Montréal, 25 juin 2006 • No 181

 

CE QUE J'EN PENSE

 

Yvon Dionne est retraité. Économiste de formation
(Université de Montréal), il a travaillé à la Banque du Canada (11 ans) puis pour « notre » État du Québec (beaucoup trop longtemps: 20 ans).

 
 

ARMES À FEU: UN PETIT PAS EN AVANT...

 

par Yvon Dionne

 

          J'étais à Ottawa dans la semaine du 17 mai avec quelques amis de l'Association canadienne des propriétaires non enregistrés d'armes à feu (la CUFOA) afin d'être sur place pour célébrer le respect d'une autre promesse électorale faite par le Parti conservateur du Canada: les modificatons apportées au registre des armes à feu.

          En réalité, je ne me faisais pas d'illusions, puisque la politique est généralement l'art d'instaurer la médiocrité avec l'appui de la majorité dans le but de conserver le pouvoir... De plus, il y avait le fait que le principal défenseur des propriétaires d'armes à feu, le député Garry Breitkreuz, avait été écarté du processus décisionnel en cette matière. C'est le ministre de la Sécurité publique, l'Honorable Stockwell Day, qui a été chargé des modifications. Néanmoins, M. Day a déjà été chef de l'Alliance canadienne; on était donc en droit de s'attendre à des modifications qui ne venaient pas d'un ancien de l'ex-Parti progressiste-conservateur du Canada...

 

La Loi, en bref

          Posséder une arme à feu est, pour tous les États, un privilège. En fait, toute activité peut devenir, à plus ou moins brève échéance, un privilège. Il n'est plus possible de vivre sans demander un permis quelconque. La vie, qui ne peut souffrir d'un manque de liberté, est graduellement mais sûrement de plus en plus enchaînée par des contrôles.

          Au Canada, le vrai contrôle des armes à feu est relativement récent, depuis 1979. C'est toutefois avec la loi de 1995 que les contrôles se sont étendus à la possession d'armes de chasse. Jusqu'au 1er janvier 2001 en effet, un permis n'était requis que pour l'achat, non la possession, d'une arme longue; bien qu'un permis soit aussi requis pour les ventes entre particuliers, la majorité des propriétaires d'armes à feu ne détenaient aucun permis et ceci ne causait aucun problème d'envergure justifiant une loi dont le coût en taxes s'élève à un milliard de $ – sans compter les coûts privés que l'on évalue à au moins un autre milliard de $.

          En bref, pour un particulier, il y a deux types de permis: l'un pour les armes sans restrictions, l'autre pour les armes avec restrictions (soit les armes à autorisation restreinte et les armes prohibées). Présentement, la majorité des propriétaires n'ont qu'un permis de possession, lequel devrait éventuellement être remplacé par le permis d'acquisition (pour plus de précisions, voir « Le permis de possession seulement (PPS) est-il encore disponible? », Foire aux questions du Centre des armes à feu Canada (CAFC)). En date du 31 décembre 2005, le CAFC avait dans ses dossiers 1,2 million de propriétaires avec des permis de possession uniquement, contre seulement 0,7 million avec des permis d'acquisition.

          Dans dix ans, il restera combien de permis? Il restera combien de clubs de tir? Il restera combien de champs de tir? Qui défend les propriétaires d'armes à feu au Québec? Qui conteste la Loi sur les armes à feu? Les dirigeants des associations consultent-ils leurs membres et sont-ils devenus des fonctionnaires?

          C'est un acte criminel de ne pas détenir de permis, renouvelable avec photo, etc., à tous les cinq ans. De plus, depuis le 1er janvier 2003 toutes les armes doivent être enregistrées (auparavant ceci n'était obligatoire que pour les armes de poing ou les armes prohibées). C'est aussi un acte criminel d'avoir en sa possession une arme non enregistrée. Lorsqu'une arme change de propriétaire, cela nécessite un réenregistrement.

          Autrement dit, nous voici en présence d'un régime progressif de prohibition et de confiscation. D'ailleurs, il n'y a aucune compensation pour les armes prohibées dont le marché est à peu près inexistant (du moins légalement). Avant que ne soit élu un gouvernement conservateur (minoritaire), les libéraux proposaient (et proposent toujours) de rendre hors-la-loi les armes de poing. Le procureur général de l'Ontario (un libéral) a même repris l'offensive récemment, auprès du gouvernement conservateur, pour que soient prohibées les armes de poing – sauf pour les criminels, la police et l'armée!

