Montréal, 22 octobre 2006 • No 198

 

OPINION

 

Michel de Poncins écrit les flashes du Tocqueville Magazine et est l'auteur de quelques livres.

 
 

LE TGV ROULE SUR LA
PAUPÉRISATION DE LA FRANCE

 

par Michel de Poncins

 

          La SNCF fête les 25 ans du TGV. Au risque de surprendre, nous sommes obligés d’écrire que c'est un triste anniversaire. Il n'est pas question, certes, de discuter le plaisir de prendre ces trains, mais ils jouent un rôle majeur dans la ruine de la SNCF et par conséquent la paupérisation de la France tout entière. Cela n'empêche pas la presse de prétendre que le TGV nous est « envié par le monde entier » et d’ajouter d’une façon mensongère qu’il est source de profits pour la SNCF.

 

          Remettons les pendules à l’heure.

          En 1997, prit place la séparation de la SNCF en deux: d’un côté, sous le nom de Réseau Ferré de France ou RFF, les investissements dans les infrastructures et, de l’autre, le fonctionnement des transports de voyageurs et de marchandises.

          L’objectif était d’isoler le passé représenté par des dettes abyssales et de masquer ainsi la faillite réelle, en espérant que le reste, à savoir l’exploitation, repartirait du bon pied. En fait, comme la Cour des comptes l’a montré, il sera pratiquement impossible de sortir de décennies de chaos et de gaspillage.

          La facture des TGV est nommément accusée dans ses rapports: « Le lourd endettement de la SNCF induit principalement par les investissements considérables effectués pour construire et équiper les lignes nouvelles à grande vitesse. » Signalons en passant que ces investissements ont favorisé la firme Alstom, autre monstre étatique ou paraétatique ruineux pour la France.

          Ces investissements ont-ils été rentables? S’ils l’avaient été, l’énormité des chiffres aurait dû conduire à des bénéfices considérables et à un redressement spectaculaire de l’exploitation ferroviaire en France. La réalité est que la situation de l’ensemble SNCF plus RFF n’est pas du tout satisfaisante et constitue un vrai boulet financier pour la nation.

          La Cour écrit: « Le taux de rentabilité financière qui mesure la rentabilité des ressources durables de l’entreprise est de 1,8% en 2002. » C’est vraiment la déroute.

          L’une des causes est justement l’opération TGV, dont les comptes ne seront jamais vraiment faits, et qui se traduit en particulier par des frais financiers gigantesques.

          En plus, la séparation s’est faite dans le désordre. Si les immobilisations ont bien été transférées à RFF, les dettes sont restées pour des raisons obscures dans le bilan de la SNCF avec en contrepartie une créance sur RFF: la clarté n’était pas au rendez-vous.

          La conséquence apparente sur le résultat net de l’entreprise ferroviaire a, certes, été immédiate. Dès 1997, il est devenu positif, les pertes financières ayant été mises de côté comme elles le sont souvent dans une faillite. Mais les autres vrais problèmes sont toujours là.
 

« Malgré la perte financière suscitée par ce magnifique jouet, les projets d’extension ne manquent pas pour des lignes qui seront inévitablement des foyers de perte; les faux motifs habituels sont invoqués dont la satisfaction personnelle des politiques locaux. »


          La Cour écrit: « La SNCF souffre de faiblesses structurelles qui, aujourd’hui encore, affectent sa rentabilité. » On s’en doute à lire ailleurs les incroyables privilèges du personnel avec les multiples primes, les retraites fastueuses et les horaires élastiques, ce qui conduit aux chiffres cités plus haut.

          Les rapports entre l’État, la SNCF et RFF sont parfaitement opaques: en fait rien n’est clair et il n’y a pas d’objectifs précis. Les comptes sont soldés vraiment selon l’humeur du moment. « La convention de gestion est imprécise et elle est imparfaitement appliquée. » (sic) Quant au tarif des péages versés à RFF, il est tout simplement fixé « selon la capacité contributive de la SNCF »; en d’autres termes: « Vous me devez de l’argent, mais ce sera selon ce que vous pourrez payer! »

          Autre désordre: le partage des immobilisations entre SNCF et RFF n’était pas achevé sept ans après la prétendue séparation. La difficulté de base est que la SNCF « ne disposait pas en 1997 d‘un fichier complet de ses biens »! Une telle énormité montre l’incurie de l’action étatique après 50 ans ou plus de désastre français.

          Malgré la perte financière suscitée par ce magnifique jouet, les projets d’extension ne manquent pas pour des lignes qui seront inévitablement des foyers de perte; les faux motifs habituels sont invoqués dont la satisfaction personnelle des politiques locaux. D’où le projet de TGV-Est et celui de Lyon-Turin.

          Finalement, comme je l’indique souvent, le dirigisme d’État a pour effet de satisfaire les « riches » c’est-à-dire dans le cas particulier ceux qui peuvent prendre le TGV et de ruiner les pauvres qui le sont, en particulier, à cause des impôts générés par les monstres économiques du type SNCF.

          Il est évident que, si l'instauration des TGV s'était passée dans la liberté, il y aurait eu bien moins de TGV, lesquels seraient rentables et simplement utilisés par des personnes fortunées ou par des hommes d'affaires pressés.

          Pour bien comprendre l’effet de pauvreté, terminons par deux faits.

          D’abord les grèves. Les chefs syndicalistes qui dirigent la SNCF, avec la complicité objective des dirigeants officiels de la firme et des gouvernements de tous ordres, infligent au peuple français une véritable punition par les grèves à répétition, ceci pour maintenir les avantages financiers insupportables du personnel. Or ces grèves pèsent principalement sur les banlieues, soit peut-être 10 millions de personnes, les voyageurs du TGV en souffrant à un bien moindre degré.

          Ensuite, les retards. Dans un contexte de faillite permanente, tous les moyens sont concentrés sur les TGV. Il en résulte que les autres lignes, dont principalement celles des banlieues, souffrent gravement d’une incertitude totale sur les heures de train: c’est la fantaisie permanente.

          La vie quotidienne d’environ dix millions de personnes est littéralement massacrée par ces deux pratiques.

          C’est pour cela qu’il est légitime d’écrire que, lorsque l’on prend avec plaisir le TGV, l’on roule sur la paupérisation des Français.
 

 

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