Ces crimes étaient un phénomène d'État,
c'est-à-dire de la force militaire et en général de la coercition
qui lui sont associées. Même si la majorité des Allemands avait
nourri des préjugés antisémites, ils n'auraient pu refiler le poids
de leurs préjugés aux Juifs dans un régime de marché, c'est-à-dire
sans la coercition d'État. Les dépravés qui ont perpétré ces crimes
n'auraient pu donner suite à leurs instincts abjects sans
l'initiative de l'État.
L'une des grandes vertus du régime capitaliste est
justement de protéger la société contre les torts découlant des
tendances malicieuses de certains de ses membres. S'il est vrai que les
participants du marché peuvent s'adonner à toutes sortes de
comportements déplorables, il est aussi vrai que le régime de droits de
propriété inhérent à la concurrence capitaliste interdit aux égoïstes et
aux immoraux de refiler le poids de leurs faiblesses et de leur
avilissement à leurs voisins. Dans un régime où règne la concurrence et
où les droits de propriété sont protégés, et donc exclusifs, l'appât du
gain, l'envie ou la malice, ne représentent aucun danger pour les
autres. Ils s'avèrent anodins parce que les acteurs qui en sont animés
n'ont pas le pouvoir de faire mal à leurs semblables.
On trouve
l'illustration la plus convaincante de cette dynamique dans les
phénomènes de sexisme et de racisme, si décriés de nos jours.
L'employeur imbu de préjugés sexistes et racistes est impuissant à
refiler le coût de ses préjugés à ses employés ou à ses clients. En se
privant d'une main-d'oeuvre productive et peu chère pour des
considérations sexistes ou racistes, il se pénalise lui-même, alourdit
le coût de sa main-d'oeuvre, réduit ses profits et prête flanc à la
concurrence éventuelle des employeurs libres de préjugés, qui ne
tarderont pas à la supplanter sur le marché de la consommation et du
capital. En régime de concurrence capitaliste, les préjugés sont sans
importance, parce que les victimes potentielles peuvent toujours trouver
à s'employer chez l'employeur voisin ou à se soustraire aux brimades que
leurs voisins voudraient leur imposer.
En l'absence de droits de propriété par contre, c'est-à-dire là où le
pouvoir de monopole et de coercition est conféré aux uns par l'État,
l'appât du gain des uns retire par la force aux autres l'accès aux
ressources rares et leur transfère ainsi le fardeau de leur égoïsme.
Dans les secteurs monopolisés par l'État ou cartellisés par ses
réglementations (cartels d'entreprises, comme le taxi, ou de travailleurs,
comme les monopoles syndicaux coercitifs), les préjugés de l'employeur
sont en quelque sorte récompensés, en ce que lui, l'employeur, n'en
porte pas le fardeau, qui est plutôt refilé aux employés en salaires
réduits et en occasions d'emploi rétrécies.
L'illustration extrême de
cette logique s'observait de façon éclatante dans l'holocauste et au
temps pas si lointain de l'apartheid sud-africain. En monopolisant
l'activité, l'État confère à des groupes le pouvoir de transférer le
coût de leurs préjugés à leurs victimes. Ils l'exploiteront allègrement.
Le capitalisme sert donc d'instrument pour minimiser les conséquences de
ce que les hommes ne soient pas des saints, et donc qu'ils ne
poursuivent pas toujours des fins nobles.
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