          Vous avez bien compris si vous pensez que tous ces contrôles sont inapplicables, car pour les appliquer à la perfection le coût serait tellement élevé qu'il faudrait un policier ou un délateur pour chaque individu, comme en Corée du Nord ou d'autres pays fossiles qui ne sont pas uniquement, hélas!, d'anciens pays communistes.
 

Sheila Fraser dépose un autre rapport accablant

          Le 16 mai, j'ai rencontré (entre autres) un député fort sympathique du Bloc québécois: c'était Paul Crête, de Montmagny-Kamouraska, un comté où il y a beaucoup de chasseurs. M. Crête m'a dit du rapport de la Vérificatrice générale (à venir dans la journée), que la gestion du Centre des armes à feu s'était somme toute améliorée et qu'il n'y avait pas lieu de le remettre en question. La même réflexion est d'ailleurs venue des partisans du contrôle, après que le rapport eut été rendu public. Voyons voir.

          Le Bureau du Vérificateur général relève directement du Parlement mais son mandat est néanmoins limité. Ses objectifs sont définis dans deux lois et visent à « travailler avec le Parlement pour un meilleur gouvernement ». Ceci implique que le Vérificateur (ou la Vérificatrice) ne peut pas contester les lois votées par le Parlement. Ses critiques, le cas échéant, se limitent à la gestion en fonction des objectifs de la loi et aussi, ce qui est plus important, en fonction de l'évaluation de la rencontre des objectifs.

          Ainsi, en 1993, le Vérificateur du temps écrivait (avant même le vote sur la loi C-68 de 1995): « Canada's gun control program is controversial and complex. Evaluation of the program is therefore essential to give the Canadian public and members of Parliament the assurance that its objectives are being met. A more up-to-date evaluation of the program is essential. » Il poursuit en disant que les données disponibles ne permettent pas de conclure à la rencontre des objectifs de la loi de 1979. Les libéraux et tous les étatistes ont tout de même adopté la loi de 1995!
 

« Le point le plus important du rapport de Mme Sheila Fraser est le fait que le Bureau du Vérificateur général "n'a pas examiné l'efficacité du Programme canadien des armes à feu". C'est cette phrase qui importe. »


          Sur le contrôle des armes à feu, le rapport du 16 mai de la Vérificatrice générale, Mme Sheila Fraser, est une mise à jour du rapport de 2002, où elle déclarait n'avoir pas suffisamment de données crédibles pour conclure son évaluation. Dans son rapport du 16 mai, Mme Fraser écrit: « Nous n'avons pas examiné l'efficacité du Programme canadien des armes à feu ni ses répercussions sur le plan social. » (p. 109). Elle dit plus loin que « le Centre des armes à feu Canada a fait des progrès satisfaisants au chapitre de la mise en oeuvre de notre recommandation de 2002 portant sur la communication de l'information financière, sauf pour ce qui est de la comptabilisation des coûts de développement d'un nouveau système d'information ». À toutes les critiques de la Vérificatrice, y compris celles où elle questionne sérieusement la justesse des données consultées d'innombrables fois par jour par les policiers..., les fonctionnaires ont répondu: « Nous sommes d'accord ».

          Tel que mentionné précédemment, le point le plus important du rapport est le fait que le Bureau du Vérificateur général « n'a pas examiné l'efficacité du Programme canadien des armes à feu ». C'est cette phrase qui importe. C'est pourquoi, dans un communiqué envoyé d'Ottawa aux médias étatistes (Radio-Canada et autres), j'ai écrit: « La Vérificatrice générale a dit ce à quoi nous nous attendions. En effet, il fallait s'attendre à ce que le CAFC améliore sa gestion après tant de critiques, même si Mme Fraser mentionne qu'il reste des problèmes à régler. C'était la moindre des choses mais ce n'est pas la raison pourquoi nous sommes ici à Ottawa, présentement. Nous sommes ici pour vous dire qu'il faut aller au fond des choses et remettre en question la Loi sur les armes à feu. Même s'il a été dépensé plus de 1 milliard de $ et que maintenant ça fonctionne mieux, ce n'est pas une raison pour continuer à ajouter des millions en pensant que ça pourrait en valoir le coût. En fait, la loi ne vise pas les criminels; elle les empêche seulement de s'enregistrer, ce qu'ils font quand même à l'occasion. De plus, les deux principaux registres, celui des armes à feu et celui des permis, comportent de nombreuses erreurs et personne ne peut garantir leur exactitude. Les policiers ne devraient pas perdre leur temps à les consulter, d'ailleurs à nos dépens. »

          À la limite, même si la Loi sur les armes à feu montrerait des bénéfices quant au nombre de vies épargnées, elle le fait à un coût beaucoup trop élevé. Elle ne pourrait jamais montrer le nombre de vies écrasées puisque dans les pays où il y a un contrôle encore plus contraignant qu'au Canada, il y a une hausse de la criminalité.

