Toutes les
entreprises capitalistes cherchent à maximiser leur profit
autant que faire se peut et compte tenu du contexte légal et
socio-économique dans lequel elles évoluent. Il est possible
que tout ne soit pas très « fair play » dans la manière dont
les compagnies pétrolières gagnent leur argent et ce dans la
mesure où elles doivent inévitablement composer avec nombre
de puissances publiques (peu recommandables) dont l’or noir
est la chasse gardée. Il n’en reste pas moins que pour
l’essentiel, c’est à leur capacité technologique qu’elles
doivent leurs permis d’extraction et à l’explosion de la
demande mondiale qu’elles doivent le renchérissement du
produit qu’elles commercialisent.
À partir de là et parce
que la maximisation du profit est le carburant d’un
capitalisme auquel les peuples d’Occident doivent leur
niveau de vie extraordinairement élevé, faire état de
bénéfices importants est d’autant plus légitime que, pour le
cas qui nous occupe, les compagnies pétrolières assument des
risques d’exploitation considérables (risques géologiques,
économiques et, last but not least, géopolitiques)
sur un marché beaucoup plus concurrentiel que généralement
postulé (du fait de la percée d’entreprises originaires des
pays émergents).
Alors, taxer pour quoi?
Parce que le profit est indécent et que l’impôt a, dans
notre pays, une fonction morale, quasi rédemptrice, à
laquelle les sociétés pétrolières pas plus que tout autre
contribuable ne sauraient échapper, soit. Parce que les
multinationales sont le symbole ostentatoire d’un
capitalisme abject, re-soit. Mais encore? Parce que le prix
de l’essence à la pompe a augmenté ces dernières années dans
des proportions considérables (c’est vrai) et, a-t-on cru
comprendre, parce que la « surtaxe » aurait eu pour fonction toute
théorique d’alléger la facture du consommateur (on ne sait
comment), à une époque où les Français semblent las de
l’érosion apparente – et au vrai, crédible – de leur pouvoir
d’achat. Cet argument est doublement intéressant.
En premier lieu, il
occulte allègrement le fait que le prix d’un litre d’essence, en
France, est lui-même composé à 75% de taxes (TIPP + TVA).
Curieusement, nos députés n’ont pas proposé de les baisser…
En second lieu, la hausse du prix du baril est un signal on
ne peut plus crédible de la raréfaction du pétrole. Ce
dernier étant une énergie dont dépendent des pans entiers de
nos économies mais dont, en contrepartie, le caractère
fossile (ressource épuisable) et la pollution qu’induit son
utilisation ne sont pas sans inconvénients, la hausse de son
prix indique aux acteurs économiques la marche économique à
suivre le concernant, qu’il s’agisse d’exploration,
d’exploitation ou d’investissement dans les énergies
substituables.
Et c’est précisément ce à
quoi servent les profits pétroliers, qu’ils soient affectés
à l’autofinancement des firmes ou bien redistribués aux
actionnaires – un reproche fréquemment adressé à leur
endroit – qui eux-mêmes, les réinvestiront dans des secteurs
porteurs (parmi lesquels le secteur de l’énergie). De la
sorte, « distordre » le prix du pétrole en le diminuant
artificiellement, c’est fiscalement absurde (on taxe d’un
côté tout en subventionnant de l’autre), écologiquement
douteux (les écologistes sont généralement ravis de
l’augmentation du prix du brut, qui leur permet de renouer
avec les mêmes prédictions apocalyptiques dont ils nous ont
déjà gratifiés il y a 35 ans), économiquement aberrant
(l’information contenue dans le prix est artificiellement
« brouillée ») et financièrement irrationnel (l’État n’est
pas un investisseur plus clairvoyant que les actionnaires
privés).
L’idée selon laquelle
l’argent public est de meilleure qualité que l’argent privé,
l’impôt préférable au profit, « l’intérêt général »
supérieur à l’agrégation des intérêts privés, n’est fondée
sur rien d’autre qu’une illusion d’optique et un
raisonnement tronqué. La surtaxation des profits pétroliers
est une solution opportuniste à un problème artificiel, dont
le court-termisme démagogique est patent. Et elle est aussi profondément injuste.
Une renationalisation
souterraine du secteur pétrolier? |
Si l’on en croit la théorie fiscale, l’imposition des
sociétés commerciales induit que l’État soit assimilable à
une sorte d’actionnaire virtuel, fondé à réclamer pour
lui-même une part du revenu net de l’entreprise, le reste
revenant légitimement à ses propriétaires (les actionnaires
dans le cas des sociétés anonymes). En termes plus clairs,
l’impôt sur les bénéfices est toujours assimilable à une
expropriation. Augmenter son taux ou son assiette, c’est
aggraver l’intensité de cette expropriation.
Or, l’État français a
longtemps été l’actionnaire effectif d’entreprises de
secteurs divers, entre autres le secteur pétrolier. À ce
titre, et à condition que les sociétés dont il avait le
contrôle fissent des bénéfices, il était légalement fondé à
en accaparer les revenus. Le fait que, durant la décennie
1990, l’État ait cédé à des actionnaires privés les actions
qu’il détenait dans quantité de sociétés – ce qu’on a appelé
les dénationalisations – implique ipso facto qu’il
lui faille renoncer à toute prétention aux dividendes.
Sinon, que par le biais de l’impôt sur les sociétés, il lui
est tout à fait loisible de se rattraper!
Aussi la « surtaxation
des profits pétroliers » (ou la taxation des
« surprofits »…) constitue-t-elle une renationalisation
rampante (partielle) du secteur considéré. Et ce au
détriment de milliers – voire de millions – d’actionnaires
individuels, au demeurant plus ou moins fortunés auxquels,
jadis, l’État céda ses actions. Sauf à se laisser abuser par
la mythologie démocratique, cela porte un nom: la
spoliation.
En nature, une telle
mesure n’a strictement rien à envier aux politiques de
renationalisation dont un certain nombre de despotes
sud-américains particulièrement éclairés – l’inénarrable
président vénézuélien Chavez en tête – se sont fait les
chantres, ces dernières années. En degré, bien sûr, la
pilule de la renationalisation par l’impôt est moins amère
que celle d’une expropriation pure et simple. Mais tout de
même, le modèle politique dont ce genre d’idées procède
mérite d’être signalé.
Qu’une majorité – voire
une écrasante majorité – de citoyens, ici comme en Amérique
du Sud y soit éventuellement favorable ne change strictement
rien à la manière dont une telle mesure doit être qualifiée.
Lorsque les intérêts d’une majorité commandent de fouler au
pied ceux d’une minorité, cela ne s’appelle plus
« démocratie » mais « lynchage ». Du moins quand on appelle
un chat un chat.
Il faut rendre justice à
notre ministre de l’Économie et des Finances d’avoir résisté
aux injonctions parlementaires lui commandant de
s’abandonner à pareille lubie. Peut-être, d’ailleurs, cette
proposition n’a-t-elle jamais eu d’autre consistance que
celle d’un effet de manche. Et s’il fallait le regretter au
fond? Car tôt ou tard et au vu de l’inexorable dérive de
notre dette publique, ne faudra-t-il pas bientôt
« surtaxer » l’ensemble des contribuables? Sans doute et
nous n’aurons pas à nous en plaindre. Car l’on ne
« surtaxe » que les gens qui gagnent trop d’argent…
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