La première question que l'on devrait se poser est
évidemment la suivante: faut-il imposer le capital? En termes très
généraux, on peut définir le capital comme la source du revenu et on
peut donc en distinguer deux catégories: le capital humain et le
capital non humain. On peut aussi dire que la valeur d'un capital
dépend de la valeur des flux de rendement actuels et futurs qu'il
permet d'obtenir. Lorsqu'un élément de capital est échangé sur un
marché, un prix apparaît et il est évidemment déterminé par
l'évaluation faite par les échangistes de ces flux anticipés de
rendements. Dans les sociétés que nous connaissons, où l'esclavage a
heureusement disparu, le capital humain n'a pas de valeur de marché
et seul le capital non humain est évalué sur les marchés financiers.
Par conséquent, l'impôt sur le capital – parce que les
administrations fiscales connaissent seulement ce qui a un prix de
marché – ne touche en réalité qu'une partie du capital, le capital
non humain. Il est de ce point de vue particulièrement injuste et
arbitraire.
Étant donné que le capital est la source du revenu et que la valeur
des revenus détermine la valeur du capital, il revient au même de
taxer le revenu ou de taxer le capital. Ainsi, si un élément de
capital a un rendement de 5% par an (c'est-à-dire que la valeur du
capital est égale à vingt fois la valeur du revenu annuel), il
revient au même de taxer le capital à un taux de 2,5% ou de taxer
son revenu à un taux de 50%. Mais dans un système fiscal où il
existe un impôt sur le revenu et un impôt sur le capital, on taxe
deux fois la même chose: dans notre exemple, l'addition d'un taux de
50 % sur le revenu et de 2,5% sur le capital aboutit à une taxation
de 100%, c'est-à-dire que le rendement après impôt du capital
devient nul. Même si l'on n'atteint pas le plus souvent ce niveau de
spoliation, il n'en reste pas moins que l'ISF français représente un
prélèvement qui peut être considérable. Si l'on admet en effet que
le taux de rendement moyen du capital sur le long terme est de
l'ordre de 3% – ce qui semble une approximation acceptable – le taux
maximum de l'ISF, soit 1,8%, est équivalent à un taux d'impôt sur le
revenu égal à 60%!
C'est évident, l'impôt sur le capital constitue une formidable
incitation à ne pas accumuler de capital. Mais ce problème est
aggravé par le fait – trop méconnu – que l'impôt sur le revenu est
déjà lui-même un impôt sur l'épargne, donc sur l'accumulation de
capital. Supposons en effet un individu qui reçoit un revenu
(provenant de son capital humain ou non humain). Il paie un impôt
sur le revenu et il peut affecter la partie restante soit à la
consommation, soit à l'épargne. Dans le premier cas, la matière
fiscale disparaît à jamais et elle ne peut donc plus être soumise à
l'impôt sur le revenu. Dans le deuxième cas, elle est réintroduite
dans le circuit économique et le rendement futur de l'épargne
entrera dans l'assiette de l'impôt sur le revenu, de telle sorte
qu'il y a double taxation de l'épargne par rapport à la
consommation.
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