Montréal, 14 janvier 2007 • No 208

 

OPINION

 

 Serge Rouleau est éditeur du Magazine nagg.

 
 

L’ÉTATISATION DE LA SOLIDARITÉ,
UN NON-SENS

 

par Serge Rouleau

 

          Les libertariens préconisent la solidarité volontaire et favorisent la responsabilisation des individus. Ils s’opposent donc à l’État-providence qui sous le couvert d’intentions louables infantilise la population. Il n’en faut pas plus pour que les adeptes de l’interventionnisme, détenteurs autoproclamés de la bonne morale, les accusent de tous les péchés.

 

          Les interventionnistes soutiennent que sans la générosité de l’État, les plus démunis seront laissés à eux-mêmes. Mais, la vrai question est: sont-ils moins vulnérables lorsque confié au bon vouloir de la bureaucratie étatique?

          Indépendamment du modèle de société, l’État-providence ou le libre marché, les pauvres dépendront nécessairement de quelqu’un pour leur garantir le minimum vital. Alors, la vraie question est: voulons-nous que les pauvres soient laissés à la merci de l’État; un État qui impose, à tous et par la force, sa propre définition du niveau d’aide requis pour les uns et du niveau de contribution nécessaire pour les autres? Il serait grandement préférable de laisser aux individus le choix de décider comment ils vont aider leurs concitoyens moins favorisés.

          Les monopoles d’État gèrent l’offre. La gestion de l’offre implique nécessairement que la demande excède la disponibilité. De plus, malgré les discours rassurants des politiciens, les règles imposées aux fonctionnaires les obligent à gérer la croissance et la pérennité du système au détriment des prestataires de service. Ainsi, il y aura des listes d’attente et des services de qualité variables dont l’ampleur sera proportionnelle aux aléas des allocations budgétaires et à la rigidité des règlements. Dans un tel environnement, les plus démunis sont systématiquement défavorisés. Ils n’ont ni les moyens financiers ni la débrouillardise nécessaire pour s’imposer et obtenir leur dû.

          Au contraire, l’économie de marché gère la demande. Dans ce système, les clients décident individuellement du niveau et de la qualité des services qu’ils désirent. Le marché, composé de multiples fournisseurs en compétition pour acquérir leur patronage, s’ajuste rapidement à leurs besoins. Dans la mesure où la société fournit aux plus démunis les moyens financiers nécessaires, ceux-ci recevront en quantité et en qualité les services qu’ils désirent.

          Je ne remets pas en question le besoin d’être solidaire et d’aider nos concitoyens moins choyés. Je questionne seulement le meilleur moyen d’y arriver. Je propose de substituer un système basé sur le volontarisme et l’entrepreneuriat pour remplacer un système dépendant de la bonne volonté des politiciens et des bureaucrates.
 

Solidarité et individualisme

          J’entends déjà les protagonistes de l’étatisme, ceux dont la profession semble être de dicter aux autres ce qui est bien ou mal, soutenir que l’individu est naturellement égoïste. Ainsi, laisser la solidarité au bon vouloir des individus vouera les pauvres à la pire des déchéances. Cet argument ne tient pas la route.

          Si les gens sont trop égoïstes pour contribuer volontairement au mieux-être de leurs concitoyens, alors pourquoi croit-on qu’un programme gouvernemental résoudra ce problème? Le gouvernement et sa bureaucratie sont composés d’individus ayant pour mandat d’appliquer les lois. Lorsque la solidarité devient une affaire de droit alors, ce sont les politiciens qui définissent les règles du jeu et les bureaucrates qui les appliquent. De plus, le gouvernement est le seul organisme qui peut utiliser la force pour exproprier les biens des uns et les redistribuer aux autres selon les règles que les politiciens ont établies au nom de l’ensemble de la société. Il est évident que dans un tel système, les individus les plus égoïstes se retrouveront systématiquement au gouvernement. C’est là que le ratio effort/pouvoir est le plus avantageux.

