On le
voit, n’importe quel projet, aussi saugrenu soit-il,
n’importe quel événement peut être qualifié de « rentable » et ainsi faire l’objet
d’une aide publique. Il s’agit de bien mélanger les données,
de saupoudrer d’un peu d’« effet induit » et hop! vos fonds
sont débloqués.
If you build it, they will
come |
Le calcul des retombées économiques est peut-être bidon,
mais peut-on en dire autant de l’activité économique
qu’entraîne un projet ou un événement? Quand trois paliers
déboursent quelques centaines de milliers de dollars pour
financer un festival comme celui du jazz à Montréal, on nous
dit que les retombées économiques qu’entraîne cet
investissement sont plus importantes que l’investissement
lui-même.
On explique le phénomène
de multiplication par le fait que des centaines de milliers de
festivaliers vont se rendre sur le site du festival et
vont y dépenser des centaines de milliers de dollars.
Les commerçants de l’endroit feront des profits. L’État
engrangera des taxes. Et les fonds publics investis rapporteront le double ou le
triple en retombées de toutes sortes…
On tient pour acquis,
dans cette équation, que s’il n’y avait pas de festival de
jazz à Montréal, les consommateurs resteraient à la maison à
regarder leur argent dormir. Alors que c’est faux. Ils
feraient tout simplement autre chose. S’il n’y avait pas de FIJM, ils iraient au cinéma, au restaurant, au théâtre, au
concert… ce ne sont certainement pas les occasions de
sorties qui manquent dans une grande métropole. L’argent que
les consommateurs dépensent lors d’un événement comme le
FIJM se dépenserait quand même. Il ne se dépenserait
peut-être pas au centre-ville de Montréal, mais il se
dépenserait.
Peut-être même qu’il se
dépenserait en région! Car si ce ne sont pas les occasions
de sorties qui manquent à Montréal, peut-on en dire
autant en région? Si le Festival western de
St-Tite n’existait pas, y aurait-il plus de 400 000 visiteurs
dans la petite municipalité dans
l’espace de 10 jours? Sans doute pas. Ces milliers de
visiteurs, qui ne seraient pas venus n’eut été du festival,
dépensent chaque année des milliers de dollars là-bas. Ne
s’agit-il pas de retombées économiques? D’argent neuf pour
la municipalité?
Oui et non. La
municipalité n’attirerait sans doute pas autant de monde
sans festival – 400 000 personnes qui visitent un endroit
durant dix jours, en plus de la population locale, c’est du
monde. Mais qui dit que sans fonds publics l’événement
n’existerait pas? Il suffit de visiter la rubrique « Partenaires »
sur le site du festival pour se rendre compte que si on ne
réussit pas à boucler son budget avec autant de
commanditaires, on a un sérieux problème de gestion… (Pour
ce qui est de l'État, il récolterait ses taxes que l'argent soit
dépensé à St-Tite ou à Montréal.)
Finalement, qu’en est-il
des touristes qui visitent la province? Ils n’auraient
peut-être pas choisi le Québec comme destination touristique
n’eut été de tous ses festivals. Comme ils ne font que
passer au Québec, l’argent qu’ils dépensent ici est
de l’« argent frais », non?
En fait, l’Américain,
avant de traverser la frontière, de la même façon que vous
achetez des dollars américains avant de vous rendre aux
États-Unis, achète des dollars canadiens. Les dépenses qu’il
va effectuer en sol canadien, il va les payer avec des
dollars canadiens qu’il aura achetés aux USA. Ces dollars
canadiens ont sans doute appartenu à des touristes canadiens
(ou à des entreprises d’ici) qui se sont procuré des dollars
américains pour diverses raisons. Plus de 80% de nos exportations sont effectuées vers les
États-Unis. L’Oncle Sam est notre plus important partenaire
économique. Les billets vont s’échanger – tout comme le sont
les produits et services des deux côtés de la frontière. Il n’y aura pas plus de « retombées » ici que
là-bas, mais simplement des ventes plus élevées pour le
festival, qui sont l'équivalent de l'exportation d'un
produit.
Retombées ou déplacements? |
L’État subventionne des festivals en disant que les
retombées économiques que ces « investissements » entraînent
sont plus importantes que les dépenses. Ces investissements
sont bien souvent si minimes que les festivals pourraient
s'en passer sans trop de difficulté – le Festival des films de Montréal a fonctionné
deux ans sans subventions. S’ils sont minimes, pourquoi s’en
faire alors? Parce que l’État subventionne des dizaines et
des dizaines d’événements culturels en plus de la santé, de
l’éducation, des infrastructures, du transport en commun,
des entreprises de l’aéronautique, des garderies à 7$, des
programmes de réinsertion sociale, etc. Additionnez toutes
les interventions de l’État et vous obtenez des
contribuables surtaxés.
En finançant le Festival
international de jazz de Montréal par exemple, l’État
subventionne en fait les restaurateurs, les hôteliers, les
propriétaires de bars et de boutiques du centre-ville. Car
c’est dans les tiroirs-caisses de ces commerces que se
retrouvent les « retombées économiques » dont parlent les
promoteurs de festivals. L’État prend des sous dans
nos poches pour les faire « retomber » dans les poches de
commerçants. En ont-ils plus besoin que vous et moi? Vous avez
moins d’argent à dépenser là où vous le souhaiteriez;
l’hôtelier, le restaurateur, le vendeur de bijoux, le
promoteur de spectacles, eux, font des profits.
Les fonds publics que
l’État investit dans des festivals, s’il les laissait dans
les poches des contribuables, entraîneraient autant de
retombées économiques. Ils entraîneraient une activité
économique répondant davantage aux attentes des principaux
intéressés, parce que fondée sur une demande
réelle. Lorsque l’État
subventionne un festival, il ne crée pas de la richesse, il
ne fait que déplacer de l’argent d’un secteur à un autre –
tout en prenant bien soin d’en retenir un peu au passage.
Lorsqu’on dit que la tenue de tel ou tel événement
occasionne des retombées économiques de tant de milliers de
dollars, il faut simplement lire que les promoteurs de tel
ou tel événement ont réussi à convaincre l’État de diriger
des fonds publics vers eux.
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