Un petit pas en avant

          À la CUFOA, nous nous doutions que le lendemain du dépôt du rapport de Mme Fraser le ministre de la Sécurité publique, l'Honorable Stockwell Day, annoncerait des modifications au contrôle des armes à feu. Nous avons donc été invités à une séance de conditionnement préalable à l'annonce du ministre. J'ai dû quitter la séance à l'impromptu, séance d'ailleurs en retard, parce que j'avais un autre rendez-vous et que je risquais d'être en retard...

          Bon, j'ai quand même vu, comme vous tous, les annonces du ministre. Sommairement:
 

1. Ce qui est certain: ce sont des changements aux règlements, par voie de décret, pour allonger jusqu'au 17 mai 2007 la période d'enregistrement des armes à feu et aussi la période de renouvellement des permis. Pour l'enregistrement, ce que ça veut dire, c'est que vous pouvez acheter une arme sans l'enregistrer et que vous avez jusqu'au 17 mai 2007 pour l'enregistrer; c'est la date limite. Vous devrez aussi détenir un permis pour l'enregistrer, du moins un permis qui vous autorisait à détenir cette arme et qui est échu depuis le 1er janvier 2004. Cette amnistie temporaire évite que les procureurs provinciaux (dont certains pourraient être des Vyshinsky ou des Freisler, si l'occasion se présentait!) portent des accusations en vertu du Code criminel. De plus, le renouvellement des permis sera gratuit. L'administration sera transférée à la GRC et à la SQ, au Québec – ce qui n'est pas pour nous rassurer quant à toutes les accusations criminelles que permet la Loi sur les armes à feu, pour des simples problèmes de paperasse!

C'est à peu près tout ce que le gouvernement minoritaire de Stephen Harper pouvait faire par voie de décret. Ceci implique que si le gouvernement conservateur ne devient pas majoritaire d'ici le 17 mai 2007, tout est à renouveler, ou c'est un retour à la case départ.

2. L'autre volet de ce qui a été annoncé le 17 mai a trait aux changements à la loi. En effet, les articles 91 et 92 du Code criminel, sous peine d'emprisonnement jusqu'à cinq ou dix ans selon le cas, obligent à l'enregistrement des armes à feu. De même, le gouvernement propose de rendre les permis valides pour la vie du détenteur. Pour que les mesures annoncées le 17 mai soient « durables », il faudrait que le gouvernement soit majoritaire, ou du moins qu'il obtienne un vote majoritaire en faveur du projet de loi à la fois aux Communes et au Sénat. Un vote majoritaire est douteux.

 

L'avortement probable

          C'est douteux parce que le Bloc québécois – qui joue toujours la corde sensible et électoraliste de la tuerie de Polytechnique perpétrée par un psychopathe qui avait pourtant obtenu un permis de la Sûreté du Québec – entend bloquer le projet de loi. Le critique du Bloc en matière de sécurité « publique », M. Serge Ménard, ne cesse de marteler ses clichés caricaturaux en faveur du maintien du registre, dont l'élimination ne serait qu'un petit pas pour nous simplifier la vie. Le Bloc a pourtant perdu des votes aux dernières élections, en faveur des conservateurs.

          Selon toute probabilité, il faudra donc attendre et espérer que, pour ce petit pas en avant, les conservateurs obtiennent la majorité aux prochaines élections. Le ministre Stockwell Day n'entend pas procéder à des changements majeurs, tel l'abolition des permis actuels, comme le propose la CUFOA, en faveur d'un régime axé sur la cible réelle qui devrait être les personnes prohibées de détenir des armes à feu (le « Firearms Prohibition Registry »).

          Le Parti conservateur a-t-il tenu sa promesse électorale? La réponse est non si nous examinons de près la résolution (# 81) adoptée le 19 mars 2005 à son congrès tenu à Montréal: « Measures will include: [...] strict monitoring of high-risk individuals, [...] a certification screening system for all those wishing to acquire firearms legally. » Il s'agissait d'un régime de certification, ou d'attestation, similaire à une vérification des antécédents judiciaires. On est loin du compte.
 

 

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