Murray Rothbard,
fervent défenseur d’une théorie libertarienne du droit parmi
les plus intransigeantes, avait aussi mis en exergue la
nécessité d’un contrôle de proportionnalité dans son célèbre
Ethics of Liberty(5).
Sans partager son avis sur la question de la «
privatisation » de la justice(6),
il m’est impossible de ne pas m’aligner sur lui quant à une
telle justification du rôle du juge qui est avant tout le
plus pur produit de la raison. Pour reprendre l’exemple
qu’il proposait, il est inconcevable de justifier le
commerçant qui tue un enfant de huit ans parce qu’il lui a
volé un bonbon, ou celui qui écrase avec sa voiture le
piéton qui l’a simplement insulté... À l’opposé, il paraît
plus que légitime de ne pas poursuivre la jeune femme qui a
tué le dément qui voulait la violer. C’est bien elle la
victime, et non le violeur; il est mort, et tant pis pour
lui car il s’était mis « hors du droit ».
La loi continue en
énonçant que: « N'est pas pénalement responsable la personne
qui, pour interrompre l'exécution d'un crime ou d'un délit
contre un bien, accomplit un acte de défense,
autre qu'un homicide volontaire, lorsque cet acte est
strictement nécessaire au but poursuivi dès lors que les
moyens employés sont proportionnés à la gravité de
l'infraction. » (mes italiques) Le contrôle, on le voit, est
beaucoup plus strict en ce qui concerne les atteintes à la
propriété. Mais pourquoi ce changement de régime? Pourquoi
interdire l’homicide volontaire?
En fait, cet article a
été instauré par des députés socialistes qui refusaient que
l’on puisse justifier la légitime défense du propriétaire «
bourgeois » parce que, pour nos décideurs politiques, la
propriété n’est pas une justification assez grande pour ôter
la vie à quelqu’un.
Reprenons. Si je tue
celui qui veut me tuer, je suis un héros. Mais si je tue le
cambrioleur que je trouve chez moi pour voler ce que j’ai
mis du temps à posséder, avec ce que cela suppose d’efforts,
de taxes, etc., je suis un délinquant! Et voilà le paradoxe:
comment savoir si celui qui est chez moi est un tueur ou un
voleur?
La loi permet évidemment
une présomption dans certains cas (article 122-6).
Mais le législateur ne prévoit jamais tout. Et surtout,
comment savoir si celui qui porte atteinte à mes biens
désire réaliser ce que le code incrimine comme un « crime »
ou un « délit »? Tout est cas d’espèces, et c’est au juge
qu’il doit revenir de dire si, oui ou non, la réponse est
justifiée, si elle est proportionnée. Mais cette loi de
l’État change tout puisque l’on ne peut défendre sa
propriété en donnant la mort à son agresseur.
Ainsi, dans un arrêt de
la Chambre criminelle du 26 septembre 1989, il a été jugé
qu’un homme qui tombe nez à nez sur un individu armé, le
repousse, rentre chez lui « mais qui au lieu de se
barricader en appelant les services de police, prend un
fusil, le charge et, ressortant, tire en direction de
l’agresseur » a excédé les limites de la défense et par
conséquent, ne peut être justifié pénalement. La situation
est manifestement injuste, puisque l’honnête citoyen qui
défend son bien contre celui qui viole ses droits est
finalement sanctionné. La police n’a pas fait son travail,
c’est notre agressé qui fait sa propre autodéfense mais il
n’en a pas le droit, car c’est, pour le juge, à la seule
police qu’est concédé le monopole de la violence légitime.
Inouï, non?
En fait, il n’y a rien de
choquant quand on y pense. C’est juste l’application par un
fonctionnaire de la justice d’une loi de l’État, vous savez,
ce représentant de « l’intérêt général » à qui on paie des
impôts, et qui a monopolisé le droit.
Mais revenons à ce procès plus récent.
Imaginez la scène. Nogent, une ville tranquille
d’Ile-de-France, près de Paris, au petit matin. Un
quinquagénaire, cadre commercial, se trouve tranquillement
avec sa femme dans son appartement. On sonne. Évidemment
sans méfiance, notre homme ouvre la porte de sa demeure et
voit arriver trois délinquants cagoulés, l’un d’eux étant
armé. Pendant que ses deux acolytes s’en prennent à l’épouse
qui sort de la salle de bains, le malfrat demande à notre
homme son argent.
