Le krach boursier n’était
que le reflet – et non la cause directe – des mesures étatiques
destructrices qui produisirent en fin de compte la Grande Dépression: le marché grimpait et chutait au diapason presque
parfait des agissements de la Réserve fédérale et du Congrès. Et ce
qu’ils firent dans les années 1930 mérite une place de choix dans le
palmarès des plus grandes sottises de l’histoire.
Dis l’ami, pourrais-tu me prêter 20 millions de dollars?
Le jeudi noir ébranla le
Michigan plus que la plupart des États. Les actions des compagnies
automobiles et minières s’effondrèrent. La production d’automobiles
atteint un sommet jamais vu en 1929, un peu plus de cinq millions de
véhicules, puis fut rapidement réduite de deux millions en 1930. En
1932, le moment le plus difficile de la Dépression, la production
avait chuté d’un autre deux millions de véhicules et se trouvait
désormais à 1 331 860, une diminution incroyable de 75% depuis le
sommet de 1929.
Des milliers
d’investisseurs, incluant plusieurs personnes renommées, subirent un
coup dur au moment du krach de 1929. Parmi ceux-ci se trouvait
Winston Churchill, qui avait grandement investi dans des actions
américaines avant le krach. Après coup, seuls ses talents d’écrivain
et ses postes au gouvernement lui permirent de rétablir ses
finances.
Clarence Birdseye, un des
pionniers du secteur des aliments surgelés emballés, avait vendu son
entreprise pour 30 millions de dollars et avait investi tout son
argent dans des actions. Il fut balayé de la carte.
William C. Durant,
fondateur de General Motors, perdit plus de 40 millions de dollars à
la bourse et finit pratiquement en indigent (la compagnie GM
elle-même réussit à éviter de tomber dans le rouge pendant toute la
Dépression grâce à la gestion serrée de Alfred P. Sloan).
Phase II – L’effondrement de l’économie
mondiale |
Même si le mythe moderne prétend que le libre marché s’est « autodétruit » en 1929, les politiques étatiques furent les
principales responsables du gâchis. Si ce krach s’était déroulé
comme les précédents, les temps difficiles se seraient terminés en
deux ou trois ans tout au plus, et probablement plus rapidement que
cela. Mais une incompétence politique sans précédent prolongea la
misère pendant plus de dix ans.
En 1930, le taux de
chômage se situait en moyenne à 8,9%, un taux indiquant une
récession modérée, comparativement à 3,2% en 1929. Il explosa
rapidement avant de plafonner à plus de 25% en 1933. Jusqu’en mars
1933, ces années furent celles du président Herbert Hoover – un
homme souvent dépeint comme étant un chantre du
non-interventionnisme et du laissez-faire économique.
« L’administration la plus dépensière de toute l’histoire »
Est-ce que Hoover
souscrivait réellement à une philosophie de libre marché prônant que
le gouvernement devrait rester à l'écart de l’économie? Son
adversaire aux élections de 1932, Franklin Delano Roosevelt, ne le
pensait pas. Pendant la campagne électorale, Roosevelt fustigea
Hoover pour avoir trop dépensé et trop taxé, pour avoir fait
exploser la dette nationale, pour avoir étouffé le commerce et pour
avoir mis au chômage des millions de citoyens. Il accusa le
président d’avoir engagé des dépenses « téméraires et extravagantes », d’avoir pensé « qu’il fallait centraliser le contrôle de toute
activité à Washington le plus rapidement possible » et d’avoir
supervisé « l’administration la plus dépensière en temps de paix de
toute l’histoire ». Le candidat à la vice-présidence de Roosevelt,
John Nance Garner, accusa Hoover d’être en train de « conduire le
pays sur le chemin du
socialisme »(8). Contrairement au portrait
habituel que l’on fait de Hoover, Roosevelt et Garner avaient
absolument raison.
L’erreur la plus stupide
de l’administration Hoover fut le Smoot-Hawley Act, adopté en
juin 1930. Il s’ajouta au Fordney-McCumber Act de 1922, qui
avait déjà fait dégringoler l’agriculture américaine pendant la
décennie précédente. Le Smoot-Hawley Act, la législation la
plus protectionniste de l’histoire américaine, ferma pratiquement
les frontières aux biens étrangers et déclencha une cruelle guerre
commerciale internationale. Le professeur Barry Poulson explique la
portée de cette loi:
La loi augmenta les tarifs douaniers sur la panoplie complète de
marchandises taxables; par exemple, le taux moyen augmenta
de 20% à 34% sur les produits agricoles; de 36% à 47% sur
les vins, spiritueux et boissons; de 50% à 60% sur la laine
et sur les articles laineux manufacturés. En tout, 887
tarifs furent soudainement augmentés et la loi allongeait la
liste de marchandises taxables à 3218 articles. Une
caractéristique importante du Smoot-Hawley Act était
qu’il fixait plusieurs tarifs à un montant d’argent
spécifique plutôt qu’à un pourcentage du prix. Alors que les
prix baissaient de moitié ou même plus pendant la Grande
Dépression, le taux effectif de ces tarifs doubla,
augmentant la protection accordée en vertu de la loi(9). |
La portée du Smoot-Hawley Act était très étendue, se
répercutant sur une multitude de produits. Avant sa mise en vigueur,
les horloges subissaient un tarif de 45%. La loi augmenta le tarif à
55% en plus d’un autre 4,50 $ par horloge. Les tarifs sur le blé et
le beurre doublèrent. Même la choucroute devint taxable pour la
première fois. Parmi les rares biens hors taxe, on retrouvait
étrangement les sangsues et les squelettes (peut-être un pot-de-vin
politique à l’American Medical Association, comme le fit remarquer
sarcastiquement un farceur).