          De plus, les gens égoïstes ne militent pas en faveur d’une société libérale. Il est plus simple pour eux de voter en faveur du candidat qui promet de les favoriser même si c’est au détriment de l’ensemble de la société. C’est ce qui explique la présence, toujours plus envahissante, des nombreux groupes de pression. Les groupes les plus influents obtiendront la plus grande part du gâteau. Dans un système socialisant où la solidarité est imposée par la loi, les plus démunis et la classe moyenne sont les grands perdants. Au-delà des discours, les premiers sont oubliés et les derniers paient les factures.
 

Solidarité et morale

          Un autre argument souvent utilisé pour imposer la solidarité est celui des valeurs morales. En théorie, la loi reflète les valeurs de la société dans laquelle nous vivons. Le traitement réservé aux plus démunis est donc le reflet du degré d’humanité de notre société.
 

« Pourquoi faudrait-il que la solidarité soit imposée par le gouvernement? La générosité a un caractère vertueux précisément parce qu’elle est gratuite et offerte sans condition. Si la générosité est imposée par la force, ce n’est plus de la générosité. »


          Bien que ces énoncés soient vrais, pourquoi faudrait-il que la solidarité soit imposée par le gouvernement? La générosité a un caractère vertueux précisément parce qu’elle est gratuite et offerte sans condition. Si la générosité est imposée par la force, ce n’est plus de la générosité. De prétendre que la générosité puisse être imposée par le gouvernement est un non-sens. Si Jean vole 100 $ à Jacques et remet 75 $ à l’organisation caritative de son choix, peut-on conclure que Jean est généreux? Il est trop facile d’être généreux avec l’argent des autres.

         En nationalisant le processus de solidarité, le gouvernement facilite surtout la tâche de ceux qui désirent faire la charité avec l’argent des autres. Ainsi, ils n’ont pas à voler leurs voisins à leurs risques et périls. Il est beaucoup plus simple pour eux de voter pour le candidat qui leur promet de légiférer en fonction de leurs désirs.

La vraie solidarité

          La solidarité, préconisée par les libertariens, basée sur des échanges volontaires entre les individus, existe-t-elle vraiment? Certainement, le centre Assistance d’Enfants en Difficulté (AED) du Dr. Gilles Julien en est le plus bel exemple.

          Tous les jours, psycho-éducateurs, art-thérapeutes, aides familiaux, « grands frères », « grandes soeurs » et bénévoles y poursuivent un même objectif: donner aux enfants les moyens de se bâtir un avenir et de garder espoir.

          Un immense défi dans un milieu où la pauvreté est chronique. Dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, 51% des familles sont monoparentales, et le taux de grossesses chez les 14-17 ans atteint 64 pour 1000 contre 27,5 dans le reste de l’île de Montréal. « De tous les enfants pris en charge par l’AED, constate le Dr. Julien, 5% à peine ont des parents qui ne sont pas sur le B.S. »

          Ces statistiques désolantes cachent un formidable réseau d’entraide. Ainsi, la maison qui abrite l’AED a été prêtée pour 10 ans par un propriétaire du quartier qui « voulait faire sa part ». Il l’a d’ailleurs totalement rénovée avant de la remettre au Dr. Julien. Voyons, est-ce possible qu’un propriétaire fasse preuve d’autant de générosité!? Pourtant, le Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), organisme jouissant d’une subvention de 278 743$, dénonce les propriétaires sans coeur qui ne pensent qu’à faire plus d’argent.

