Il y a un an de ça
maintenant, je découvrais
sur l’éphéméride
humoristique fixée à la
porte de mon frigidaire
cette amusante vignette:
dans ce qui semble tenir
lieu de pharmacie, une femme
s’adresse à ce qui semble
être un pharmacien: « La
santé n’a pas de prix »,
revendique-t-elle.
« Peut-être, mais les
médicaments ne sont pas
donnés », fait remarquer
l’homme en blouse blanche.
Ce qui pourrait passer
pour un simple jeu de mots
est en fait une remarque
pleine de bon sens. La santé
n’a évidemment pas de prix;
mais les moyens nécessaires
pour la « garder » ont un
coût. Les médicaments ont un
coût, les hôpitaux ont un
coût, les médecins qui
diagnostiquent et opèrent
ont un coût (leur salaire),
former des personnes à de
telles compétences a un
coût, etc. Tout cela
représente le fruit du
travail d’hommes et de
femmes qui peuvent
légitimement réclamer une
contrepartie à leurs
efforts. De façon similaire,
les altermondialistes
clament que « la culture
n’est pas une marchandise! »
Or si la culture n’est pas
une marchandise, et ne peut
en être une, elle nécessite
néanmoins pour sa
réalisation l’usage de
marchandises. Pour organiser
un spectacle, il faut par
exemple disposer d’une
salle, de costumes, de
machines techniques… et bien
sûr de comédiens! Ces
comédiens qui voudraient que
la culture soit « gratuite », mais qui eux-mêmes
tiennent à être rémunérés
pour leur prestation!
La culture et la santé ne
sont pas des marchandises,
précisément parce qu’elles
sont en elles-mêmes des
marchés: elles résultent de
l’interaction de plusieurs
agents qui produisent,
échangent, consomment. Et
c’est cette interaction qui
détermine le prix à payer
pour la culture, ou le coût
des soins médicaux. En
réalité, ce que les
altermondialistes attendent,
en clamant que la culture
n’est pas une marchandise,
c’est de bénéficier de
subventions illimitées.
Seulement, les fonds ne sont
pas illimités. L’État ne
dispose pas d’un chapeau de
magicien d’où jailleraient
des millions et des millions
chaque fois qu’il en
aurait besoin. L’argent que
manipule et distribue l’État
est en fait celui des
contribuables, à qui il l’a
prélevé – contribuables qui
génèrent eux-mêmes cette
richesse par leur travail.
Bien sûr, on peut
souhaiter que tous les
processus d’entraide et de
solidarité soient mis en
oeuvre afin de permettre à
ceux qui n’ont pas les
moyens d’assumer ces coûts
de tout de même profiter des
soins médicaux dont ils ont
besoin. Néanmoins, il ne faut
pas oublier qu’à la base
quelqu’un devra toujours
payer. Comme le rappelle
l’économiste Jean-Louis
Caccomo: « Les économistes
disent souvent "il n'y a pas
de repas gratuit". C'est
fondamentalement vrai. Il y
a toujours quelqu'un qui
paie. Ce que l'on vous donne
"gratuitement" provient
toujours d'autres personnes
qui l'ont produit. » («
Les mensonges de
l’État-providence », le
QL, no 130).
Considérer que la santé «
n’a pas de prix » ne veut
donc pas dire que nous
devrions avoir le droit de
profiter de soins médicaux
sans jamais se soucier de
leur coût. Quand le malade
dit que la santé n’a pas de
prix, il ne dit pas que la
santé ne vaut rien, mais au
contraire qu’elle vaut tout:
la santé n’a pas une valeur
nulle mais une valeur
infinie, et c’est en ce sens
qu’elle ne peut être
gratuite. On peut alors
décider qu’il faut dépenser
sans compter, certes, mais
il risque d’arriver un
moment où l’on aura épuisé
toutes les ressources. Le
trou de la sécu atteint
aujourd’hui les 15 milliards
d'euros…
Les Français pensent que
leur système de santé est
l’un des meilleurs au monde,
si ce n’est le plus
performant. Seulement, si
nous tenons vraiment à le
préserver, nous ne pouvons
pas le plomber d’un déficit
de plusieurs milliards
d’euros. À force de
dépenser, il n’y aura
bientôt plus d’argent. Le
système que les Français
défendent est-il un système
où l’on se permet de
dépenser sans compter – et
sans penser aux conséquences
–, ou un système qui assure
une sécurité sociale
minimale de façon durable?
Opter pour le second choix
implique de se plier à
quelques lois économiques
élémentaires, à commencer
par une meilleure gestion
des organismes de Sécurité
sociale, une plus grande
transparence, et surtout une
responsabilisation des
différents acteurs, tant du
côté des prestataires que
des usagers. Nous devons
reconnaître et accepter que
les soins médicaux ont un
coût, et que nous ne pouvons
les consommer comme s'ils
étaient gratuits.
Valentin B.
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