La deuxième innovation, toute aussi essentielle, a concerné
le régime alimentaire. D’abord exclusivement végétariens,
nos ancêtres pré-humains sont devenus charognards. Puis, ils
ont appris à chasser pour se nourrir de viande fraîche.
Enfin, ils ont domestiqué le feu et fait cuire leur viande.
À
chaque étape, ils ont dû aller contre leur nature ou leur
tradition en innovant de la sorte. Ou alors c’est bien la
nature créatrice, mais tellement singulière, de l’homme qui
s’exprimait déjà. En tout cas, le hasard combiné à la
nécessité, l’expérimentation combinée à la prise de risque,
ont permis ces innovations fondatrices de la civilisation
elle-même. (Imagine-t-on un animal végétarien se mettre à
manger de la viande, ou une proie devenir prédateur?)
La maîtrise du feu, l’invention du langage parlé résultant
de la maîtrise progressive de cris et de sons spontanés, la
fabrication des outils, l’invention de l’écriture qui donne
naissance à l’histoire, la découverte de la roue… tous ces
événements fondateurs et fondamentaux ont marqué cette
épopée humaine principalement basée sur l’innovation et sa
diffusion irréversible autant qu’irrépressible. Accumuler
des expériences, en tirer des enseignements, mettre cette
mémoire au service de l’évolution, telle est la nature profonde du capitalisme. Le capitalisme, c’est le système
qui nous permet d’exprimer et de profiter de ces aptitudes
innées (apprentissage, découverte, innovation) qui font
l’homme.
À ces époques si reculées à nos yeux d’hommes modernes,
l’être humain, et sans doute quelques individualités plus
entreprenantes que d’autres, se distingue des autres espèces
animales par sa soif d’apprendre qui le pousse à faire des
expériences bizarres. C’est cet apprentissage basé sur
l’expérimentation qui aboutit à l’innovation, nourrissant un
processus d’accumulation du savoir et des techniques, qui
nous vient de la nuit des temps.
Il est tout simplement délirant que certains puissent penser
maîtriser ce processus pour ensuite le stopper.
L’innovation, qui participe au processus
d’émergence progressive et séculaire du capitalisme, n’a pas
commencé à la révolution industrielle. D’ailleurs, il est
intéressant de noter que les premières législations sur les
brevets ont été pensées dès le XVe siècle. À partir du
moment où le processus d’innovation fut enclenché, il ne
s’est plus jamais interrompu. Il s’est accéléré.
Mais, s’est-il récemment accéléré? Le phénomène de
l’accélération est-il lui-même récent?
En fait, l’apprentissage s’est toujours accéléré… Avec
l’invention de l’écriture, chaque génération pouvait
transmettre, avec une plus grande efficacité, son héritage
intellectuel et culturel aux générations qui suivent. Ce fut
déjà un fabuleux coup d’accélérateur.
De milliers d’années, l’évolution technologique, économique
et sociale s’est alors déclinée en siècles. Chaque grande
civilisation (grecque, romaine, chinoise, arabe,
européenne…) a alors participé à la conservation et à
l’évolution des mathématiques et des sciences. Et les
travaux les plus récents des historiens montrent que le « Moyen
Âge » européen ne fut pas la période noire et figée
que l’on a bien longtemps voulu voir.
Le phénomène d’accélération n’est pas propre à notre époque
moderne. Il est contenu dans le processus d’apprentissage
lui-même.
Plus on sait et plus on apprend vite. C’est vrai pour
l’individu, pour l’entreprise comme pour la société. Il a
fallu des milliers d’années aux pré-humains pour devenir
véritablement humains. Avec l’écriture et les outils, les
évolutions s’accélèrent. Le pré-humain a mis des milliers
d’années à inventer le langage. Les enfants humains
apprennent à parler au bout de deux à trois années. Ainsi,
les apprentissages se transforment en acquis irréversibles,
s’inscrivant dans la culture et l’héritage génétique des
hommes.
Ce faisant, ils forment le capital humain dont les théories
modernes de la croissance ont redécouvert la contribution
essentielle et inestimable à la croissance économique et
l’évolution des sociétés.
Finalement, l’innovation n’est pas une caractéristique
propre à la société moderne ou ce que les auteurs modernes
ont désigné comme étant le capitalisme industriel, sauf à
reconsidérer une définition plus épurée, et somme toute plus
rigoureuse, du capitalisme comme désignant le mode
d’accumulation de toute forme de capital.
De ce point de vue, l’apprentissage et l’innovation
constituent les modalités de l’accumulation du capital
humain, ce dernier étant à la base de toutes les autres
formes de richesses (financières, matérielles,
intellectuelles ou culturelles).
L’innovation s’inscrit au coeur même de la nature humaine et
de son épopée, au-delà de la diversité nécessaire mais
apparente des systèmes sociaux auxquels elle aura donné
l’impulsion.
Mais l’innovation implique le capitalisme sans lequel on ne
peut accumuler aucun capital.
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