D’ailleurs, la façon dont
est présentée la pensée de Rothbard dans Le libéralisme
américain nous pousse à croire qu’il s’agit d’une
trahison de l’héritage Mises-Hayek, alors qu’en fait, c’est
une simple reformulation qui utilise une méthodologie
identique – parfois avec des idées un peu plus radicales, mais
toujours tout simplement libérale classique. Décidément
résolu à tout faire pour salir Rothbard, M. Laurent nous
fait sa biographie en insistant bien sur quelques points
négligeables de son parcours et en le caricaturant comme un
sympathisant communiste admirateur de l'URSS (par souci
d’honnêteté, Rothbard aimait rappeler que les États-Unis
avaient une politique extérieure beaucoup plus agressive et
violente que celle des Soviétiques).
La rédaction de ce
bouquin aurait dû pousser M. Laurent à se questionner sur
son très apparent soutien aux Cold Warriors de tout
acabit. Il commet la même erreur que les Américains de cette
époque, c'est-à-dire qu'il ne comprend pas la nature
interventionniste de la Guerre froide et la multiplication
législative et la dérive fiscale qui l’accompagnent. Pour
voir la fin du communisme, il suffisait d’attendre qu’il
implose puisque le calcul économique socialiste est
impossible, et non pas sombrer dans une lutte tout aussi
socialiste contre un système qui de toute façon n’est pas
viable. Rothbard l’avait bien compris.
Mais pourquoi tant
d’efforts mis à discréditer Rothbard? Alain Laurent est un fan
d'Ayn Rand (une simple recherche sur Google nous apprend
qu'il est président d'un cercle d'Ayn Rand) et on peut
croire qu’il se complaît à raviver la guéguerre qu’il y
avait entre les deux auteurs. Peut-être faudrait-il
l’informer qu'Ayn Rand et Murray Rothbard ne sont pas
mutuellement exclusifs et qu'il est permis d'aimer les deux
auteurs?
Et la terre de nos aïeux? |
C’est probablement par chauvinisme, mais je regrette qu’il
n’y ait aucun passage sur l’utilisation du terme « libéralisme » au Canada. Souvent on voit en France des
éditorialistes et journalistes, induits en erreur par le nom
du Parti « libéral », tenir pour acquis que Jean Chrétien
était un libéral classique, alors que son programme était en
fait beaucoup plus près de celui des liberals
américains. Ou encore que Pierre Elliott Trudeau, proche de
Fidel Castro, avait beaucoup fait pour le capitalisme en
Amérique du Nord. En fait, son « capitalisme » était
beaucoup plus près de celui de Maurice Allais que de celui
de Frédéric Bastiat.
Je crois aussi que
l’expérience du Parti libéral canadien aurait pu
sensibiliser les libéraux français aux détournements que
peut subir un parti dit « libéral » lorsque inévitablement
infiltré par des carriéristes, et sur la contradiction
profonde entre le libéralisme, qui cherche toujours à
réduire la sphère du politique, et les partis politiques qui
ont toujours avantage à l’étendre.
Sortir de la droite française |
Alain Laurent se trompe parfois d’ennemi, peut-être parce
qu’il n’est pas familier avec l’analyse économique, ce qui
l’amène à proposer de « rechercher d’autres moyens d’action
afin de corriger des inégalités en capacités de négociation,
des stratifications sociales issues de la concentration de
la propriété et autre cas d’éventuelles dominations
privées ». Mais il ne faut pas immédiatement rejeter ce
« charabia d’illettré économique socialiste »,
comme Martin Masse qualifiait certains passages de La philosophie libérale, mieux vaut le reformuler.
Car M. Laurent termine
son livre en insistant – et il a bien raison – sur le
caractère social et humain du libéralisme. Il en appelle à
un « libéralisme de gauche », c'est-à-dire qui propose des
solutions libérales aux grandes chimères sociales
françaises. Je le rejoins sur cette idée. Je crois aussi que
ceux qui veulent voir le libéralisme s’épanouir en France doivent parler un peu moins de sécurité et
de religion pour plutôt rappeler aux gens que la liberté
n’impose pas de quotas à l’immigration, ou encore qu’elle
n’interdit pas aux personnes de même sexe d’unifier leur
patrimoine ou d’acquérir des droits de parentalité.
Les libéraux auraient dû
célébrer la fin de l’esclavage début mai au lieu de bouder,
même s’il est vrai que cette fête était un événement
purement étatique, donc par définition illibérale.
S’ils veulent un jour
triompher, les partisans de la liberté doivent s’emparer des
champs de bataille de la pensée marxiste malheureusement
omniprésente et y proposer la société civile plutôt que
l’État. Et peut-être ainsi rappeler à plusieurs générations
d’hommes éduqués à la sauce social-démocrate que c’est la
liberté le véritable humanisme…
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