Montréal, 28 janvier 2007 • No 210

 

OPINION

 

Mathieu Bréard habite à Montréal.

 
 

LE MIRACLE TAÏWANAIS

 

par Mathieu Bréard

 

          On la reconnaît surtout pour ses paysages d’une grande beauté, ses monastères bouddhistes, ses fêtes de lanternes et les plaisirs de sa gastronomie. Taïwan, cette petite île, se dresse, bordée du pacifique et de la mer orientale de Chine. Les navigateurs portugais du XVIe lui donnaient le nom de Ilha formosa (la belle île). Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, son territoire est dévasté et les paysans vivent plutôt mal les séquelles de l’occupation japonaise. L’arrivé des nationalistes du Kuomitang, pendant la guerre civile chinoise, y apporte corruption, répression et un avenir plutôt sombre.

 

          Grâce à une détermination hors du commun, Taïwan réussira à se relever de ses cendres et à vaincre son immobilisme afin d’entamer sa marche vers la modernité. Aujourd’hui, elle est la 17e puissance économique du monde. Une démocratie dynamique et respectueuse du droit. Son marché libre et ouvert est à l’avant-garde du progrès et du savoir. Portrait d’un success story qui pourrait être une source d’inspiration pour les autres.

De fausses barrières…

          Le Professeur Hugh Macaulay de l’Université de Clemson, en Caroline du Sud, qui fut invité à la National Taiwan University de Taipei entre 1984 et 1985, affirme que l’on excuse trop souvent les déboires et le mauvais rendement économique d’un pays en pointant vers des conditions jugées défavorables voire insurmontables. Taïwan n’a pas hérité d’une situation enviable, mais a su abattre les obstacles avec intelligence.

          La géographie de cette l’île volcanique est dominée par des montagnes, des collines, et des falaises escarpées, ce qui oblige la population de plus de 23 millions d’habitants à se concentrer dans un secteur de la taille du Connecticut. Cette densité est la deuxième en importance après le Bangladesh. Si cela était la voie rapide vers la pauvreté, Taïwan serait déjà à la dérive depuis fort longtemps. Or, il n’en est rien puisque la capitale Taipei, loin d’être un bidonville, est devenue un véritable symbole de prospérité en Asie. Son développement économique a attiré une main-d'oeuvre spécialisée, des investissements étrangers, la création d’une industrie high-tech et une expertise fort recherchée en commerce international. De plus, symbole de l’ingéniosité architecturale de l'île, capable de résister aux tremblements de terre et au typhon, Taipei 101, la plus haute tour du monde, émerveille les touristes(1).

          C'est bien connu, l'aide internationale est un cercle vicieux. Nombreux sont les pays qui en dépendent au point de croire que sans une enveloppe toujours plus volumineuse, il n'y a point de salut(2). Résultat, les dettes s'accumulent et la croissance stagne. Taïwan a su faire preuve de discipline en limitant ses emprunts. Le taux d'épargne de la population demeure très élevé et les fonds investis de façon efficace. Une société qui n'est pas économe ne peut pas économiser et l'argent qui n'est pas économisé ne peut être utilisé en tant que capital pour l'investissement.

          Un passé colonial sombre et l’absence de ressources naturelles sont devenus les excuses de plusieurs nations africaines pour justifier leur destin tragique. Pourtant, de 1895 à 1945, Taïwan fut occupé par le Japon et dut subir l'oppression politique et le pillage économique. Il n’y a pas de pétrole, de charbon, de gaz naturel ou d’amiante en abondance sur son territoire. On a tout de même réussi à opérer un développement économique durable grâce à des choix judicieux et avant-gardistes.
 

« Bien malin celui qui, au début des années 1950, pouvait prédire de tels bouleversements en si peu de temps. Pendant qu'une majorité de pays sombraient dans le communisme, Taïwan optait pour une stratégie bien différente. »


          Les entrepreneurs se sont surtout spécialisés dans la conception de technologies de pointe, faisant appel à la connaissance, afin de façonner le futur. La ville de Hsinchu abrite le Science Park (technopole), la Silicon Valley de Taïwan, reconnu dans le monde pour la fabrication de semi-conducteurs. Ainsi, l’île est au premier rang mondial pour la fabrication d’un certain nombre de produits électroniques: scanners, écrans, modems(3). Des firmes ont même développé leurs propres applications et investissent non seulement dans la région, mais dans le reste du monde.

