robin.

          Il est en effet doublement malvenu d’utiliser le mythe de Robin des Bois pour fustiger l’économiste. D’une part, Robin des Bois s’en prenait au trésor royal pour rendre son bien aux contribuables spoliés par un roi illégitime. Le principal ennemi de Robin, ce n’était pas les riches en soi, mais c’était un État sorti de ses limites légitimes.

          D’autre part, un économiste n’a que faire de défendre les riches: « Les riches, les propriétaires d’établissements déjà en activité, n’ont pas d’intérêt de classe spécial dans le maintien de la libre concurrence. Ils sont contre la confiscation et l’expropriation de leurs fortunes, mais leurs situations acquises les inclinent plutôt en faveur de mesures empêchant des nouveaux venus de mettre en jeu leur position. Les gens qui combattent pour la libre entreprise et la libre concurrence ne défendent pas les intérêts de ceux qui sont riches aujourd’hui. Ils réclament les mains libres pour les inconnus qui seront les entrepreneurs de demain et dont l’esprit inventif rendra la vie des générations à venir plus agréable. Ils veulent que la voie reste ouverte à de nouvelles améliorations économiques. Ce sont les avocats du progrès économique. » (Ludwig Von Mises, L’Action humaine, p. 88)

          Le processus concurrentiel est un processus anonyme et c’est le meilleur garant de l’intérêt général contrairement à ce que voudraient faire croire les fonctionnaires, les agriculteurs, les médecins, les intermittents du spectacle, ou toute autre catégorie sociale qui veut faire passer son intérêt corporatiste comme étant l’intérêt de tous.

          Les corporatismes n’auront de cesse d’infiltrer (pour mieux l’influencer) l’appareil étatique afin de réussir cette alchimie extraordinaire consistant à transformer un intérêt corporatiste en intérêt général. Mais l’alchimie est une imposture et l’État se trouve dans la situation d’arbitrer des conflits qu’il aura contribué à attiser tant il est assuré que l’intérêt général ne se résout pas dans la somme des intérêts corporatistes mais plutôt dans la confrontation des intérêts individuels spontanément organisée par le marché.
 

Réformette fiscale

          Le gouvernement actuel se targue d’avoir lancer une « réforme fiscale ». Le premier temps de cette « réforme » consiste dans la feuille d’impôt préremplie; puis l’État se donnera rapidement les moyens de prendre son dû avant même qu’il n’arrive dans les poches de ceux qui l’ont gagné.

          Avant même d’être perçu, le revenu sera déjà prélevé.

          Le prélèvement à la source est déjà le mode de financement de la sécurité sociale; et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il ne garantit nullement un équilibre des comptes. Car les ménages voient ce qu’ils reçoivent de la sécurité sociale (les remboursements) tandis qu’ils ne voient plus ce qu’elle leurs coûtent (le poids des charges et tous les effets négatifs qu’ils induisent sur le système économique). Ils baignent dans l’illusion de la gratuité alors que l’envolée du coût de la vie en France est dû pour l’essentiel au prix à payer pour financer le modèle social (impôts, taxes et charges).
 

« Les ménages doivent au contraire savoir (et sentir) que les services fournis par l’État ne sont jamais gratuits. Ils doivent se rendre compte que toute extension du rôle de l’État se paiera en impôts nouveaux, que lorsqu’un ministre dit "l’État va financer X ou aider Y", il faut entendre "les Français vont payer pour X ou pour Y ". »


          Mais, ne nous leurrons pas, sous prétexte de nous faciliter la vie, l’État nous trompe encore une fois puisqu’il rend nos poches plus perméables encore. Au-delà de la dimension financière, c’est moralement dommageable car comment respecter une institution aussi importante que l’État si nous avons le sentiment de ne pas être respecté en tant que contribuable.

          La seule réforme digne de ce nom consisterait à revenir au principe originel d’une fiscalité à la fois économiquement efficace et moralement acceptable: l’impôt doit donc être douloureux et payé par tous sans être spoliateur pour ne pas décourager l’activité de création de richesses. Il s’agit d’une véritable révolution (au sens astronomique du terme) car il nous faut redécouvrir ce qui fût proclamé déjà dans la déclaration des droits de l’homme.

          Si l’impôt a vocation à être douloureux, c’est pour rappeler à ceux qui ont en charge de gérer les deniers publics que l’on ne peut dépenser sans compter sans provoquer la réaction des contribuables: il y a donc une limite intrinsèque à la ponction fiscale car l’argent public est un bien rare, une ressource limitée à préserver et gérer au mieux au même titre que l’environnement.

