La faillite sociale: la multiplication
des fissures |
Si les libéraux se préoccupent tant d'économie et sont soucieux d'en
comprendre ses principes, ce n'est pas qu'ils soient foncièrement
antisociaux, mais ils se méfient des promesses intenables, autres
chèques sans provision. Car on ne peut « faire du social » sans une
économie prospère. À vouloir opposer sans cesse l'économique au
social, on prend même le risque de briser le ressort même de la
création des richesses. Or l'État n'a pas le pouvoir de redistribuer
des richesses qui n'ont pas préalablement été créées par un secteur
productif en expansion.
Or nous sommes enfermés
en France, depuis une trentaine d'années, dans une trajectoire
pernicieuse fondée sur la négation même de ce principe. Déjà dans
les années 1970, le président Giscard d'Estaing annonçait que « le
bout du tunnel était en vue ». En 1981, le président Mitterrand
promettait de « changer la vie ». Dans les années 1990, le président
Chirac se proposait de « réparer la fracture sociale ». Et
aujourd'hui, on cache de plus en plus difficilement la facture
sociale. Trente ans de croissance molle, génératrice d'un chômage
structurel intenable et aux conséquences sociales dramatiques. Or
l'histoire dira que cette même période fut une période de prospérité
mondiale sans précédent. Nous sommes passés à côté au nom d'un
modèle social qui condamne précisément tout retour à une croissance
forte et durable, seule susceptible de générer la richesse que
suppose le maintien de nos généreux « acquis sociaux ».
La facture sociale a en
effet une dimension financière: c'est un endettement public
intenable au nom d'un statu quo qui:
• génère une
expatriation incessante des jeunes talents, une émigration
économique, en même temps qu'il suscite une immigration
sociale;
• se traduit par une montée inexorable de la précarité et de
l'exclusion car le financement des acquis sociaux se fait au
prix d'une fragilisation du tissu économique;
• accroît la mortalité des PME et accélère la délocalisation
des grands groupes;
• produit un rétrécissement de la base active de la
population en fragilisant les plus jeunes et les plus âgés;
• menace les retraites. |
En France, les jeunes font des études dans « le meilleur système
d'éducation du monde » pour finalement avoir peur de la précarité comme
l'ont montré les réactions virulentes face au CPE. Les salariés
cotisent pendant 40 annuités pour ne pas être sûrs de vivre
décemment pendant leur retraite. Face à la multiplication de ces
fissures, chacun se recroqueville sur ses acquis, en s'enfermant
dans des postures revendicatives qui constituent une grave menace
pour la cohésion sociale elle-même.
Au total, quatre France
coexistent: une classe moyenne en voie de paupérisation; une partie
croissante exclue sans espoir d'intégration; une France active,
voire hyperactive car soumise à toutes les contraintes liées à la
compétition et à la réglementation; et une France abritée par son
statut mais en crise de reconnaissance. Et au-dessus, une élite
intouchable et aveugle, sans obligation de résultat: c'est la France
du pouvoir et de ses courtisans qui s'obstine à maintenir un système
manifestement à bout de souffle mais qui exploite les peurs
légitimes liées à tout changement, aussi inéluctable soit-il.
Un coupable idéal: le libéralisme |
Un coupable idéal est toujours un coupable trop facile qui nous
évite d'affronter les causes réelles et endogènes de notre
incapacité à retrouver le chemin de la croissance. Car la France est
sans doute parmi les pays développés le pays le plus éloigné du
libéralisme, dans son fonctionnement institutionnel comme dans sa
conception de l'économie. Tout est fait pour étendre le pouvoir et
les champs de compétence de l'État alors que la Constitution a
précisément pour objectif l'inverse: limiter et délimiter de manière
précise les prérogatives de l'État pour protéger la sphère privée.
|