Montréal, 23 juillet 2006 • No 185

 

OPINION

 

Jean-Hugho Lapointe est avocat. Il détient un certificat en administration des affaires de l'Université Laval.

 
 

LA RICHESSE DE L'ALBERTA
VS LA PAUVRETÉ DU QUÉBEC

 

par Jean-Hugho Lapointe

 

          De la mondialisation aux salaires des dirigeants d’entreprise, en passant par le climat, la Conquête, et l’emprise de la religion sur la société lors de la première moitié du 20e siècle, toutes les hypothèses sont valides pour les socialistes lorsque vient le temps d’expliquer la prospérité moindre des Québécois par rapport à celle de leurs voisins, pour autant que ces hypothèses permettent d’éloigner la social-démocratie, le modèle québécois, le syndicalisme ou l’omniprésence gouvernementale des explications possibles.

 

La richesse de l’Alberta

          Il en va de même lorsqu’il s’agit d’expliquer la réussite et la prospérité supérieures d’autres régions, auquel cas les gauchistes doivent s’évertuer à les attribuer à autre chose qu’à la liberté économique ou à une présence gouvernementale limitée. Nous pouvons nous douter que les sectes altermondialistes préparent une explication à l’explosion de la richesse chinoise suite à l’adhésion par la Chine à certains principes de libre marché, mais dans l’intervalle, plus près de nous, nous connaissons l’explication qu’elles fournissent à tort et à travers pour expliquer la prospérité albertaine: le pétrole.

          Ce discours n’est pas tenu qu’au Québec – on n’a qu’à lire The Globe and Mail pour constater l’état du débat sur la question, notamment lorsqu’il s’agit de justifier le système de redistribution des richesses pan-canadien (« péréquation »). Grosso modo, l’Alberta est riche parce qu’elle a du pétrole et le Québec est pauvre parce qu’il n’est pas chanceux; cette « injustice » doit donc être corrigée en prenant de force des richesses albertaines et en les transférant au Québec pour que celui-ci puisse continuer d’entretenir son « modèle » québécois(1).

          Avec la qualité du discours actuel, peu de gens prennent la peine de se demander s’il est normal que le Québec, avec son étendue géographique, son climat équilibré, ses ressources naturelles vastes et variées, sa voie maritime et son accès à l’océan, sa métropole, ses villes et ses régions, son héritage culturel et ses sept millions d’habitants, soit considéré comme une province pauvre dans la fédération canadienne.

          De nos jours, en Alberta, la dette publique est un vestige du passé. Le gouvernement provincial distribue des « chèques de prospérité » à Noël et, malgré tout cela, les fonds sont disponibles lorsque se présente le besoin de rafraîchir les infrastructures. Miraculeusement, on n’y compte pas plus de sans-abri qu’ailleurs. L’antipode du Québec, quoi.

          Il ne s’agit pas ici de prétendre que les ressources énergétiques de l’Alberta et la hausse des cours du pétrole sur les marchés n’ont rien à voir avec la prospérité économique albertaine, mais bien de réaliser qu’il serait fort malheureux et inapproprié pour les apôtres de l’interventionnisme étatique de prétendre que le « modèle albertain » d’une plus grande liberté économique et d’un État plus sobre puisse avoir quelque chose à voir avec cette prospérité. Il est essentiel pour le discours socialiste que seul le pétrole puisse expliquer que l’Alberta soit plus prospère que le Québec et ce, malgré que les dépenses gouvernementales y soient proportionnellement moins élevées. C'est sans doute une simple coïncidence...
 

Et l’hydroélectricité?

          Dans le monde socialiste où seules les ressources énergétiques de l’Alberta expliquent sa prospérité, on oublie donc sans difficulté qu’une province comme le Québec jouit d’une ressource énergétique renouvelable qui pourrait être tout aussi rentable que l’essence ou le gaz naturel, à savoir l’hydroélectricité. Il s’agit peut-être de l’une des plus grandes malhonnêtetés intellectuelles du débat politique québécois et canadien.

          L’Alberta aurait pu choisir, à l’instar du Québec, de nationaliser son industrie du pétrole et d’en réglementer les prix, dans l’objectif noble mais naïf de soutenir les ménages défavorisés en leur assurant un prix de l’énergie maintenu artificiellement bas. Ainsi, un Albertain pourrait peut-être payer son litre d’essence 0,50$ ou 0,25$ aujourd’hui, alors que nous le payons bien au-dessus du dollar l’unité partout ailleurs au pays. Les politiques économiques interventionnistes ont certes leur charme au premier abord, et celle-ci ne fait pas exception!

          Pourtant, contrairement au choix fait par le Québec, l’Alberta exploite la valeur de sa principale ressource naturelle plutôt que de se contenter d’exploiter la ressource elle-même, et l’ensemble de ses citoyens profite des bénéfices qui en découlent, obtenus en échange d’un prix de l’énergie fixé selon le marché plutôt que subventionné à un niveau artificiellement bas.
 

« L’Alberta aurait pu choisir, à l’instar du Québec, de nationaliser son industrie du pétrole et d’en réglementer les prix, dans l’objectif noble mais naïf de soutenir les ménages défavorisés en leur assurant un prix de l’énergie maintenu artificiellement bas. »


          Au Québec, notre principale ressource énergétique n’est certes pas dispendieuse au compteur pour l’utilisateur. Ceci pose toutefois une sérieuse question à la logique socialiste: si le maintien de prix artificiellement bas pour l’énergie au Québec constitue un meilleur choix de société, ne devient-il pas alors incohérent de prétendre que l’Alberta doit sa prospérité générale uniquement à la hausse des cours du pétrole? Les Albertains n’auraient-ils pas dû s’appauvrir dans cette histoire?
 