De la pauvreté à la prospérité

          Bien malin celui qui, au début des années 1950, pouvait prédire de tels bouleversements en si peu de temps. Pendant que la Chine continentale sombrait dans le communisme avec la révolution de Mao, Taïwan optait pour une stratégie bien différente. La libéralisation de son secteur agricole amplifiait la production et augmentait le revenu des paysans qui devenaient des propriétaires autonomes. Au fil des années, ce rendement a dégagé des excédents qui ont été exportés à l'extérieur. Les profits accumulés ont permis d'acheter des matières premières, de la machinerie lourde ainsi que des matériaux pour construire le secteur industriel. Le plus grand pouvoir d'achat de la population a été un tremplin de croissance pour une panoplie de petites PME dans le domaine des services.

          Le gouvernement, au lieu d'étouffer le marché du travail sous une pluie de réglementations, tel le salaire minimum, a plutôt créé un terrain propice à la création d'emplois. La paperasse bureaucratique restreignant la mise sur pied d'entreprises privées a été réduite, assurant une plus grande diversité de choix pour le travailleur. Les salaires ont connu une augmentation au fil des années, suivant le rythme de la croissance. Cette prospérité a permis aux familles de devenir propriétaires de maisons et d'atteindre un niveau de vie similaire aux riches nations du monde. L'émergence de la classe moyenne rend les citoyens moins dépendant de l'État et favorise le pluralisme politique. Taïwan est devenue une démocratie à la fin des années 1980.

Une leçon à retenir…

          En 1962, Milton Friedman, le célèbre prix Nobel d'économie, a fait la remarque suivante: l'histoire est unanime quant au rapport qui existe entre liberté politique et économie de marché. Je ne connais aucun exemple d'une société qui à quelque époque ou en quelque endroit, se soit caractérisée par une liberté politique importante et n'ait pas également eu recours à un système comparable à l'économie de marché pour organiser la plus grande partie de son activité économique.

          L'île de Taïwan nous démontre que peu importe les embûches et les cicatrices du passé, il est possible d'être libre, de se développer et s'industrialiser. Elle prouve que cela ne peut se produire que dans une économie ouverte, capitaliste et non dans une économie caractérisée par la planification centralisée.

          Certains intervenants ont déjà dit que l'État taïwanais a joué un rôle essentiel dans cette croissance et qu'il ne faudrait pas le négliger. En fait, l'État a su créer les conditions gagnantes en valorisant la culture entrepreneuriale, en reconnaissant les droits de propriété, en découragent la dépendance aux services d'assistance sociale, en s'abstenant d'être protectionniste, en déréglementant de multiples secteurs tout en évitant de s'immiscer dans les affaires courantes de sa population.

          Quand le choix individuel et les échanges volontaires ne sont pas garantis, il est difficile d'imaginer comment la démocratisation d'une société peut être possible. L'historien britannique Hilaire Belloc (1870-1953) a écrit que le contrôle de la production de la richesse n'est autre que le contrôle de la vie humaine elle-même. Si Taïwan est un modèle de réussite, c'est précisément parce qu’elle a su tirer des leçons de ce conseil.

 

1. Elle conservera son titre jusqu'à l'achèvement de la Burj Dubaï à Dubaï en 2008.
2. Dans son livre Richesse et pauvreté des nations, David S. Landes écrit que l'histoire enseigne que les remèdes les plus sûrs contre la pauvreté viennent de l'intérieur. Ce qui compte, c'est le travail, l'économie, la patience et la ténacité.
3. Taïwan est le premier producteur d'ordinateurs portables. Elle est le 4e producteur de matériel de technologie de l'information – 80% des circuits intégrés (puces électroniques) sont produits à Taïwan. Le 31 août 2005, une étude du Business Environment Risk (BERI), institut de recherche basé aux États-Unis, a conclu que Taïwan dispose du 5e meilleur climat d’investissement au monde.
 

Suggestions de lecture


1. Suzanne Berger, Global Taiwan: Building Competitive Strenghts in a New International Economy, 344 pages, 30 mai 2005.
2. Alice H. Amsden, Wan-wen Chu, Beyond Later Development: Taiwan's Upgrading Policies, 222 pages, 1er juin 2003.
3. Micheal Clancy, Business Guide to Taiwan, 300 pages, 30 juillet 1998.
4. Terence Tsai, Bor-Shiuan Cheng, The Silicon Dragon: Hight-Tech Industry in Taiwan, 236 pages, 30 novembre 2006.
5. Peter C. Y Chow, Taiwan's Modernization in Global Perspective, 392 pages, 30 mars 2002.
 

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