Mais avant cette menace extérieure, la liberté d’expression faisait
déjà l’objet d’une lente destruction venant de l’intérieur. De la
démocratie elle-même. Ou plutôt d’une conception totalitaire de la
démocratie, malheureusement la plus courante. Selon cette
conception, la démocratie est la valeur absolue. Tout ce qui
émane d’un processus démocratique est par définition le Bien à
l’instant même où il en émane. Cela conduit bien sûr au relativisme
destructeur. Ce qui était juste, bien et vrai peut devenir injuste,
mal et faux après le processus de la magie démocratique. Ce qu’on
avait le droit de dire un jour peut devenir interdit d’expression le
lendemain. Le Parlement, par exemple, vient d'adopter
un projet de loi sanctionnant la négation du génocide arménien. N’y a-t-il pas
aussi des écologistes qui veulent
rendre illégale la négation du « réchauffement planétaire »?
Le totalitarisme a besoin
d’une vérité officielle car il doit par nature tout contrôler pour
atteindre ses objectifs et maintenir son pouvoir. Et la démocratie
ne se distingue pas du totalitarisme lorsqu’elle interdit la
négation de ce que la majorité croit. Ce qu’a écrit Orwell dans
1984 est toujours d’actualité, même dans nos régimes dits
démocratiques. Car la démocratie ne se distingue pas du fascisme
élitiste lorsqu’elle interdit de nier ce que d’autres jugent immoral
de nier. Le pluralisme des idées, la possibilité de mesurer la
validité d’une idée à l’aune d’une autre, la concurrence des idées,
tout cela préserve à la fois la liberté et les chances d’éliminer
les idées fausses. De quelle divine infaillibilité peuvent se
prévaloir les hommes de l’État ou la majorité pour définir ce qui
est vrai et indiscutable?
Ostracisme et droits de propriété |
La liberté d’expression n’a pas d’autre limite que celle qui protège
les droits de propriété individuels. Ainsi vous ne pouvez pas dire
ce que vous voulez chez moi précisément parce que vous êtes chez
moi. De même, vous ne pouvez pas dire ce que vous vous êtes engagés
à ne pas dire, d’où l’existence d’un devoir éventuel de réserve.
Publier une opinion avec ses propres moyens ou avec ceux d’une autre
personne consentante ne peut violer aucun droit légitime.
Dans une société libre,
on a le droit de tout dire dans la limite des engagements
contractuels que l’on a pris et dans la limite des moyens mis en
oeuvre: ne pas utiliser la propriété des autres par la force. Mais
alors, dira-t-on, les gens passeront leur temps à s’insulter, à nier
les chambres à gaz, etc. Il faudrait donc qu’une autorité rétablisse
l’ordre. Curieux raisonnement qui conduirait à affirmer que les
individus voudraient un ordre moral alors que leurs actions
révèleraient le contraire.
|