Les tarifs douaniers sur l’huile de
lin, le tungstène et la caséine assommèrent l’industrie de la
peinture, de l’acier et du papier, respectivement. Le Smoot-Hawley
Act taxait plus de 800 articles utilisés dans la production
d’automobiles. La plupart des 60 000 employés qui fabriquaient des
vêtements abordables dans des usines américaines à partir de
chiffons de laine importés retournèrent chez eux sans emploi lorsque
le tarif sur les chiffons de laine augmenta de 140%(10).
Les représentants de
l’administration et du Congrès croyaient que renforcer les barrières
commerciales forcerait les Américains à acheter plus de biens
locaux, ce qui résoudrait le problème accablant du chômage. Ils
ignoraient toutefois un important principe du commerce
international: le commerce est une route à deux voies; si les
étrangers ne peuvent vendre leurs biens ici, alors ils ne pourront
gagner les dollars dont ils ont besoin pour acheter ici. Ou, pour le
présenter autrement, l’État ne peut couper les importations sans
couper simultanément les exportations.
Tu me taxes, je te taxe
Les compagnies étrangères
et leurs travailleurs furent écrasés par les tarifs exorbitants mis
en vigueur par le Smoot-Hawley Act et les États étrangers
eurent tôt fait de se venger avec leurs propres barrières
commerciales. Leur capacité de vendre dans le marché américain étant
gravement entravée, ces compagnies restreignirent leurs achats de
biens américains. L’agriculture américaine fut atteinte
particulièrement durement. D’un trait de plume présidentielle, les
fermiers du pays perdirent près du tiers de leur marché. Les prix
des produits agricoles plongèrent et des dizaines de milliers de
fermiers furent acculés à la faillite. Un boisseau de blé, qui se
vendait un dollar en 1929, ne valait plus que trente cents en 1932.
Suite à l’effondrement de
l’agriculture, les banques rurales firent faillite en nombre record,
entraînant dans leur chute des centaines de milliers de leurs
clients. Neuf mille banques fermèrent leurs portes aux États-Unis
entre 1930 et 1933. Le marché boursier, qui avait regagné une bonne
partie du terrain perdu depuis le mois d’octobre précédent,
dégringola de 20 points le jour où Hoover signa le Smoot-Hawley
Act, et chuta presque sans répit pendant les deux années
suivantes. (Le point culminant du marché boursier, tel que mesuré par
l’indice Dow Jones, fut fixé au 3 septembre 1929, à 381. L’indice
atteignit son seuil le plus bas de 1929 le 13 novembre, à 198, puis
rebondit jusqu’à 294 en avril 1930. Il déclina encore alors que le
projet de loi sur les tarifs douaniers trouvait son chemin jusqu’au bureau de
Hoover en juin et ne toucha pas le fond du baril avant d’atteindre
un simple 41 deux ans plus tard. Il fallut attendre un quart de
siècle pour que le Dow Jones atteigne de nouveau le seuil de 381). |
|
Le président Herbert Hoover est erronément
présenté comme un ardent défenseur du
libre marché dans les manuels d'histoire,
mais il a tellement approuvé de lois
coûteuses et absurdes qu’un des principaux
conseillers de Franklin Roosevelt a affirmé
par la suite que «pratiquement la totalité
du New Deal a été extrapolée à partir de
programmes mis en place par Hoover». |
La rétraction du commerce
mondial provoquée par les guerres tarifaires contribua à préparer le
terrain pour la Deuxième Guerre mondiale quelques années plus tard.
En 1929, le reste du monde devait 30 milliards de dollars aux
citoyens américains. En Allemagne, la République de Weimar peinait à
rembourser l’énorme facture de reconstruction imposée par le
désastreux Traité de Versailles. Quand les tarifs douaniers empêchèrent
presque totalement les entrepreneurs étrangers de vendre leurs biens
sur le marché américain, le poids de leurs dettes devint
radicalement plus lourd à porter et enhardit des démagogues comme
Adolf Hitler. Comme le rappelle cette mise en garde, cruelle de
vérité, attribuée à Frédéric Bastiat: « si les marchandises ne
traversent pas les frontières, les soldats le feront ».
Des marchés libres ou des repas gratuits?