Profitant d’un moment où
son gardien détourne les yeux, le quinquagénaire saute sur
l’arme (calibre 357 Magnum) et, dans la lutte, tire un coup
de feu en l’air. Les deux autres délinquants – des individus
de sexe masculin, majeurs, de nationalité étrangère et en
plus déjà recherchés par la police pour d’autres crimes –
pris de panique, s’enfuient et laissent leur dernier
comparse sur place. Après s’être occupé de l’état de santé
de sa femme, notre homme aperçoit son dernier agresseur,
resté à l’entrée de l’appartement; il lui tire dessus avant
qu’il n’ait le temps de s’enfuir, et, cette fois, il le tue(7).
Bien sûr, l’enquête n’a
pas encore déterminé si, oui ou non, les faits relatés sont
exacts. Mais une chose est sûre: pour le libéral, cet homme,
si ce qui est dit est vrai, n’est pas coupable. Ce n’est pas
comme s’il avait poursuivi jusque dans la rue, et avec sa
mitraillette personnelle, des mineurs qui l’avaient insulté,
non, il est resté chez lui et a défendu sa propriété et son
épouse, en retournant l’arme qui était braquée contre lui
sur ses agresseurs. Était-ce là une réaction «
disproportionnée »? Je ne le pense pas. Qui n’aurait agit de
manière semblable envers celui qui menace sa femme?
Cet homme est aujourd’hui
mis en examen pour homicide volontaire. Je dis bien «
volontaire », ce qui me semble assez étonnant au regard des
faits. Mais c’est ainsi: les juges ont considéré que
l’agresseur étant en train de s’enfuir, notre quinquagénaire
aurait dû appeler la police plutôt que de chercher à « faire
justice » lui-même. Avec l’arme qui aurait pu risquer de le
tuer…
L’État va le faire passer
en justice. Je rappelle que la France est un de ces pays où
l’autodéfense est perçue avec méfiance, et la vente d’armes
strictement encadrée (ce qui n’empêche pas les criminels
d’être armés). Que c’est également le pays où certaines
banlieues sont devenues de véritables zones de non-droit, et
où la police n’ose même plus mettre les pieds (témoin les
récentes « émeutes urbaines » de 2005).
En fait, cette affaire
n’a rien d’exceptionnel. Ce n’est pas la première fois qu’un
individu défend sa propriété et sa vie contre une agression
injuste. Mais ce qui semble terrifiant, c’est que du fait de
la loi d’État précitée, il risque d’aller en prison ou, dans
le meilleur des cas, d’écoper d’une peine avec sursis pour
homicide involontaire (si ses avocats arrivent à attendrir
le ministère public). Cela semble difficile: pour le
ministre de la Justice, une telle affaire (même pas jugée!)
semble exclue des dispositions précitées de l’article 122-5
du Code pénal... et pour les raisons que j’ai déjà évoquées:
il s’agissait de voleurs, pas d’assassins; la réponse n’a
pas été immédiate; la victime n’a pas appelé la police; elle
a tiré sans faire les sommations d’usage, etc.
Le pire est évidemment
que si notre commerçant s’était laissé abattre sans réagir
pendant que l’on violait sa femme, il aurait sans nul doute
été un véritable martyr,
toute la classe politique se serait indignée
d’une telle horreur, et serait allée à son enterrement.
Je pourrais multiplier
les exemples (ainsi, en Suisse, un homme a été condamné il y
a quelques années pour avoir… repoussé l’échelle du voleur
qui tentait de s’introduire chez lui) mais voici ce que je voulais démontrer:
il ne faut jamais faire
totalement confiance à l’État, même là où l’on s’y
attend le moins. Pensez à ce que vous auriez fait dans une
telle situation. Imaginez le stress de l’homme qui est
attaqué: arrivera-t-il à prendre l’arme de son agresseur? Et
que se serait-il passé si l’autre avait senti venir le coup,
et avait tiré sur lui? Si l’un des agresseurs s’était mis à
violer sa femme? Non, pour l’État, l’être normalement
constitué pense d’abord à respecter une loi (injuste) et à
appeler les forces de l’ordre… et pas à sauver sa vie,
l’égoïste.
Voilà ce que nous promet
l’État, qui est pourtant incapable de défendre les citoyens:
mettre en état d’arrestation les citoyens qui se défendent.
Avec l’argent de nos impôts, on pouvait naïvement croire que
la sécurité nous serait au moins garantie. La preuve que
non.
Le libéralisme est, plus
que jamais, une affaire de vigilance individuelle.
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