État omniprésent vs État plus minimaliste

          Sans trop vouloir se baser sur les statistiques, auxquelles on peut faire dire pratiquement n’importe quoi, on peut néanmoins en conclure que le Québec supporte des dépenses publiques par habitant plus élevées que la moyenne des provinces canadiennes et, plus particulièrement, que l’Alberta et l’Ontario. En 2004-2005, les dépenses budgétaires totales par habitant se seraient élevées à 9 775 $ au Québec, comparativement à 8 939 $ pour la moyenne canadienne.

          Aussi, au 31 mars 2005, la part des recettes totales du gouvernement du Québec dans le PIB se situait bien au-dessus de la moyenne canadienne (Québec: 26,5%, Alberta: 17,4%, moyenne: 24,6%) mais surtout, la proportion des dépenses totales du gouvernement du Québec était aussi l’une des plus élevées (Québec: 27,6%, Alberta: 15,5%, moyenne: 24,5%). Le Québec se distingue particulièrement au chapitre de ses dépenses en « services sociaux », la part de son PIB qu’il y dépense étant supérieure au double de la moyenne des autres provinces (6,6% vs 2,9%)(2).

          Selon une étude récente produite conjointement par CIRANO (Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations) et par les Études économiques du Mouvement des caisses Desjardins(3), la mesure à privilégier pour redresser la situation fiscale du Québec serait de hausser les tarifs d’électricité. On y note entre autres que
 

          Toute proportion gardée, l’électricité est au Québec ce que le pétrole est à l’Alberta. [...] Tarifer correctement les services permet d’utiliser efficacement les ressources. En effet, une tarification qui sous-estime la valeur réelle d’une ressource conduit souvent à une consommation excessive. Les exemples en la matière abondent. Citons parmi eux les secteurs de l’eau, l’électricité, les frais de scolarité et les soins de santé. Une juste tarification est une solution efficace dans l’allocation des ressources et réduit au minimum le gaspillage. (p. 29)

          Et plus loin:
 

          Notons que pour plusieurs économistes, l’appauvrissement relatif du Québec (dont le revenu par habitant compte parmi les plus faibles d’Amérique du Nord) s’explique en partie par ce gaspillage des ressources en eau et en électricité. À titre d’exemple, l’Alberta ne connaît pas le même problème parce qu’elle adopte une meilleure tarification de ses ressources pétrolières. (p. 37)

 

Liberté et prospérité

          Il est rien de moins que farfelu de prétendre que la prospérité peut être créée à partir d’une seule ressource naturelle sans au préalable avoir instauré les institutions nécessaires à son existence. La Russie et la plupart des pays du Moyen-Orient abondent en réserves pétrolières ou en gaz naturel et pourtant, la richesse y demeure toujours concentrée entre les mains de petits groupuscules de privilégiés, proches du pouvoir, laissant la population dans la misère. On est loin de la richesse générale albertaine.

          L’Index of Economic Freedom, qui classe annuellement les pays du monde selon leur niveau de liberté économique(4), montre que les pays les plus libres économiquement (Hong Kong dominant le classement et la Corée du Nord le fermant) sont généralement les plus prospères.

          On y remarque également que, contrairement à la mode intellectuelle de gauche voulant que les pays scandinaves soient des exemples de réussite socialiste, la Finlande, la Suède et la Norvège se retrouvent aux 12e, 19e et 30e rang respectivement, en termes de liberté économique. Ces pays peuvent bien jouir d’une prospérité relative, mais il semble que cette prospérité soit difficilement attribuable à un modèle socialiste duquel nous devrions nous inspirer.
 

Conclusion

          Il ne s'agit pas de prétendre que les ressources pétrolières de l’Alberta n’ont rien à voir avec la prospérité de la province, au contraire. Mais il faut cesser de se cacher la tête dans le sable et accepter que nous ne devons pas blâmer notre prospérité moindre sur notre seule carence en réserves d’énergie fossile.

          On peut bien vouloir débattre avec les partisans de l’interventionnisme étatique de la qualité ou de la justesse de telle ou telle ingérence gouvernementale dans la société civile, encore faut-il que le débat demeure honnête. Malheureusement, il ne le sera pas tant et aussi longtemps que les socialistes et les politiciens n’en auront pas la volonté.

          Non seulement est-il devenu d’usage pour la gauche de modifier le sens des mots ou d’utiliser ceux-ci à des fins auxquelles ils n’étaient pas destinés (voir mon article « Socialism and the Corruption of Words and Language », le QL, no 165), mais il est de plus en plus fréquent de voir des situations factuelles être présentées sous une apparence très différente de la réalité lorsque cela sert les intérêts de l’intelligentsia interventionniste.

          Lorsque suffisamment de Québécois se seront posé la question à savoir pourquoi les socialistes emploient-ils systématiquement de tels subterfuges pour promouvoir leurs objectifs, alors peut-être une plus grande prospérité nous sera-t-elle accessible à nous aussi.

 

1. Rappelons pour la forme que l’Ontario et la Saskatchewan sont également des « provinces riches » en vertu de la formule de péréquation actuelle et contribuent donc elles aussi, dans une certaine mesure, à maintenir l’embonpoint du gouvernement du Québec.
2. Système de gestion financière (SGF), Statistique Canada.
3. Le défi des finances publiques – Le redressement de la situation fiscale du Québec (mars 2006). Voir sur www.cirano.qc.ca et sur www.desjardins.com.
4. Il va de soi qu’un tel classement laisse une grande place à l’usage de statistiques, souvent irréconciliables les unes avec les autres. Ceci n’empêche pas, toutefois, de constater que le classement proposé semble conforme avec une certaine réalité perceptible au-delà des statistiques.

 

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