Le Smoot-Hawley Act
en soi devrait suffire à détruire le mythe voulant que Hoover était
un défenseur du libre marché, mais l’histoire des erreurs
interventionnistes de son administration ne s’arrête pas là. Moins
d’un mois après le krach boursier, il convoqua des rencontres avec les dirigeants du monde des affaires afin de faire pression
sur eux pour que
les salaires restent artificiellement élevés même si les profits et
les prix diminuaient. Les prix à la consommation chutèrent de près
de 25% entre 1929 et 1933 alors que les salaires nominaux ne
baissèrent que de 15% en moyenne – ce qui se traduisit en une hausse
substantielle des salaires réels, qui sont une partie importante du
coût de faire des affaires. Comme le remarque l’économiste Richard Ebeling: « la politique de “salaires élevés” de l’administration
Hoover et des syndicats […] réussit seulement à éjecter les
travailleurs hors du marché du travail, générant une spirale
grandissante de chômage »(11).
Hoover augmenta
radicalement les dépenses gouvernementales consacrées aux programmes
de subvention et d’assistance. En l’espace d’une seule année, de
1930 à 1931, les dépenses publiques fédérales en proportion du PIB
s’envolèrent de 16,4% à 21,5%(12). L’organisme bureaucratique de
Hoover qui s’occupait de l’agriculture distribua des centaines de
millions de dollars aux fermiers produisant du blé et du coton
lorsque les nouveaux tarifs douaniers balayèrent leurs marchés de la carte. Sa
Société pour le financement de la reconstruction prodigua à foison des milliards
de plus en subventions aux entreprises. Rexford Guy Tugwell, un des
architectes des politiques de Franklin Roosevelt dans les années
1930, observa quelques décennies plus tard à propos
de l’administration Hoover: « Nous ne voulions pas l’admettre à
l’époque, mais pratiquement la totalité du New Deal a été
extrapolée à partir de programmes mis en place par Hoover »(13).
Même si au début de son
mandat Hoover diminua les impôts des Américains les
plus pauvres, Larry Schweikart et Michael
Allen soulignent dans leur ambitieux ouvrage
A Patriot’s History of the United States: From Columbus’s Great
Discovery to the War on Terror qu’il
« n’offrit aucune incitation aux gens riches
à investir dans de nouvelles usines pour
encourager l’embauche ». Il imposa même
une taxe sur les
chèques, « ce qui rendit la monnaie
encore plus difficile à obtenir en pénalisant
les gens qui utilisaient des chèques »(14).
En septembre 1931, alors
que la masse monétaire dégringolait et que l’économie chancelait
sous l'effet du Smooth-Hawley Act, la Réserve fédérale imposa
la hausse du taux d’escompte la plus forte de son histoire. Les dépôts
bancaires chutèrent de 15% en quatre mois et des reculs considérables de la masse monétaire persistèrent
pendant la première moitié de l’année 1932, entraînant des effets
déflationnistes sur l'économie.
Aggravant les
erreurs que sont des tarifs élevés, des subventions
énormes et une politique monétaire déflationniste,
le Congrès vota alors le Revenue Act of 1932, qui
fut signé par Hoover. Cette loi mit en vigueur la
hausse d’impôts la plus imposante de l’histoire en
temps de paix: elle
doubla l’impôt sur le revenu. En fait, la
tranche d’imposition supérieure fit plus que
doubler, passant de 24% à 63%. Les exemptions furent
réduites, le crédit d’impôt sur le revenu salarial fut
aboli, les impôts successoraux sur les entreprises furent
haussés, de nouvelles taxes sur les cadeaux,
l’essence et les voitures furent prélevées et les
tarifs postaux furent brusquement augmentés.
Un universitaire
compétent peut-il réellement constater
l’intervention économique massive de
l’administration Hoover et affirmer, en gardant un
air sérieux, que ses conséquences inévitablement
délétères sont la faute du libre marché?
Schweikart et Allen donnent un aperçu du désastre:
En 1933, les résultats de cette comédie d’erreurs
dépassaient l'entendement: le taux de chômage national atteignit
les 25%, mais dans certaines villes, les statistiques
semblaient incompréhensibles. Cleveland annonçait que 50% de
sa population active était au chômage, Toledo rapportait un
taux de 80% et certains États rapportaient même une moyenne
de 40%. À cause de l’arme à double tranchant que sont des
revenus en déclin et des demandes d’aide sociale
multipliées, le fardeau reposant sur les villes poussa
plusieurs municipalités au bord du précipice. On ferma les
écoles de New York et on fut incapable de payer quelque 20 millions de
dollars aux enseignants de Chicago. Plusieurs écoles privées
durent fermer leurs portes. Une étude
gouvernementale rapporta qu’en 1933, 1500 collèges avaient été
acculés à la faillite et que les ventes de livres avaient plongé. Le
réseau de bibliothèques de Chicago n’acheta pas un seul
livre pendant une année(15).
|
|