          Le Dr. Gilles Julien voulait un lieu où tout serait décidé dans le but unique de satisfaire les besoins des enfants. Donc, pas question de laisser entrer les monstres de la solidarité institutionnelle dans son centre. Quand il ouvre sa clinique dans Hochelaga-Maisonneuve, les intervenants du Centre local de service communautaire (CLSC) du quartier le cataloguent d’hurluberlu. La Direction de la protection de la jeunesse constate qu’il a un parti pris en faveur du bien-être des enfants et s’inquiète. Pourquoi les bureaucrates de la DPJ, du CLSC et autres organismes bienveillants se sentent-ils menacés? La vraie solidarité menace-t-elle leur confort de fonctionnaires?

          Le Dr. Julien sait d’expérience que le soutien financier de l’État serait assujetti à toutes sortes de contraintes qui l’empêcheraient de faire son travail. Une partie trop importante de son temps devrait être consacrée aux tracasseries bureaucratiques. Son travail serait assujetti aux critères imposés par des fonctionnaires dont la priorité est de satisfaire les besoins du ministère plutôt que ceux des enfants. (Voir le film Les enfants de la DPJ).

          Le Dr. Julien, comme tout entrepreneur qui croit en son projet, trouve des sources de financement privées. En plus de faire appel à la générosité des Québécois (guignolées, cyclothon, etc.), il frappe à la porte de la Fondation Lucie et André Chagnon. André Chagnon, un entrepreneur qui a fait fortune dans la câblodistribution, dédit son temps et son argent à l’amélioration de l’éducation et de la santé des Québécois. Le projet du Dr. Julien cadre parfaitement dans la mission de sa fondation.

          Grâce aux efforts combinés d’un entrepreneur social et d’un entrepreneur financier, le projet du Dr. Julien fait maintenant école tant au Québec qu’à l’étranger. Les quatre facultés de médecine du Québec (universités de Montréal, de Sherbrooke, Laval et McGill) utilisent le centre pour former les futurs médecins à une pédiatrie sociale centrée sur les besoins de l’enfant dans son milieu de vie.
 

Conclusion

          Au Québec, ce n’est que depuis quelques dizaines d’année que la solidarité sociale a été monopolisée par l’État. Malheureusement, cette situation a permis aux politiciens et aux bureaucrates d’occuper tout le terrain. Cette situation a des conséquences dramatiques:
 

• Les coûts de la solidarité s’emballent, mais les services se détériorent et le niveau de pauvreté stagne ou empire. L’argent des subventions sert à payer des salaires et des infrastructures pour fournir des services trop souvent mal adaptés aux besoins de la clientèle visée;
• La solidarité institutionnelle crée une fissure sociale. Les Québécois se divisent en deux groupes: ceux qui paient et ceux qui reçoivent. Cette situation favorise les dénonciations et l’affrontement au détriment de l’entraide;
• L’État s’étant substitué à l’individu, celui-ci se déresponsabilise. Il ne perçoit pas la nécessité d’aider ses concitoyens puisqu’il paie déjà l’État pour le faire. La solidarité n'a un sens que dans la mesure où les individus choisissent délibérément d’être solidaires.

          Pourtant, comme le démontre le succès du centre AED du Dr. Julien, la solidarité basée sur l’engagement des individus est autrement plus efficace que celle dépendant des institutions gouvernementales. Le centre AED est un succès incontestable, mais ce n’est pas le seul: La Maison Répit, Chez Pops, sont d’autres exemples du succès de la solidarité basée sur l’engagement des individus.

          Malheureusement, il n’est pas facile de se battre contre le monstre de la solidarité institutionnelle. Certains, comme la juge Andrée Ruffo, l’ont appris à leurs dépens. Tout projet ou comportement risquant de faire ressortir les lacunes de la solidarité institutionnelle est férocement combattu. Les fonctionnaires et les syndicats n’hésitent pas à recourir à la force pour faire entendre raison aux empêcheurs de tourner en rond. Il faut être de la trempe des héros mythiques pour persévérer devant autant d’adversité.

          Il y a des milliers de Québécois prêts à aider leurs parents, amis, voisins, concitoyens, si seulement on les encourageait au lieu de les combattre.
 

 

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