          C’est donc aux conditions de la dépense publique qu’il faut s’attaquer, et non aux modalités techniques de son financement. Rendre les prélèvements indolores, c’est encore aller dans le sens de la déresponsabilisation collective qui nous a conduit à la dérive structurelle des comptes publics et sociaux.

          Les ménages doivent au contraire savoir (et sentir) que les services fournis par l’État ne sont jamais gratuits. Ils doivent se rendre compte que toute extension du rôle de l’État se paiera en impôts nouveaux, que lorsqu’un ministre dit « l’État va financer X ou aider Y », il faut entendre « les Français vont payer pour X ou pour Y ».

          Pourtant, les politiciens à courte vue s’efforceront de mettre tout en oeuvre pour cacher cette réalité incontournable tandis que les hommes d’État tenteront de le rappeler sans nuance. Mais emportés dans leur spirale démagogique qui tient lieu de programme de gouvernement, les socialistes veulent réhabiliter l’impôt progressif et redistributif (Le Monde, 18 mai 2006).

          Décidément, les socialistes ont une propension quasi génétique à dépenser trop facilement l’argent gagné de plus en plus difficilement par les autres.

          Une vraie réforme fiscale consisterait à rendre l’argent aux ménages pour qu’ils en décident en conscience des différents usages en termes d’épargne et de consommation. La liberté n’est rien sans les moyens de l’exercer.

          Dans une économie de marché, cet arbitrage est réalisé au niveau microéconomique, c’est-à-dire au sein des unités de décision qui composent une économie et une société (les ménages et les entreprises). Dans ce cas, la ponction fiscale est minimale: elle s’ajuste sur le strict nécessaire qui permet de financer les fonctions régaliennes qui ne sauraient être assumées par le marché.

          Dans une économie collectivisée, cet arbitrage est réalisé au niveau collectif sans tenir compte des préférences individuelles. Dans ce cas, la ponction fiscale est totale et le domaine de l’action publique est si vaste qu’il n’existe pratiquement plus de sphère privée. Quid de la liberté!

          De ce point de vue, avant d’être une affaire purement technique ou financière, la fiscalité traduit un véritable « choix de société » qui met en jeu des valeurs et une philosophie.

          Car la dérive des prélèvements ne se traduit pas seulement par une perte de pouvoir d’achat, mais surtout par une perte de liberté. L’augmentation systématique des impôts, taxes et autres charges, se traduit toujours par un rétrécissement de l’espace des libertés individuelles dans le même temps qu’il met en péril le sort des générations à venir.

Fiscalité et choix de société

          Si l’on me dit: « Êtes-vous prêt à payer de lourds impôts, mais vous aurez en contrepartie un service public gratuit de grande qualité? », je répondrai oui. Certes, je devrais payer des impôts, mais je n’aurais pas à payer une école privée pour mes enfants ou à sortir de l’argent pour mes frais d’hospitalisation.

          Si l’on me dit: « Vous ne paierez que de modestes impôts, mais il vous faudra vous débrouiller pour l’éducation de vos enfants », je répondrai encore oui. Certes, je devrais payer une école à mes enfants mais je serai plus riche de l’argent que l’État ne m’aura pas prélevé, ayant les moyens d’assumer mes choix éducatifs. Et qui mieux que moi peut choisir pour moi et mes enfants?

          Mais si l’on me dit: « Vous ne paierez pas d’impôt et vous aurez, dans le même temps, les meilleurs services publics qui soient ». Je dis que cela est impossible. Celui qui me propose ce « contrat » est en train de me tromper.

          Dans les faits, nous payons toujours plus de taxes et autres impôts alors même que la qualité des services publics se dégrade inexorablement. Cette réalité-là est profondément injuste. Injuste pour ceux qui paient des impôts et doivent, en plus, payer pour leur éducation ou leur santé. Injuste pour ceux qui ne paient pas d’impôt et qui croient réellement à l’efficacité supposée des services publics dont ils dépendront intégralement.

          Ainsi, la fiscalité traduit bien différents choix de société qui renvoient à différentes visions du monde. Il y a une catastrophe dans le monde, et nos ministres parlent de « taxe de solidarité »; il y a du chômage en France, ils parleront de taxe sociale. La pollution? Taxe verte…

          Nos ministres ont le réflexe de taxer depuis toujours, ils leurs manquent seulement un prétexte. Mais les prétextes ne manquent pas! Il est donc urgent de fixer une borne à leurs ambitions démesurées.
 

 

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